Les institutions de la Vè République, parce qu’elles donnent une importance démesurée à la vie interne des partis politiques, fragilisent plus que jamais la cohérence des politiques économiques. Le gouvernement actuel en donne un nouvel exemple avec ses changements de pied permanents observés ces derniers jours.
Atermoiements sur le contrat de travail
Dès la semaine dernière, le gouvernement multipliait les déclarations contradictoires sur son intention ou non de réformer le contrat de travail pour l’assouplir. Le MEDEF avait “ouvert le feu” en suggérant l’extension du contrat de mission ce qui revenait à promouvoir un CDI à durée déterminée. Après avoir donné le sentiment de soutenir cette idée, notamment par des déclarations d’Emmanuel Macron, Manuel Valls a repoussé le débat au mois de juin. Entretemps, Laurent Berger a déclaré que le droit du travail n’était pas “sacré”, mais que le sujet de la réforme du contrat ne se posait pas encore.
Doutes sur le pacte de responsabilité
En début de semaine, Pierre Gattaz donnait une interview au Figaro qui sonnait comme un avertissement au gouvernement sur la nécessité d’aller au bout du pacte de responsabilité. Le président du MEDEF a vu venir le danger: depuis la semaine précédente, François Hollande a donné d’évidents signaux d’amollissement. Après ses annonces sur la création d’un fonds de 500 millions d’euros, financé par les assureurs, pour aider les PME, le Président de la République a semé le doute sur le ciblage des baisses de charge au profit des entreprises en difficulté. Dans la foulée, le gouvernement annonçait son intention de favoriser l’investissement en raccourcissant les délais d’amortissement.
Cette évolution encore floue présage-t-elle une remise en cause des grandes orientations gouvernementales sur les gestes fiscaux à destination des entreprises?
L’enjeu du congrès du Parti Socialiste
Ces atermoiements du gouvernement ont une explication cachée: un congrès du Parti Socialiste se prépare, en juin, à Poitiers, et les frondeurs risquent d’y remporter la majorité si Martine Aubry les rejoint. La fille de Jacques Delors est parvenue à s’imposer comme l’arbitre de la majorité au sein du parti. Or, elle a menacé de “lâcher” François Hollande (qu’elle estime peu et qu’elle a dans le meilleur des cas soutenu du bout des lèvres) si le Président ne se rendait pas à certains de ses arguments: soutien aux PME (accordé par François Hollande), gonflement des interventions de la BPI (8 milliards de plus accordés par François Hollande), ciblage des aides sur les entreprises (non encore acté, mais source d’effroi pour le MEDEF), soutien à l’investissement (accordé), mais aussi clôture du débat sur les 35 heures et le contrat de travail.
On le voit: le poids des partis politiques, reconnu par la constitution de la Vè République, devient ici un boulet à traîner pour le gouvernement.
Le droit à la réélection des présidents de la République au coeur du débat
Si le congrès du Parti Socialiste prend une telle importance pour le Président de la République, c’est évidemment parce qu’il veut être candidat à sa propre succession en 2017. Deux ans avant l’élection présidentielle, l’action du gouvernement est donc d’ores et déjà stérilisée par des jeux internes. En l’espèce, François Hollande sait que si le parti lui échappe et tombe entre les mains des frondeurs, il y a peu de chances pour qu’il puisse non seulement être réélu mais même être candidat. Les frondeurs disposeront en effet d’une tribune irremplaçable pour promouvoir l’idée d’une primaire que François Hollande ne serait pas du tout sûr de gagner. Et quand bien même il la gagnerait, sa candidature serait plombée par le doute que son propre parti aurait exprimé sur la légitimité de sa candidature.
Il est donc vital pour lui que Jean-Christophe Cambadélis reste premier secrétaire et que les frondeurs restent minoritaires lors du congrès de Poitiers. Evidemment, si un président n’avait pas le droit de se présenter à sa propre succession, en tout cas immédiatement après son mandat, le problème se poserait tout autrement…
Les institutions de la Vè République à bout de souffle
On peut penser ce qu’on veut de la politique gouvernementale, et se réjouir comme se lamenter de la mise entre parenthèses des réformes prévues par Manuel Valls. Il n’en reste pas moins que le gouvernement entame sa descente vers l’aéroport des présidentielles de 2017, qu’il ralentit d’ores et déjà l’allure et que la politique entamée il y a un an et qui n’a guère donné lieu à de spectaculaires réformes est désormais muselée. Le contenu de la politique menée n’est pas ici en cause, c’est sa cohérence qui est au centre du débat.
Rappelons que les candidats du Parti Socialiste ont recueilli moins de 4 millions de voix aux élections départementales, pour un corps électoral d’environ 40 millions d’électeurs. Autrement dit, le gouvernement peut se targuer d’avoir recueilli moins de 10% des suffrages aux dernières élections. Malgré cette débâcle, les institutions de la Vè République (par réaction au laissez-aller de la IVè) ont mis en place des procédures qui permettent de gouverner à la majorité absolue sans contrepoids. Le grand point faible de cet édifice est qu’il repose sur une puissance des partis politiques qui suspend la cohérence des actions gouvernementales à des arrangements de couloir avant les congrès.
Certains ont très justement remarqué que la France profite moins que ses partenaires de la relative reprise économique en Europe. On peut aujourd’hui se demander si le principal obstacle à cette reprise nationale ne tient pas à des institutions obsolètes qui permettent à un gouvernement de diriger en s’appuyant sur moins de 10% des électeurs, et sur une poignée de militants coupés des réalités.