L’information a été plutôt bien relayée par la presse spécialisée ces dernières semaines, une mission est mise sur les rails au Sénat pour comprendre le fonctionnement de l’évolution des prix des contrats des organismes complémentaires d’assurance maladie (Ocam). Son objet devrait être “l’impact de l’augmentation des complémentaires santé sur le pouvoir d’achat“. Pourtant les premiers éléments de langage avancés pour justifier le lancement de cette mission portent surtout sur les raisons de l’augmentation tarifaire, en lieu et place de leur impact. Cela témoigne d’une certaine méconnaissance des enjeux liés au vote des lois de financement de la sécurité sociale.
Les travaux portant sur l’augmentation des prix des contrats des Ocam devaient initialement être menés à l’initiative de la commission des affaires sociales du Sénat. Mais c’est finalement le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) qui reprend le flambeau via son droit de tirage annuel. Jusqu’ici, il n’y a rien de choquant à ce que les sénateurs se saisissent d’un tel sujet : les effets des évolutions tarifaires des complémentaires santé sur le pouvoir d’achat des assurés mérite d’être étudié.
Des prix de mutuelles “opaques” dont les sénateurs semblent tout ignorer
Le fait que des sénateurs qui votent chaque année les lois de financement de la sécurité sociale s’interrogent sur les raisons de la hausse des prix des Ocam pose question malgré tout. A fortiori quand les sénateurs qui espèrent “éclaircir la fixation des prix des mutuelles” sont en fonction depuis 6 à 15 ans et sont vice-président ou membre de la commission des affaires sociales. C’est respectivement le cas de Xavier Iacovelli et de François Patriat. M. Iacovelli sera d’ailleurs le rapporteur de la mission comme le rapporte Public Sénat.
Ces sénateurs semblent parfaitement ignorer les effets des hausses de l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie (Ondam) et du plafond de la sécurité sociale sur les dépenses, qu’ils votent dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), sur les complémentaires santé. Rappelons que l’Ondam a augmenté de 6,3% entre 2021 et 2022 (hors covid 19) et de plus de 3,8% (hors covid) entre 2022 et 2023. Sa hausse initiale est fixée à 3,2% en 2024 par rapport à 2023 mais on peut compter sur une revalorisation en cours d’année. En parallèle, le plafond de la sécurité sociale a augmenté de 6,9% en 2023 et de 5,4% en 2024.
On peut clairement se demander si ceux qui votent les LFSS depuis plusieurs années comprennent que les dépenses engagées par les Ocam, et donc leurs prix, ne peuvent qu’augmenter dès lors que les indices de référence sont relevés (bon nombre de prestations de complémentaire santé sont assises sur le plafond mensuel de la sécurité sociale par exemple). Et encore nous ne parlons pas ici du transfert de charges de 500 M€ décidé en 2023, ni des effets de la réforme du 100% santé (ou Rac0) sur le dentaire, l’optique et l’auditif qui a largement contribué à la hausse des coûts pour les organismes complémentaires. Mais cela n’empêche pas le groupe RDPI de partir “du constat qu’il y a une grande opacité dans les prix des mutuelles et qu’elles ont fortement augmenté en général” toujours d’après Public Sénat.
Une opportunité pédagogique de plus à saisir pour les Ocam
La mission sera l’occasion pour les sénateurs d’auditionner plusieurs représentants des Ocam qui se feront un plaisir, on l’imagine, de venir réexpliquer – une fois de plus – le fonctionnement de leur financement intrinsèquement lié (mais pas uniquement) à l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie (Ondam) et à l’évolution du plafond de la sécurité sociale.
Les sénateurs pourraient être tentés de demander aux Ocam de se mettre au niveau de la Sécurité sociale, notamment s’agissant des frais de gestion (cette question des coûts internes aux organismes sera nécessairement abordée). Mais les complémentaire santé n’ont pas du tout la même amplitude d’endettement que la Sécurité sociale, ni la même capacité de mutualisation. L’équilibre de leurs contrats est primordial : dès lors que des contrats sont déficitaires du fait d’une consommation de soins en hausse (liée à l’âge des assurés, à la hausse de l’Ondam ou encore à celle du plafond de sécurité sociale votée par les sénateurs), l’augmentation du prix est un levier souvent inévitable de rééquilibrage.
Par ailleurs, un tel parallèle entre les Ocam et la sécurité sociale desservirait les sénateurs. En effet, le régime de complémentaire santé qui y est en vigueur pour ses agents est lui-même déficitaire depuis plusieurs années et les perspectives ne sont pas des plus positives. Quand même la sécurité sociale peine à ne pas augmenter le prix de sa propre complémentaire santé, il semble difficile de reprocher aux Ocam de le faire.
Les représentants des complémentaires santé devraient donc fourbir dès maintenant leurs arguments pour répondre aux critiques qui pourraient leur être opposées (on imagine que les sénateurs ne sont pas hermétiques aux critiques régulières de l’UFC-Que Choisir). Les auditions pourraient aussi bien se transformer en cours magistral sur les obligations prudentielles auxquelles sont soumises les Ocam. Au regard des déclarations faites par le groupe RDPI pour justifier le lancement de la mission, cela serait un moindre mal.
1 commentaire