Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat : CFDT
« La patience est la reine des vertus ». Qui était en attente de connaître les arcanes de la nouvelle procédure prud’homale aura eu l’occasion d’être éprouvé à l’aune de ce proverbe, puisque, depuis que la loi Macron a été votée, l’élaboration du texte réglementaire devant la mettre en musique était systématiquement remise à plus tard. Ce n’est finalement que le 25 mai dernier que cette longue période de flottement a pris fin, avec la publication du décret n° 2016-660 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail. Ce texte, qui a pour ambition clairement affichée de moderniser la procédure prud’homale, entre progressivement en vigueur. Décret n° 2016-660 du 20.05.16.
Le décret n° 2016-660, qui vient apporter de très sensibles évolutions à la procédure prud’homale, s’inscrit dans la suite logique de la loi Macron qui, en matière de procédure, avait déjà posé les jalons de la rénovation à venir : transformation du bureau de conciliation (BC) en bureau de conciliation et d’orientation (BCO), création de nouveaux circuits de procédure, possibilité de juger immédiatement l’affaire en l’absence de l’une des parties, esquisse de nouveaux moyens pour procéder à la mise en état des affaires…
Récapitulons point par point les dix principaux axes d’évolution répérés.
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Des contestations relatives à la compétence de section mieux encadrées
Désormais, toute contestation relative à la connaissance d’une affaire par une section ne pourra être portée devant le bureau de conciliation et d’orientation (BCO) (ou devant le bureau de jugement (BJ) en cas de dispense de conciliation) « avant toute défense au fond ». Alors que, jusqu’à maintenant, une telle contestation pouvait être portée « quel que soit le stade de la procédure ».
Une telle évolution est particulièrement positive puisqu’elle sera de nature à contrer les manœuvres dilatoires qui étaient jusqu’alors trop souvent opérées par la partie employeur.
Important ! Cette disposition s’applique aux instances introduites devant les conseils de prud’hommes à compter de la publication du décret.
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Une vraie rénovation de la saisine prud’homale
A compter du 1er août 2016, le justiciable qui entendra introduire une procédure prud’homale devra, en sus des exigences figurant à l’article 58 du Code de procédure civile (mention de l’identité du demandeur, de celle du défendeur ainsi que de l’objet de la demande), procéder à un exposé sommaire des motifs de la demande et joindre les pièces qu’il entendra évoquer « à l’appui de ses prétentions ».
Préalablement à la publication du décret, nous avions fait savoir à la Chancellerie qu’une telle complexification de la saisine risquait de dissuader nombre de justiciables à agir, parmi lesquels les plus fragiles… Suite à cela, nous avions obtenu de la Chancellerie un engagement sur le fait que la mise à mal de l’obligation de procéder à l’exposé sommaire et de joindre les pièces ne serait pas sanctionnée par la nullité de la procédure (comme cela avait été initialement envisagé). A la lecture du décret, nous constatons que l’engagement a bien été tenu, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Aussi, cette nouvelle contrainte pesant sur les épaules du demandeur ne visera-t-elle qu’à inciter ce dernier à en dire davantage sur ses prétentions afin de tenter de rendre plus efficace l’étape de conciliation.
C’est d’ailleurs en ce sens que demandeur et défendeur seront, l’un comme l’autre, invités à échanger leurs pièces préalablement à l’audience de conciliation. Une sorte de mini-procédure de mise en état pré-conciliation, en quelque sorte.
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Un droit, pour les parties, à être assistées ou représentées
Les parties n’auront désormais plus l’obligation de comparaître en personne. Elles auront la faculté, à discrétion, de se défendre elles-mêmes, de se faire assister ou de se faire représenter.
Les personnes habilitées à assister et à représenter les parties seront le conjoint, le salarié exerçant dans la même branche, l’avocat et, désormais, le défenseur syndical figurant sur une liste préparée par le Direccte et arrêtée par le préfet de Région (1).
Il est cependant à noter que le libre choix entre ces trois options (se défendre soi-même, se faire assister ou se faire représenter) ne vaudra que pour la première instance, puisque le décret précise que, devant les chambres sociales des cours d’appel, la représentation y sera désormais obligatoire (soit par défenseur syndical, soit par avocat).
Important ! Les défenseurs syndicaux nouvelle version auront compétence dans toutes les instances introduites à compter du 1er août 2016.
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Une procédure qui fait davantage de place à l’écrit
D’une part, devant le conseil de prud’hommes, il sera désormais prévu que lorsqu’elles auront « formulé leurs prétentions par écrit » et qu’elles seront « assistées ou représentées par un avocat », les parties au procès « seront tenues, dans leurs conclusions, de formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées ».
Important ! Cette disposition sera d’application obligatoire pour toutes les instances qui auront été introduites à compter du 1er août 2016.
D’autre part, devant la cour d’appel, la procédure qui deviendra une procédure avec représentation obligatoire, deviendra, par la même occasion, une procédure écrite.
Important ! Cette disposition sera d’application obligatoire pour toutes les appels qui auront été introduits à compter du 1er août 2016.
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Une mise en état des affaires consolidée
C’est en tout premier lieu le BCO qui est habilité à procéder à la mise en état. Après avoir constaté l’absence de conciliation, il dispose désormais de moyens renforcés afin de procéder à la mise en état des affaires. Des séances peuvent même être spécialement tenues à cette fin.
Le BCO peut fixer les délais et les conditions de communication des prétentions, moyens et pièces. Il peut également inviter les parties à fournir les explications nécessaires à la solution du litige et les mettre en demeure de produire, dans le délai qu’il lui appartient de déterminer, tout document ou justification propres à éclairer le conseil de prud’hommes.
Mais le(s) conseiller(s) rapporteur(s) ont également un rôle actif à jouer puisque, dès qu’il(s) a(ont) été désigné(s), il (s) a (ont) la possibilité d’auditionner toute personne et de faire procéder à toutes mesures d’instruction et/ou d’ordonner toutes mesures nécessaires à la conservation des preuves ou des objets litigieux.
En la matière, le BJ n’a logiquement qu’un rôle assez résiduel à jouer, puisque ce n’est que lorsque l’affaire est considérée comme n’étant pas encore prête à être jugée qu’il peut « prendre toutes mesures nécessaires à sa mise en état ».
Il est à noter que le texte précise que « les prétentions, moyens et pièces communiqués sans motif légitime après la date fixée pour les échanges et dont la tardivité porte atteinte aux droits de la défense » peuvent être écartés des débats. Ce qui n’est pas sans donner, aux conseillers prud’hommes, un vrai moyen de peser dans la procédure de mise en état.
Important ! Ces dispositions sont rentrées en application dès le lendemain de la publication du décret, soit le 26 mai 2016.
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La possible spécialisation des conseillers prud’hommes à la conciliation
Le règlement intérieur du conseil de prud’hommes devra certes établir un roulement, au sein du BCO, entre tous les conseillers prud’hommes mais, afin de parvenir à cet objectif de spécialisation, il pourra aussi prévoir « l’affectation de certains conseillers prud’hommes par priorité à ce bureau ».
Cette partie du texte est à notre sens bien équilibrée, puisqu’elle permet d’assurer la participation de tous aux formations de BCO tout en rendant possible la spécialisation de certains.
Important ! Ces dispositions sont rentrées en application dès le lendemain de la publication du décret, soit le 26 mai 2016.
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Les conséquences de la non-comparution du demandeur et/ou du défendeur devant le BCO
En cas de défaillance sans motif légitime du demandeur, l’affaire peut être soit immédiatement jugée en l’état, soit être renvoyée à une audience ultérieure. Mais la requête et la citation peuvent aussi être déclarées caduques.
En cas de défaillance sans motif légitime du défendeur, l’affaire doit être immédiatement jugé en l’état. Elle ne pourra être renvoyée à une audience ultérieure que « pour s’assurer de la communication des pièces et moyens au défendeur ».
Important ! Ces dispositions sont rentrées en application dès le lendemain de la publication du décret, soit le 26 mai 2016.
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La capacité du BCO à délivrer une décision valant attestation pour Pôle emploi
Le BCO peut désormais prendre une décision provisoire « palliant l’absence de délivrance par l’employeur de l’attestation » destinée à Pôle-emploi.
Une telle décision, qui n’est pas de nature à libérer l’employeur de son obligation de délivrance, permet au salarié de ne pas attendre que ce dernier s’en acquitte pour faire valoir son droit à indemnisation chômage.
Important ! Ces dispositions sont rentrées en application dès le lendemain de la publication du décret, soit le 26 mai 2016.
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Le timing du rendu des décisions prud’homales
Dès lors que la décision n’est pas immédiatement rendue à l’issue des débats (qui se sont tenus, soit devant le BJ, soit devant la formation de départage), le président doit indiquer aux parties la date à laquelle elle le sera, le cas échéant par mise à disposition au greffe.
Si d’aventure, la date de ce rendu devait être reportée, les parties devraient être informées de la date de report bien sûr, mais aussi des motifs de la prorogation.
Important ! Ces dispositions sont rentrées en application dès le lendemain de la publication du décret, soit le 26 mai 2016.
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L’éventuelle orientation des affaires devant un médiateur
Le décret vient préciser la façon selon laquelle les dossiers peuvent faire l’objet d’une orientation devant le médiateur. Il indique en effet que tant le BCO que le BJ pourront :
– après avoir recueilli l’accord des parties, désigner un médiateur afin de les entendre et de confronter leurs points de vue pour permettre de trouver une solution au litige qui les oppose ;
ou
– enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur qui les informe sur l’objet et sur le déroulement de la mesure.
Important ! Ces dispositions sont rentrées en application dès le lendemain de la publication du décret, soit le 26 mai 2016.
Notons, pour être tout à fait complets, que le projet de décret vient également apporter des précisions sur les « référés en la forme » et sur la procédure applicable en matière de licenciement économique
(1) Le décret relatif au statut des défenseurs syndicaux est actuellement en cours d’élaboration. Un projet de texte sera présenté aux partenaires sociaux lors du prochain conseil supérieur de la prud’homie (qui se réunira le 8 juin 2016).