Prescription biennale : un arrêt qui complique la défense des assureurs

La Cour de cassation a jugé, dans une décision du 7 mai 2025, qu’une action judiciaire engagée par un assuré interrompt la prescription biennale pour l’ensemble des demandes liées au même sinistre et au même contrat de prévoyance. Même formulées plus tard au cours de la procédure, ces demandes bénéficient de l’effet interruptif dès lors qu’elles visent le même fait générateur.

Tout commence en mars 2013, lorsqu’une travailleuse indépendante, couverte par un contrat d’assurance prévoyance souscrit en 2003, est victime d’un accident. Elle est alors indemnisée par son assureur, la société Allianz, qui lui verse des indemnités journalières pendant 469 jours. Mais en juin 2014, les versements sont ensuite interrompus. Allianz considère en effet que le contrat limite le droit à indemnisation à 365 jours au total sur toute la durée de vie du contrat, pour les arrêts de travail liés à certaines pathologies. Selon l’assureur, c’est précisément la situation dans laquelle se trouve l’assurée, qui a déjà perçu 469 jours d’indemnités. Ainsi, il refuse la prise en charge de la période allant du 1er juillet au 30 septembre 2014.

L’état de santé de l’assurée continue pourtant de faire débat. À sa demande, une expertise judiciaire est ordonnée. Déposée en mai 2016, elle fixe la date de consolidation au 30 septembre 2014 et retient une incapacité professionnelle de 75 %. Ce taux, selon les critères du contrat, ne suffit pas à ouvrir droit à une rente d’invalidité permanente.

L’assurée décide malgré tout d’agir. En 2017, elle assigne l’assureur pour obtenir le versement de la rente. Mais ce n’est qu’en appel, en 2021, qu’elle complète sa demande. Elle réclame cette fois le paiement d’un capital invalidité et les indemnités journalières complémentaires non versées entre l’interruption du contrat et la consolidation. Allianz conteste. Pour l’assureur, ces nouvelles prétentions arrivent trop tard : la prescription biennale de l’article L. 114-1 du code des assurances est, selon lui, acquise.

Une action en justice interrompt la prescription pour toutes les demandes liées au même sinistre

Dans un premier temps, la cour d’appel donne raison à l’assureur. Elle juge que les prestations supplémentaires qui ne figurent pas dans l’assignation initiale sont prescrites et ne peuvent pas bénéficier de l’effet interruptif de l’action engagée.

La Cour de cassation casse cette décision. Elle considère que l’assignation introduite en 2017 a interrompu le délai de prescription pour toutes les prétentions ayant le même fondement, c’est-à-dire le même contrat et le même accident. Peu importe que les prestations demandées aient été différentes ou formulées ultérieurement. L’effet interruptif produit par l’action initiale bénéficie à l’ensemble des demandes liées au même sinistre. La cour d’appel ne pouvait donc pas écarter le capital invalidité ni les indemnités complémentaires au motif qu’elles avaient été présentées en appel.

En statuant ainsi, alors qu’il ressortait de ses constatations que les deux actions successivement engagées tendaient l’une et l’autre à l’indemnisation du même sinistre, en exécution du même contrat d’assurance, et, en conséquence, au même but, ce dont il résultait que la prescription avait été interrompue par la demande initiale, la cour d’appel a violé le texte susvisé. 

Cass. civ. 2e, 7 mai 2025, n° 23-20.113

Une décision à intégrer dans la stratégie des assureurs pour sécuriser la gestion des sinistres

L’arrêt du 7 mai 2025 invite les assureurs à considérer, dès l’ouverture d’un sinistre, l’ensemble des prestations susceptibles d’être sollicitées. La Cour ne se prononce pas sur la diversité des prestations en tant que telle, mais sur leur rattachement commun à un même contrat et à un même sinistre, ce qui justifie l’effet interruptif unique de l’action en justice.

Cette approche pourrait avoir des conséquences pratiques sensibles. En particulier, elle pourrait limiter la portée d’une défense fondée sur la prescription lorsque l’assuré articule progressivement ses demandes au fil de la procédure. Pour les organismes assureurs, la maîtrise du risque contentieux implique donc une anticipation accrue des revendications potentielles, en évitant une lecture trop cloisonnée du contrat d’assurance. Ainsi, elle impose une vigilance renforcée dans l’analyse du sinistre.

Une remise en question de la fonction protectrice de la prescription biennale pour les assureurs pourrait se poser

Cette lecture unifiée de la prescription n’est pas sans conséquence pour les organismes assureurs. Si une action judiciaire initiale permet à l’assuré de formuler, plusieurs années plus tard, de nouvelles demandes liées au même sinistre, la portée du délai biennal devient incertaine.

Or, ce délai a une fonction essentielle pour les organismes assureurs. Il leur permet de clôturer leurs engagements dans un temps limité, de maîtriser leurs coûts de gestion, et de préserver l’équilibre technique de la mutualisation. Si chaque nouvelle demande peut se rattacher à une action ancienne sans limite temporelle claire, la prévisibilité s’amenuise et l’incertitude s’installe.

La position actuelle de la Cour de cassation ne surprend pas. Elle s’inscrit dans une logique de protection des assurés déjà exprimée dans son rapport annuel de 2022, où elle envisageait déjà de rallonger la prescription biennale, jugée trop courte pour protéger efficacement les assurés.

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