C’est un feuilleton vieux de près de 5 ans qui se clôt avec les deux décisions que vient de rendre la Cour de cassation à propos du barème Macron. Créé par une ordonnance du 22 septembre 2017, l’article L. 1235-3 du code du travail pose les bases de ce barème d’indemnités minimales et maximales de licenciement sans cause réelle est sérieuse en fonction de l’ancienneté du salarié. Cependant, depuis sa création, les salariés et syndicats de salariés contestent sa validité devant le conseil de prud’hommes. Alors que plusieurs juridictions d’appel ont écarté l’application du barème Macron au motif qu’il contrevient aux conventions internationales, la Cour de cassation vient de valider la conformité totale du dispositif.
Les deux arrêts rendus le 11 mai 2022 (à lire ici et là) tranchent enfin définitivement le contentieux entourant la conformité du barème Macron à la Convention n° 158 de l’organisation internationale du travail (OIT). Elle confirme en réalité ses avis rendus dès le mois de juillet 2019. La double décision qui vient d’être prise ne souffre d’aucune ambiguïté. Cependant, le juge admet quelques incartades au barème d’indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse dans certains cas spécifiques.
La Cour de cassation valide le barème Macron dans 2 affaires bien différentes
Le juge de cassation se prononce dans 2 affaires distincte.
Dans la première, une salariée est licenciée pour motif économique après 4 ans dans l’entreprise qui l’emploie. Elle conteste ce licenciement et parvient à faire condamner l’employeur à l’indemniser de la somme de 32 000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cela représente plus de 7 fois son salaire brut mensuel. Son employeur conteste le montant de l’indemnité et la non-application du barème Macron qui plafonne l’indemnité à 5 fois le salaire brut mensuel pour un salarié ayant 4 ans d’ancienneté. Selon l’employeur, le barème est bien conforme à la convention n° 158 de l’OIT (comme l’indiquait la Cour de cassation dans ses avis de juillet 2019). Il considère que le fait d’écarter l’application du barème viole les principes constitutionnels de sécurité juridique et d’égalité des citoyens devant la loi.
Dans la seconde affaire, une salariée conteste son licenciement économique après 36 ans de présence dans l’entreprise. L’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement est reconnue, toutefois la cour d’appel valide l’application du barème de licenciement. Elle limite l’indemnité à un total de 48 000 € (rappelons que le plafond d’indemnité est limité à 20 fois le salaire brut mensuel à partir de 30 ans d’ancienneté). La salariée conteste l’application du barème Macron au motif que cela viole l’article 24 de la Charte sociale européenne selon laquelle “en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître […] le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée“.
Le barème est bien conforme à la convention n° 158 de l’OIT
La Cour de cassation tranche les litiges en écartant directement l’application de l’article 24 de la Charte sociale européenne. Le juge rappelle effectivement que cette Charte n’a pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. Effectivement, le texte de la Charte ne fait que reconnaître des principes et objectifs qui impliquent que chaque pays signataire prenne des actes en interne. En clair, la salariée licenciée ne peut pas invoquer cette Charte pour écarter le barème Macron : celui-ci s’applique à son cas.
Dans l’autre affaires, la réponse de la Cour de cassation confirme que le barème Macron permet bien de réparer le licenciement sans cause réelle et sérieuse avec le “versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée” exigé par l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT. Le juge rappelle que le barème Macron souffre de quelques exceptions qui permettent justement de tenir compte de la situation particulière du licenciement sans cause réelle et sérieuse. En effet, il rappelle que le barème Macron n’est pas applicable, d’après l’article L. 1235-3-1 du code du travail, si le salarié est victime :
- – d’une violation d’une liberté fondamentale,
- – de harcèlement moral ou sexuel,
- – d’un licenciement discriminatoire,
- – d’un licenciement lié à une action en justice en matière d’également professionnelles entre les femmes et les hommes, ou lié à une dénonciation de crimes et délits,
- – d’un licenciement de salarié protégé,
- – d’un licenciement d’un salarié en méconnaissance des protections liées à la grossesse, la maternité, le congé paternité, le congé d’adoption, le congé parental d’éducation, l’absence pour accident du travail ou maladie professionnelle.
Le barème Macron peut donc être écarté pour adapter l’indemnité due au salarié dans des cas dérogatoires bien précis. La Cour de cassation considère que cela permet au barème d’être conforme à l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT.
Le juge écarte le contrôle in concreto des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse
Dans son communiqué, la Cour de cassation indique que le juge n’a pas à faire de contrôle in concreto en matière de licenciement sans cause réelle et sérieuse. C’est-à-dire qu’il n’a pas à écarter l’application du barème Macron s’il considère que la situation particulière d’un licenciement porte atteinte à l’un des droits fondamentaux garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. D’après la Cour de cassation, autoriser un tel contrôle permettrait d’écarter le barème au cas par cas : cela créerait une incertitude permanente sur la règle de droit applicable et cela porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi.
Les litiges entourant le barème Macron sont-ils terminés pour autant ?
La position ferme de la Cour de cassation n’a pas tardé à faire réagir tant du côté des représentants d’employeurs que de salariés. Si les représentants d’employeurs sont satisfaits et saluent la fin d’une insécurité juridique pour les entreprises, les représentants de salariés annoncent la poursuite de leur lutte. La CGT rappelle ainsi que le Comité européen des droits sociaux doit rendre prochainement sa décision. Il est vrai que ce comité s’est déjà prononcé sur les barèmes finlandais et italiens qui “ne permettent pas toujours d’indemniser de façon adéquate les salariés licenciés sans motif valable“.
Cependant, la Cour de cassation indique dans son communiqué que “les décisions que prendra ce Comité ne produiront aucun effet contraignant, toutefois, les recommandations qui y seront formulées seront adressées au gouvernement français“. Autrement dit, la position du Comité européen des droits sociaux n’a aucune force contraignante, à l’image de la Charte sociale européenne. Il faut donc s’attendre à ce que les syndicats de salariés continuent de s’opposer, devant les juridictions compétentes, à l’application du barème Macron.