La CFDT est-elle vraiment devenue le premier syndicat de France?

Les élections professionnelles dans le service public tenues fin novembre et début décembre ont vu la CFDT progresser (sans toutefois décrocher la premiere place toujours détenue par la CGT). En agrégeant les résultats du secteur public et du secteur privé, la CFDT est devenue, de peu, le premier syndicat de France… mais que signifie au juste cet événement?

 

En décrochant 19% des voix aux élections professionnelles de la fonction publique, contre 21,8% à la CGT, la CFDT devient le premier syndicat de France, à la plus grande satisfaction de son secrétaire général Laurent Berger. L’intéressé a donc proclamé sa fierté sur Twitter, en expliquant: “Depuis sa création, la CFDT porte un syndicalisme humaniste, proche des travailleurs, efficace dans l’amélioration de leur quotidien. C’est lui qui est aujourd’hui porté à la première place !” 

Ces déclarations méritent quand même d’être remises dans leur contexte pour être bien comprises. 

La CFDT, le syndicat réformiste par exemple

En apparence, l’annonce marque le triomphe d’un syndicalisme réformiste et “humaniste”, tendance que la CFDT, née de la CFTC dans les années soixante, porte haut et fort. Depuis plusieurs années, le réformisme est au coeur de l’offre différenciante portée par cette organisation syndicale en concurrence féroce avec son exact contraire: la CGT. 

Laurent Berger n’a donc pas tort de marquer le coup. Les bons résultats de la CFDT traduisent bien l’enracinement parmi les salariés français, y compris au sein d’un service public très protégé, d’une culture de plus en plus dominée par le souci de négocier de bons accords et de co-construire une vision paritaire des organisations. 

Alors que, depuis le départ de Bernard Thibault, la CGT s’est laissée dans une ligne incertaine mais volontiers contestataire, souvent partagée avec FO (qui reste premier syndicat de la fonction publique d’Etat), la progression lente mais constante de la CFDT montre bien où va la préférence des “insiders” du marché du travail en France. Non! la logique d’opposition frontale n’est pas le réflexe premier de tous les salariés en France. 

Des dangers des grands agrégats statistiques

Au-delà de cette tendance générale, il faut toutefois éviter de dégager d’autres enseignements, comme celui selon lequel l’agrégat des résultats des différentes fonctions publiques et du secteur privé projetterait l’existence d’une sorte de parlement des salariés où la CFDT serait désormais majoritaire. Cet agrégat demeure très théorique et la place que la CFDT y occupe n’y dépasse pas les 25%. 

Dans le secteur public, la CGT est toujours le premier syndicat. Dans la fonction publique d’Etat, FO est toujours le premier syndicat. Dans le secteur privé, la CGT talonne la CFDT. 

Au total donc, le paysage syndical est d’abord dominé par l’émiettement, bien avant d’être dominé par la CFDT. Et les syndicats contestataires (CGT et FO) continuent de cumuler, à eux deux, une majorité de voix. 

Ne jamais oublier que le fait syndical est d’abord local

Dans ces rappels prudents, il faut aussi compter une originalité propre au fait syndical: les confédérations ne sont à de nombreux égards que des étiquettes qui rendent mal compte de la réalité des syndicats locaux qui la composent, et singulièrement des sections d’entreprise. La confédération CFDT peut être réformiste quand telle ou telle fédération ou tel ou tel syndicat d’entreprise prend des positions sensiblement différentes “sur le terrain”. 

Cette remarque vaut pour les autres confédérations. Dans certaines entreprises, la section CGT peut être portée à négocier quand la section CFDT est rétive à signer des accords. Ces retournements de situation ne sont ni généraux ni unanimes, mais ils existent et ne doivent pas être oubliés. L’homogénéité n’existe pas dans le syndicalisme, et les grandes étiquettes sont à prendre avec des pincettes. 

Le syndicalisme devient de plus en plus marginal dans la société française

Au-delà de ces constats, c’est la faiblesse du fait syndical en France lui-même qui doit préoccuper. Le taux de syndicalisation est inférieur à 10% dans le salariat français. On ne reviendra pas ici sur les causes de cette particularité. Simplement, l’adhésion aux syndicats comme la participation aux élections professionnelles demeurent des faits relativement anecdotiques dans la vie des entreprises et des administrations françaises. 

Rappelons en particulier que la majorité des salariés travaille dans de petites et moyennes entreprises où le vote interne n’existe pas. 

La CFDT représente désormais 25% de cet univers marginal et très peu représentatif de la vie sociale française. Le mouvement des Gilets Jaunes l’a montré: l’action revendicative se déroule largement hors des structures où interviennent les syndicats. Et c’est peut-être l’ironie qui cingle le plus les propos de Laurent Berger: la CFDT est première, certes, mais dans un monde en voie de disparition. 

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