[Tribune] La bourde à 14 000 € de l’URSSAF

Article proposé en collaboration avec le think tank le Cercle Lafay (www.lecerclelafay.fr), qui œuvre pour une amélioration des relations entre l’URSSAF et les entreprises.

 

La médiatique affaire Arnaud Bloquel (le restaurateur à qui l’URSSAF a infligé un redressement de 14 000 € au titre des avantages en nature parce qu’il mangeait … dans son propre restaurant) témoigne d’un phénomène qui est plus fréquent qu’on le croit : l’absurdité avec laquelle l’URSSAF réalise ses contrôles, la ridiculisant, et rendant difficile – voire impossible – la réalisation du vœu exprimé par Emmanuel Macron, Président de la République, qui aimerait que l’URSSAF soit « l’amie de l’entreprise » (phrase prononcé le 9 octobre 2018). 

Dans les faits, on peut comprendre que le chef d’un restaurant mange sur son lieu de travail, où il passe ses journées entières. On l’imagine mal prendre sa voiture pour aller dans un fast-food …Et on peut aussi penser qu’il ne se sert pas un menu gastronomique à chaque fois. 

Peu importe pour les inspecteurs zélés de l’URSSAF : un chef d’entreprise a l’obligation de déclarer ses repas comme avantage en nature. Faute de quoi ils redressent. Et puisque le restaurant est gastronomique, la somme exigée atteint les étoiles : l’avantage en nature est évalué à 107 € par repas (qui est le prix moyen d’un repas dans son établissement). Soit une note très salée de 14 000 €. 

Un redressement délirant qui a même fait réagir le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, qui dénonce une « situation absurde issue d’une règle obsolète ! ». Pour le ministre, il faut changer tout cela. Et, tel le roi soignant des écrouelles, il va demander aux URSSAF de reconsidérer le cas de ce chef cuisinier … 

Le problème est que, si choquante que soit cette histoire, le redressement n’est pas totalement infondé. En effet, pour les dirigeants de société, l’avantage en nature sur la nourriture ne peut être évalué qu’en fonction de sa valeur réelle et non forfaitaire. L’inspecteur, par souci de simplicité, s’était donc contenté de réintégrer dans le montant des cotisations le prix d’un repas moyen dans ce restaurant. Et le chef a eu beau expliquer à l’inspecteur qu’il mangeait des pâtes ou se préparait des plats peu coûteux (d’une valeur d’environ 6 €), rien ne pouvait faire échec à ce redressement. 

Bref, ce redressement a des fondements juridiques sérieux. De là à ce que les inspecteurs des URSSAF taxent un médecin qui donne un doliprane à sa femme ou un électricien qui change une ampoule chez lui … Les tweets mi amusés- mi choqués l’envisagent. 

Cette affaire surmédiatisée est la partie visible de l’iceberg : neuf contrôles sur 10 se soldent par un redressement. Le think tank le Cercle Lafay, qui œuvre pour l’amélioration des relations entre l’URSSAF et les entreprises, recense des dizaines de cas ahurissants, dont les victimes n’ont pas eu la chance d’être repérées par le ministre des Comptes publics : l’épouse d’un restaurateur qui le remplace au pied levé parce qu’il est parti aux urgences (cas flagrant, aux yeux des URSSAF, de travail dissimulé), tout comme des laissés-pour-compte à qui Emmaüs verse un petit pécule, que l’URSSAF s’empresse de grever de charges sociales … 

Malgré une communication lénifiante (« les URSSAF sont au service des entreprises » …), les URSSAF œuvrent dans un cadre juridique arriéré qui se traduit par une extraordinaire insécurité juridique pour les entreprises. L’affaire Bloquel n’en constitue qu’un exemple. 

Une autre surprise vient de ce que les instances des URSSAF sont composées aussi de représentants du monde patronal, très souvent atones face à de telles aberrations.  

Le ministre a raison de vouloir changer ces règles absurdes. 

Il ne cesse d’ailleurs de le dire, chaque fois que l’actualité met en relief les comportements abusifs des URSSAF. 

Un cadre juridique sain devrait permettre un réel dialogue avant, pendant et après le contrôle afin d’éviter ce genre d’aberration qui ne peut que ternir l’image des organismes de recouvrement et désespérer un peu plus les entrepreneurs. 

Ainsi, le cotisant devrait pouvoir avoir recours à un supérieur hiérarchique de l’inspecteur en cas de difficultés au cours de la vérification. 

Il devrait avoir la possibilité de défendre physiquement son dossier devant la commission de recours amiable… 

Toutes ces propositions d’avancées raisonnables formulées notamment par le Cercle Lafay et relayées par des parlementaires sont toujours repoussées, malgré les discours officiels et les réactions opportunes et non suivies d’effets du ministre. 

Une réforme est possible pour rendre l’URSSAF vraiment à l’écoute des entreprises, afin de traquer les fraudeurs sans s’acharner sur des dirigeants de bonne foi. 

Cette réforme peut être menée dès maintenant. 

Mais faudra-t-il attendre une nouvelle affaire médiatique dans laquelle l’URSSAF se ridiculisera pour relancer le débat ? 

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