La guerre risquée d’AG2R contre la liberté d’entreprendre

AG2R n’aime pas la liberté d’entreprendre et préfère à la logique de marché un système administré à sa sauce, qui se pare des oripeaux éculés et galvaudés de la solidarité. En fait de solidarité, le groupe entend évidemment un système de collusion et d’affinités dont l’opacité est le maître mot, et l’intérêt final du salarié une quotité négligeable et ajustable. Si cette étrange conception de la protection sociale a permis au groupe de s’imposer comme l’un des principaux acteurs de l’assurance collective de personnes, elle porte en elle bien des risques que la guerre totale qui sévit dans la boulangerie illustre parfaitement. 

Collusion dans la boulangerie

En 2006, le vice-président d’AG2R, Jean-Pierre Crouzet, signe un accord dans la branche de la boulangerie artisanale (dont il préside la chambre patronale), confiant, sans appel d’offres, la gestion du régime de branche à AG2R. L’accord comporte une clause de migration obligatoire qui revient à accorder au groupe qu’il préside une position monopolistique. Cette attaque en règle contre la loi du marché se fait au détriment des salariés, puisque les garanties prévues par le contrat rendu obligatoire sont trop faibles pour le prix.  

On notera que l’accord de branche est signé par toutes les organisations syndicales de la branche: cette unanimité est vraiment touchante, et si rare! 

Ces conflits d’intérêt sont aussi insupportables que bien connus sur l’ensemble de la place de Paris.  

Collusion et solidarité

Certains souligneront que des pratiques sont le fait du paritarisme à la française. Seuls des mauvais esprits y verraient des conflits d’intérêt, là où il ne faut voir que de la solidarité. C’est notamment l’argument privilégié de Jacques Barthélémy, qui ne tarit pas d’éloge sur ce système où la voix du salarié est usurpée par des négociateurs parisiens très éloignés de la vie des entreprises.  

Le problème tient évidemment au fait que les organisations syndicales qui prêtent leur main à ces jeux d’écriture ne sont jamais à cours d’arguments contre les grands de la finance. On n’oubliera pas ici les antiennes de l’UPA, à laquelle appartient la fédération des boulangers, contre les méchants assureurs qui font du dumping pour casser le marché. S’il est avéré contre le contrat surtarifé des boulangers ne relevait pas du dumping, il est un peu trop facile d’oublier qu’AG2R appartient aussi à ce monde financier tant détesté.  

Quelques années avant de signer ce contrat scélérat, AG2R, adossé à La Mondiale, société capitaliste s’il en est, avait en effet fait entrer le néerlandais Aegon dans son capital. Dans le même temps, AG2R est réassuré par Axa. On s’étonnera donc encore une fois de voir des organisations syndicales pactiser avec l’ennemi au détriment des salariés qu’elles représentent, tout cela au nom du noble combat de la solidarité contre l’individualisme. 

Une guerre civile chez les boulangers

Cette opération si mal ficelée a suscité, en son temps, des remous jusque dans les rangs des boulangers eux-mêmes. On retrouvera ci-dessous le récit de cette guerre qui ressemble étrangement au combat sans merci et sans loyauté de l’AG2R Goliath contre le David courtier. 

 

 

 

Il est en tout cas stupéfiant de voir qu’AG2R, avec le soutien de la fédération des boulangers, n’ait pas hésité à assigner les récalcitrants et ait cherché à étrangler un chef d’entreprise, Jean-Pierre Vallon, en lui imposant une guerre sans merci destinée à le couler.  

Un combat risqué

Dans cette guerre totale et déséquilibrée qu’AG2R a déclenchée contre les petits boulangers de France, le groupe a pris des risques. L’arrêt de principe rendu par la CJUE en 2011 est en effet beaucoup plus équilibré que la presse professionnelle ne l’a fait croire. En particulier, la Cour a invité les cours nationales à examiner un point essentiel dans les dizaines de contentieux qui ont coûté au groupe Abela 2,5 millions d’euros de frais de procédure: 

Dès lors se pose la question, d’une part, des circonstances dans lesquelles AG2R a été désignée par l’avenant 83 et, d’autre part, de la marge de négociation dont cet organisme a pu disposer quant aux modalités de son engagement, et de la répercussion de ces éléments sur le mode de fonctionnement du régime concerné dans son ensemble. 

En effet, en fonction de ces circonstances et de cette marge de négociation, qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner, il pourrait être conclu qu’AG2R, bien que n’ayant pas de but lucratif et agissant sur le fondement du principe de solidarité, est une entreprise exerçant une activité économique qui a été choisie par les partenaires sociaux, sur la base de considérations financières et économiques, parmi d’autres entreprises avec lesquelles elle est en concurrence sur le marché des services de prévoyance qu’elle propose. 

Lorsque les juges font un travail sérieux d’application de l’arrêt européen, ils n’hésitent pas à autoriser les boulangers à se soustraite à la désignation dans la mesure où AG2R a bébénficié d’une désignation sans appel d’offres, et dans la mesure où les marges initiales du contrat lui donnaient un caractère lucratif. Une nouvelle question préjudicielle est d’ailleurs en cours dont les résultats devraient tomber prochainement. 

A grands renforts de plaidoiries vibrantes de Jacques Barthélémy, AG2R pourrait bien avoir creusé la tombe des désignations, même au niveau communautaire. Mais parfois, l’on devient si gros que l’on se croit tout permis.  

 

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