Solvabilité 2, un paradis artificiel pour les mutuelles?

Solvabilité 2, la directive de la Commission Européenne sur la solvabilité des entreprises d’assurance, est au coeur d’une bataille épique livrée par la Fédération Nationale Indépendante des Mutuelles (FNIM), actuellement devant le Conseil d’Etat. La FNIM conteste l’interprétation restrictive donnée par l’ACPR à l’application de la directive Solvabilité 2. Selon le régulateur français, la directive doit s’appliquer à l’ensemble des acteurs du champ assurantiel, “petites mutuelles” comprises. Compte tenu des impacts capitalistiques forts de la directive, cette interprétation est évidemment lourde de sens pour le secteur: elle oblige les mutuelles à pratiquer des regroupements pour atteindre la taille critique imposée par la directive. L’action contentieuse menée par la FNIM met le régulateur en porte-à-faux: l’évolution réglementaire sert-elle de paravent à une opération de regroupement forcée? 

La question des prestations variables

L’essentiel de l’argumentation de la FNIM repose sur une lecture littérale de la directive. 

Dans son article 9, celle-ci précise notamment: “la présente directive ne s’applique pas aux opérations et activités suivantes:1) les opérations des organismes de prévoyance et de secours qui accordent des prestations variables selon les ressources disponibles et exigent de chacun de leurs adhérents une contribution forfaitaire appropriée”. 

Pour le président de la FNIM, Philippe Mixe, cette rédaction vise les mutuelles françaises. Celles-ci adaptent en effet les prestations, d’une année sur l’autre, et dans le domaine de la santé, à l’équilibre économique du contrat. Cette faculté d’imposer unilatéralement des modifications de garantie pour rétablir l’équilibre financier de “l’organisme” fonde, selon la FNIM, une exemption de Solvabilité 2 pour les petites mutuelles.  

Si cette interprétation était validée, il serait d’ailleurs intéressant de faire la somme des organismes concernés. Certains pourraient avoir envie d’y inclure les institutions de prévoyance. 

Un sujet politique avant d’être juridique

Si la bataille se déroule aujourd’hui devant le Conseil d’Etat (l’ACPR ayant désigné un avocat pour faire valoir ses arguments), l’enjeu du débat se situe bien entendu ailleurs. Il s’agit d’abord de savoir à quoi sert la directive Solvabilité 2. S’agit-il d’un texte communautaire purement technique et dont l’application stricte doit garantir la pérennité des activités assurantielles? ou bien s’agit-il d’une occasion pour les grands acteurs du secteur, avec l’appui technique des pouvoirs publics, d’accélérer des regroupements et de réduire la concurrence dans le monde de l’assurance? 

Les esprits taquins se souviennent des soupçons qui ont toujours pesé sur l’origine de Solvabilité 2, directive dont le projet est antérieur à la crise de 2008. Il se disait alors que quelques majors poussaient au renforcement des normes prudentielles pour obliger les acteurs de petite taille à s’adosser à eux. Cette logique de concentration a certes débordé ces mêmes acteurs, mais il n’en reste pas moins que la norme réglementaire reste, en France, un puissant levier pour réorganiser le marché autour d’une logique de croissance constante de la taille des acteurs.  

Sur ce point, alors que les compagnies d’assurance ont réalisé cette concentration depuis une bonne décennie, voire deux, les mutuelles comme les institutions de prévoyance demeurent encore très morcelés. L’arrivée de la directive Solvabilité 2 constitue donc une opportunité pour la FNMF d’encourager à la réduction du nombre d’acteurs, au même titre que le MEDEF encourage la diminution du nombre d’institutions de prévoyance (avec un succès mitigé, si l’on se fie aux difficultés à faire émerger le plan 3+1). 

Le monde selon la FNIM

Le recours devant le Conseil d’Etat introduit par la FNIM est, pour cette logique de regroupement, un danger majeur. Si le Conseil d’Etat validait l’interprétation de Philippe Mixe et exemptait les mutuelles santé d’une application de la directive, la donne serait profondément rebattue sur le marché. Elle reconnaîtrait en effet le droit à une survivance française: la mutuelle, fondée sur des structures de proximité contrôlée par leurs adhérents.  

Loin d’être un combat purement passéiste, l’action de la FNIM apparaît plutôt comme une sorte de manifeste en faveur d’une autre vision du marché, fondée sur un pluralisme des acteurs. Pour la FNIM, les valeurs initiales de la mutualité (notamment la proximité entre les administrateurs et les services) ont encore un sens face à la constitution de grandes technostructures qui prennent le pouvoir à l’occasion des regroupements. 

C’est à cette lumière qu’il faut comprendre l’autre versant de l’action entreprise par la FNIM: le rejet de la doctrine des “four eyes”, qui impose un partage des responsabilités entre le Président et le directeur général, ainsi qu’une mise sous contrôle des conseils d’administration par le régulateur. Ces deux points constituent des ruptures avec la gouvernance idéale de la mutualité, dans la mesure où elle opère de fait un transfert de pouvoir au profit des technostructures. 

Au fond, le monde selon la FNIM repose sur le “small is beautiful” contre la mise en place de grandes technostructures, et c’est bien cet enjeu-là qui sera débattu au Conseil d’Etat. 

La province contre Paris

Les actions de la FNIM illustrent la vitalité du secteur mutualiste, qui tend à trouver la FNMF trop éloignée des valeurs fondamentales qui guident ses adhérents. Elles présentent la particularité d’incommoder fortement les grands comptes et les grands noms du secteur. Les états-majors parisiens apprécient d’ordinaire assez peu les poils à gratter les empêcheurs de tourner en rond qui contre-carrent sans vergogne les grands plans arrêtés dans les salons. En l’espèce, l’incarnation du combat par Philippe Mixe, mutualiste du Nord, déjà associé à l’APAC dans son combat contre les désignations, ajoute à l’irritation. L’intervention de ce provincial dans le jeu parisien agace. 

Sur le fond, il y a bien du combat de la province contre Paris dans l’action de la FNIM. Celle-ci regroupe des petites mutuelles souvent ancrées sur leur territoire, éloignées des centres d’influence, et peu accoutumées au jeu des puissants. A ce titre, le recours devant le Conseil d’Etat est emblématique d’une fracture qui s’est approfondie ces dernières années entre les grands groupes (y compris dans le secteur mutualiste) et les acteurs locaux qui cherchent à préserver leurs valeurs et leur indépendance.  

Des raisons techniques d’espérer pour la FNIM?

Dans la pratique, le combat de la FNIM paraît reposer sur une rationalité spécifique aux contrats santé. Comme les assureurs le savent, un contrat santé est peu gourmand en fonds propres et la duration du risque y est inférieure à un an. Le contrat santé exige une faible provision pour égalisation et les dommages qu’il couvre sont de faible montant. En dehors de l’optique qui est un risque certain, il est aléatoire. Autrement dit, c’est enfoncer une porte ouverte que de rappeler qu’un contrat santé présente peu de risque d’insolvabilité et que le renforcement des normes prudentielles dans ce cas d’espèce se justifie peu. 

Il n’en va évidemment pas de même pour les risques viagers. Mais au vu de ces considérations, la revendication des acteurs dédiés à la santé paraît difficile à contrer techniquement. 

Reste, bien entendu, le débat politique sur l’opportunité de concentrer le secteur. Les conclusions du Conseil d’Etat permettra de voir comme le juge administratif prend en compte les visées globales des cateurs dominants dans l’interprétation des textes européens. Selon toute vraisemblance, il commencera d’ailleurs par botter en touche, en posant à la Cour de Justice de l’Union Européenne une question préjudicielle destinée à éviter les “verrues nationales” dans l’interprétation des textes communautaires.  

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