Congés payés et arrêt maladie : l’avis très détaillé du Conseil d’Etat sur le projet de réforme

Le Conseil d’Etat vient de publier son avis rendu à propos du projet d’évolution du droit à acquérir des congés payés pendant les arrêts maladie. Ce projet porte sur la mise en conformité du code du travail avec le droit européen dans la ligne directe des arrêts rendus par la Cour de cassation le 13 septembre 2023.

Concrètement, selon le droit européen, les salariés en arrêt maladie doivent continuer à acquérir des congés payés. Par ailleurs le délai de prescription pour prendre les congés ne commence à courir qu’à partir du moment où le salarié est en mesure de les prendre. Le projet du gouvernement est donc de faire évoluer le droit national pour répondre aux exigences européennes. Ce projet sera examiné à compter du 18 mars en première lecture à l’Assemblée nationale. En attendant, les réponses du Conseil d’Etat aux questions posées par le gouvernement sont intéressantes car on y décèle les grandes lignes du projet (avis complet reproduit en fin d’article).

Arrêt maladie d’origine non-professionnelle : la limite d’acquisition de congés payés peut-elle être fixée à 4 semaines au lieu de 5 ?

Le Conseil d’Etat note qu’il est tout à fait possible de prévoir une limitation particulière pour les salariés en arrêt maladie d’origine non-professionnelle s’agissant de l’acquisition des congés payés. Cette discrimination n’est ni contraire au droit national, ni contraire au droit de l’Union européenne.

L’avis indique également qu’aucune règle de droit international (ou européen) “ne reconnaît un droit à un congé annuel supérieur à quatre semaines”. Le droit national n’impose, quant à lui, “aucune durée minimale de droits à congés” pour les périodes de maladie non-professionnelle.

Le Conseil d’Etat répond donc favorablement à la question du gouvernement et précise même que “le projet d’amendement […] prévoit l’acquisition de deux jours ouvrables de congés par mois pendant les périodes au cours desquelles le contrat de travail est suspendu à raison d’une maladie non professionnelle“.

La limite de 4 semaines de congés payés acquis en arrêt maladie non-professionnelle peut-elle avoir un effet rétroactif ?

Le Conseil d’Etat distingue deux périodes pour répondre à cette question.

D’abord, une première période antérieure au 1er décembre 2009 est définie. Sur cette première période, l’avis considère qu’aucune rétroactivité de la réforme ne s’impose.

Ensuite, pour la période qui commence au 1er décembre 2009, la rétroactivité de la loi n’est pas envisageable. En effet, une telle application rétroactive conduirait à appliquer une mesure plus favorable aux salariés que ce qui est prévu par le droit de l’Union européenne, ainsi qu’une modification rétroactive de la règle applicable à l’employeur.

Le Conseil d’Etat propose donc au gouvernement de modifier son projet pour “que le calcul des droits à congés non définitivement acquis […] soit […] assorti d’un mécanisme tel que le salarié ne se voie reconnaître, au titre de ces absences [pour maladies non-professionnelles, ndr], que le nombre de jours de congés supplémentaires lui permettant, s’il n’a pas déjà atteint au moins vingt-quatre jours de congé annuel payé au titre de périodes de travail effectif, ou de périodes que la loi y assimilait déjà, d’atteindre ce nombre, sans pouvoir le dépasser“.

Sur le délai maximum de report des congés acquis avant ou pendant un arrêt maladie

L’avis du Conseil d’Etat traite conjointement 4 questions qui sont toutes liées au report des congés et au délai offert au salarié pour les utiliser. Les 2 axes du projet du gouvernement sont clairement présentés.

En premier lieu, si un salarié est en arrêt maladie et ne peut pas utiliser ses congés payés pendant la période de prise de congé légale, le projet prévoit une période de 15 mois à compter de la reprise du travail pendant laquelle le salarié pourra utiliser ses congés en attente. Ce délai s’ouvrira à condition que l’employeur en informe clairement le salarié.

En parallèle, si un salarié est en arrêt maladie de longue durée, sur plusieurs périodes consécutives d’acquisition de droit, le projet fixe une période de 15 mois débutant à la fin de chaque période d’acquisition des droits. Ce délai s’ouvrira même si le salarié n’a pas repris le travail.

La période de report de congés payés acquis en arrêt maladie peut-elle être inférieure à 15 mois ?

Non, la durée de report ne peut pas être inférieure à 15 mois. Cette durée doit être “substantiellement” supérieure à celle de la période de référence d’acquisition (selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne) qui est de 12 mois. La durée de report de 15 mois est donc le minimum.

Quel peut-être le point de départ du délai de report de congés payés ?

Le Conseil d’Etat valide le projet du gouvernement s’agissant des arrêts maladie non-professionnelle sur une longue période. Si le salarié n’est pas revenu en entreprise, la jurisprudence admet que le délai de report de 15 mois commence à courir à la fin de la période d’acquisition des droits. Ceci même si l’employeur n’a pas pu fournir l’information au salarié sur ses droits à congés acquis, du fait de son absence pour maladie.

En revanche, si le salarié a bien repris le travail, le point de départ du délai de report “devrait être la date à laquelle l’employeur a délivré l’information qui lui incombe“. Cela confirme donc le contenu du projet soumis par le gouvernement.

Les nouveaux délais de report de congés payés peuvent-ils avoir un effet rétroactif ?

Selon le Conseil d’Etat, la réforme permettra parfaitement d’appliquer les nouveaux délais de report de façon rétroactive. A ce stade aucune disposition ni jurisprudence ne s’y oppose.

La réforme peut-elle faire l’objet d’une loi de validation pour éteindre tous les contentieux liés à des arrêts maladie non-professionnelle passés ?

D’abord, une telle loi porterait sur tous les droits à congés payés acquis pendant un arrêt maladie non-professionnelle depuis le 1er décembre 2009. Le Conseil d’Etat indique que la loi de validation ne pourrait pas empêcher tout contentieux sur cette période. En revanche, cette loi pourrait rester conforme au droit de l’Union européenne “tout en limitant l’ampleur du rattrapage des droits à congés qui, nés lors d’arrêts de maladie, n’auraient pas été reconnus dans le passé“.

En effet, le Conseil d’Etat précise que le législateur peut parfaitement limiter à 4 semaines le total de droits à congés pouvant être acquis en incluant les absences pour maladie. Par ailleurs une règle d’extinction automatique des droits en fin de période de report, pour toutes les absences pour maladie qui se seraient étalées sur plusieurs périodes d’acquisition successives, est tout à fait envisageable. Enfin, pour tous les salariés encore en emploi, le législateur pourrait bien imposer une forclusion aux salariés d’une durée de deux ans. Cela veut dire que les salariés en poste qui ont été en congé maladie non-professionnelle ne pourront réclamer la prise de leurs congés obtenus dans le cadre de la réforme que dans les 2 ans qui suivent l’entrée en vigueur de la loi, ceci même si l’employeur ne leur a fourni aucune information sur le sujet.

Ces différentes mesures suggérées par le Conseil d’Etat ont beaucoup de chances d’être intégrées au projet de loi qui sera discuté dans les prochaines semaines.

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