La CJUE vient de rendre une décision importante en matière d’égalité de traitement relative au bénéfice de l’aide sociale. La décision oppose les nationaux aux travailleurs étrangers vivant dans un même pays européen.
Le cas italien soumis à la CJUE
Dans le cas soumis à la CJUE, le gouvernement italien refuse d’attribuer une aide sociale à une ressortissante d’un Etat membre de l’UE au motif que cette dernière n’a pas de permis de séjour de résident longue durée.
La ressortissante ne dispose que d’un permis unique de travail d’une durée supérieure à six mois.
L’aide sociale en cause est une allocation versée par le gouvernement italien aux ménages ayant au moins trois enfants mineurs et dont les revenus sont inférieurs à une limite prévue par la loi Italienne.
Respectant toutes les conditions, la ressortissante a donc introduit une action civile pour discrimination devant les juridictions compétentes.
A travers ce recours, elle entend obtenir d’une part, le paiement de la somme de 1 833,26€ au titre de l’allocation de l’année en cours et d’autre part, que lui soit reconnue le droit à cette aide sociale pour les années suivantes.
Ces demandes ont été rejetées par les tribunaux aux motifs que la réglementation italienne n’inclut pas les pensions alimentaires parmi les aides sociales à la charge de la collectivité et que rien ne peut prouver que la requérante vivait légalement en Italie depuis au moins cinq ans.
La requérante a alors effectué un second recours devant la juridiction de renvoi.
La juridiction de renvoi ayant des doutes quant à la compatibilité du droit italien avec le droit de l’Union européenne, celle-ci décide de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la CJUE.
L’aide sociale doit être versée, sauf dérogation !
La première question préjudicielle de la juridiction de renvoi est de savoir si une aide sociale telle que celle en question doit être considérée comme une aide sociale relevant des prestations familiales.
Pour répondre à cette question, la CJUE définit les prestations familiales comme toutes prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille, à l’exclusion des avances sur pensions alimentaires et des allocations spéciales de naissance ou d’adoption.
En l’espèce, l’aide sociale en cause est une somme d’argent visant à compenser les charges de famille. Elle est versée chaque année aux bénéficiaires qui en font la demande dès lors que les conditions liées au nombre d’enfants mineurs et aux revenus sont respectées.
Par conséquent, selon la CJUE, l’allocation en faveur des ménages ayant au moins trois enfants mineurs constitue une aide sociale relevant des prestations familiales.
La deuxième question de la juridiction de renvoi est de savoir si une réglementation nationale peut refuser, à un ressortissant étranger titulaire « d’un permis unique de travail », le bénéfice d’une aide sociale même si ce dernier respecte toutes les conditions d’octroi.
Sur cette question, la CJUE commence par préciser qu’il est reconnu aux Etats membres de l’UE certaines dérogations au droit à l’égalité de traitement. Il revient donc aux Etats qui entendent s’en prévaloir de l’exprimer clairement, ce que n’aurait pas fait l’Italie.
En effet, les limitations excluant les ressortissants étrangers du bénéfice des aides sociales prévues par le droit italien datent d’avant la directive qui a créé les dérogations ! Or, la Cour souligne que l’Italie aurait dû manifester son désir de bénéficier des dérogations spécifiques lors de la transposition de la directive.
La CJUE en déduit que le ressortissant d’un pays tiers, titulaire d’un permis unique ne peut être exclu du bénéfice de l’aide sociale en cause par une réglementation nationale. En revanche cette exclusion pourrait être admise dès lors que le pays membre a fait part de sa volonté de mettre en œuvre les dérogations prévues par la directive européenne.
Retrouvez ci-après l’intégralité de l’arrêt de la CJUE
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 (JO 2009, L 284, p. 43) (ci -après le « règlement n° 883/2004 »), et de l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre (JO 2011, L 343, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Kerly Del Rosario Martinez Silva à l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) (Institut national de prévoyance sociale, Italie) et au Comune di Genova (commune de Gênes, Italie), au sujet du rejet d’une demande tendant à l’octroi d’une allocation en faveur des ménages ayant au moins trois enfants mineurs (ci-après l’« ANF »).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Un « permis de séjour de résident de longue durée – CE » est, selon l’article 2, sous g), de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44), un titre de séjour qui est délivré par l’État membre concerné lors de l’acquisition du statut de résident de longue durée prévu par cette directive.
4 L’article 2 de la directive 2011/98, intitulé « Définitions », énonce :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “ressortissant d’un pays tiers” : une personne qui n’est pas citoyen de l’Union au sens de l’article 20, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
b) “travailleur issu d’un pays tiers” : un ressortissant d’un pays tiers qui a été admis sur le territoire d’un État membre, y réside légalement et est autorisé, dans le cadre d’une relation rémunérée, à travailler dans cet État membre conformément au droit national ou à la pratique nationale ;
c) “permis unique” : un titre de séjour délivré par les autorités d’un État membre, qui permet à un ressortissant d’un pays tiers de résider légalement sur le territoire de cet État membre pour y travailler ;
[…] »
5 L’article 3, paragraphe 1, de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit :
« La présente directive s’applique aux :
[…]
c) ressortissants de pays tiers qui ont été admis dans un État membre aux fins d’y travailler conformément au droit de l’Union ou national. »
6 Aux termes de l’article 12 de ladite directive, intitulé « Droit à l’égalité de traitement » :
« 1. Les travailleurs issus de pays tiers visés à l’article 3, paragraphe 1, points b) et c), bénéficient de l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre où ils résident en ce qui concerne :
[…]
e) les branches de la sécurité sociale, telles que définies dans le règlement (CE) n° 883/2004 ;
[…]
2. Les États membres peuvent prévoir des limites à l’égalité de traitement :
[…]
b) en limitant les droits conférés au titre du paragraphe 1, point e), aux travailleurs issus de pays tiers mais en ne restreignant pas ces droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui occupent un emploi ou qui ont occupé un emploi pendant une période minimale de six mois et qui sont inscrits comme chômeurs.
En outre, les États membres peuvent décider que le paragraphe 1, point e), relatif aux prestations familiales, ne s’applique pas aux ressortissants de pays tiers qui ont été autorisés à travailler sur le territoire d’un État membre pour une période ne dépassant pas six mois, ni aux ressortissants de pays tiers qui ont été admis afin de poursuivre des études ou aux ressortissants de pays tiers qui sont autorisés à travailler sous couvert d’un visa ;
[…] »
7 Selon l’article 1er, sous z), du règlement n° 883/2004, le terme « prestations familiales » désigne toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille, à l’exclusion des avances sur pensions alimentaires et des allocations spéciales de naissance ou d’adoption visées à l’annexe I de ce règlement.
8 L’article 3, paragraphe 1, sous j), dudit règlement prévoit que ce dernier s’applique à toutes les législations relatives aux prestations familiales. Il ne s’applique pas, selon le paragraphe 5, sous a), de cet article, à l’assistance sociale et médicale.
Le droit italien
9 Il ressort de la décision de renvoi que, en vertu de l’article 65 de la legge n. 448 – Misure di finanza pubblica per la stabilizzazione e lo sviluppo (loi n° 448, portant dispositions de finances publiques pour la stabilisation et le développement), du 23 décembre 1998 (supplément ordinaire à la GURI n° 210, du 29 décembre 1998, ci-après la « loi n° 448/1998 »), les ménages composés d’au moins trois enfants de moins de 18 ans dont les revenus sont inférieurs à une certaine limite (25 384,91 euros en 2014) perçoivent l’ANF. Le montant mensuel de celle-ci était, s’agissant de l’année 2014, de 141,02 euros.
10 Initialement réservée aux seuls ressortissants italiens, l’ANF a été étendue aux ressortissants de l’Union européenne au cours de l’année 2000, puis aux ressortissants des pays tiers bénéficiant du statut de réfugié politique ou de la protection subsidiaire au cours de l’année 2007 et, enfin, par l’article 13 de la legge n. 97 – Disposizioni per l’adempimento degli obblighi derivanti dall’appartenenza dell’Italia all’Unione europea – Legge europea 2013 (loi n° 97, portant dispositions pour l’exécution des obligations résultant de l’appartenance à l’Union européenne – Loi européenne 2013), du 6 août 2013 (GURI n° 194, du 20 août 2013), aux titulaires d’un permis de séjour de longue durée et aux familles des ressortissants de l’Union.
11 La transposition de la directive 2011/98 en droit interne a fait l’objet du decreto legislativo n. 40 – Attuazione della direttiva 2011/98/UE relativa a una procedura unica di domanda per il rilascio di un permesso unico che consente ai cittadini di Paesi terzi di soggiornare e lavorare nel territorio di uno Stato membro e a un insieme comune di diritti per i lavoratori di Paesi terzi che soggiornano regolarmente in uno Stato membro (décret législatif n° 40, portant transposition de la directive 2011/98), du 4 mars 2014 (GURI n° 68, du 22 mars 2014), qui a instauré un « permis unique de travail ».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 Mme Martinez Silva, ressortissante d’un pays tiers, réside dans la commune de Gênes et est titulaire d’un permis unique de travail d’une durée supérieure à six mois. Étant mère de trois enfants de moins de 18 ans et ses revenus étant inférieurs à la limite prévue par la loi n° 448/1998, elle a sollicité, au cours de l’année 2014, l’attribution de l’ANF, laquelle lui a été refusée au motif qu’elle n’avait pas de permis de séjour de résident de longue durée ‑ CE.
13 Elle a alors engagé, devant le Tribunale di Genova (tribunal de Gênes, Italie), une action civile pour discrimination à l’encontre de la commune de Gênes et de l’INPS aux fins d’obtenir le paiement de la somme de 1 833,26 euros pour l’année 2014 et la reconnaissance de son droit à cette allocation pour les années suivantes, en faisant valoir que ce refus était contraire à l’article 12 de la directive 2011/98. Ces demandes ont été rejetées par une ordonnance du 18 août 2015 aux motifs que les dispositions du règlement n° 883/2004 invoquées étaient de nature purement programmatique, que ce règlement n’incluait pas les pensions alimentaires parmi les prestations de sécurité sociale à la charge de la collectivité et qu’il n’était pas prouvé que Mme Martinez Silva se trouvait légalement en Italie depuis au moins cinq ans.
14 La Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes, Italie), saisie en appel, expose qu’elle entretient des doutes quant à la compatibilité de l’article 65 de la loi n° 448/1998 avec le droit de l’Union, cette disposition ne permettant pas à un ressortissant d’un pays tiers, titulaire d’un permis unique, d’obtenir l’ANF, contrairement au principe d’égalité de traitement énoncé à l’article 12 de la directive 2011/98.
15 La juridiction de renvoi expose, tout d’abord, que l’ANF est une prestation en espèces, destinée à compenser les charges de famille, accordée aux familles qui en ont particulièrement besoin eu égard à leur nombre d’enfants et à leurs conditions économiques. Cette prestation lui semble relever de celles visées à l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement n° 883/2004, étant précisé qu’elle n’est pas une avance sur pensions alimentaires et n’est pas non plus de celles visées à l’annexe I de ce règlement.
16 En se référant à l’arrêt du 24 avril 2012, Kamberaj (C‑571/10, EU:C:2012:233), la juridiction de renvoi considère, ensuite, qu’aucune des limitations au principe d’égalité de traitement prévues à l’article 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 2011/98 n’est applicable dans l’affaire au principal, dès lors que la République italienne n’a pas entendu se prévaloir de la faculté, prévue par cette disposition, de limiter l’application de ce principe et que, au surplus, Mme Martinez Silva ne se trouve dans aucune des situations visées au second alinéa de cette disposition, étant titulaire d’un permis unique de travail d’une durée supérieure à six mois. Elle estime que l’intéressée fait donc partie des personnes auxquelles le principe d’égalité de traitement s’applique.
17 C’est dans ces conditions que la Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Une prestation telle que celle prévue à l’article 65 de la loi n° 448/1998, dénommée [ANF], constitue-t-elle une prestation familiale, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement (CE) n° 883/2004 ?
2) Dans l’affirmative, le principe d’égalité de traitement, consacré par l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98/UE, s’oppose-t-il à une réglementation telle que la réglementation italienne en vertu de laquelle un travailleur d’un pays tiers, titulaire d’un “permis unique de travail” (d’une durée supérieure à six mois) ne peut pas bénéficier de l’[ANF], même s’il vit avec au moins trois enfants mineurs et a des revenus inférieurs à la limite légale ?
Sur les questions préjudicielles
18 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12 de la directive 2011/98 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le ressortissant d’un pays tiers, titulaire d’un permis unique, au sens de l’article 2, sous c), de cette directive, ne peut obtenir le bénéfice d’une prestation telle que l’ANF instaurée par la loi n° 448/1998.
19 L’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98 prévoyant que les travailleurs issus de pays tiers visés à l’article 3, paragraphe 1, sous b), et sous c), de cette directive bénéficient de l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre où ils résident en ce qui concerne les branches de la sécurité sociale, telles que définies dans le règlement n° 883/2004, il convient d’examiner en premier lieu, ainsi que le suggère la juridiction de renvoi, si une prestation telle que l’ANF constitue une prestation de sécurité sociale, relevant des prestations familiales visées à l’article 3, paragraphe 1, sous j), de ce règlement, ou si elle constitue une prestation d’assistance sociale, exclue du champ d’application dudit règlement en vertu de l’article 3, paragraphe 5, sous a), de celui-ci, comme le soutient le gouvernement italien.
20 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi que la Cour l’a itérativement jugé dans le cadre du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO 1971, L 149, p. 2), la distinction entre prestations exclues du champ d’application du règlement n° 883/2004 et prestations qui en relèvent repose essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment ses finalités et ses conditions d’octroi, et non pas sur le fait qu’une prestation est qualifiée ou non par une législation nationale de prestation de sécurité sociale (voir en ce sens, notamment, arrêts du 16 juillet 1992, Hughes, C‑78/91, EU:C:1992:331, point 14 ; du 20 janvier 2005, Noteboom, C‑101/04, EU:C:2005:51, point 24, et du 24 octobre 2013, Lachheb, C‑177/12, EU:C:2013:689, point 28). Une prestation peut être considérée comme une prestation de sécurité sociale si elle est octroyée aux bénéficiaires en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, sur la base d’une situation légalement définie, et si elle se rapporte à l’un des risques expressément énumérés à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 (voir en ce sens, notamment, arrêts du 16 juillet 1992, Hughes, C‑78/91, EU:C:1992:331, point 15 ; du 15 mars 2001, Offermanns, C‑85/99, EU:C:2001:166, point 28, ainsi que du 19 septembre 2013, Hliddal et Bornand, C‑216/12 et C‑217/12, EU:C:2013:568, point 48).
21 La Cour a déjà précisé que le mode de financement d’une prestation et, notamment, le fait que son octroi n’est soumis à aucune condition de cotisation sont sans importance pour la qualification de celle-ci en tant que prestation de sécurité sociale (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 1992, Hughes, C‑78/91, EU:C:1992:331, point 21 ; du 15 mars 2001, Offermanns, C‑85/99, EU:C:2001:166, point 46, et du 24 octobre 2013, Lachheb, C‑177/12, EU:C:2013:689, point 32).
22 Par ailleurs, le fait qu’une prestation est accordée ou refusée au regard des revenus et du nombre d’enfants n’implique pas que son octroi dépende d’une appréciation individuelle des besoins personnels du demandeur, caractéristique de l’assistance sociale, dans la mesure où il s’agit de critères objectifs et légalement définis qui, dès lors qu’ils sont remplis, ouvrent droit à cette prestation sans que l’autorité compétente puisse tenir compte d’autres circonstances personnelles (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 1992, Hughes, C‑78/91, EU:C:1992:331, point 17). Ainsi, des prestations accordées automatiquement aux familles qui répondent à certains critères objectifs portant notamment sur leur taille, leurs revenus et leurs ressources en capital, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, et qui visent à compenser les charges de famille, doivent être considérées comme des prestations de sécurité sociale (arrêt du 14 juin 2016, Commission/Royaume-Uni, C‑308/14, EU:C:2016:436, point 60).
23 Quant à la question de savoir si une prestation donnée relève des prestations familiales visées à l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement n° 883/2004, il y a lieu de relever que, selon l’article 1er, sous z), de ce règlement, les termes « prestations familiales » désignent toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille, à l’exclusion des avances sur pensions alimentaires et des allocations spéciales de naissance ou d’adoption visées à l’annexe I de ce règlement. La Cour a déjà jugé que les termes « compenser les charges de famille » doivent être interprétés en ce sens qu’ils visent, notamment, une contribution publique au budget familial, destinée à alléger les charges découlant de l’entretien des enfants (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2013, Hliddal et Bornand, C‑216/12 et C‑217/12, EU:C:2013:568, point 55 et jurisprudence citée).
24 S’agissant de la prestation en cause dans l’affaire au principal, il ressort du dossier soumis à la Cour que, d’une part, l’ANF est versée aux bénéficiaires qui en font la demande dès lors que les conditions liées au nombre d’enfants mineurs et aux revenus prévues à l’article 65 de la loi n° 448/1998 sont réunies. Cette prestation est, par conséquent, octroyée en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels du demandeur, sur la base d’une situation légalement définie. D’autre part, l’ANF consiste en une somme d’argent versée chaque année auxdits bénéficiaires et visant à compenser les charges de famille. Il s’agit donc bien d’une prestation en espèces destinée, au moyen d’une contribution publique au budget familial, à alléger les charges découlant de l’entretien des enfants.
25 Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’une prestation telle que l’ANF constitue une prestation de sécurité sociale, relevant des prestations familiales visées à l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement n° 883/2004.
26 Dès lors, il convient d’examiner, en second lieu, si le ressortissant d’un pays tiers, titulaire d’un permis unique au sens de l’article 2, sous c), de la directive 2011/98, peut être exclu du bénéfice d’une telle prestation par une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.
27 À cet égard, il ressort de l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), de celle-ci, que doivent notamment bénéficier de l’égalité de traitement prévue à la première de ces dispositions les ressortissants de pays tiers qui ont été admis dans un État membre aux fins d’y travailler conformément au droit de l’Union ou au droit national. Or, tel est le cas d’un ressortissant d’un pays tiers, titulaire d’un permis unique, au sens de l’article 2, sous c), de cette directive, puisque, en vertu de cette disposition, ce permis permet à un tel ressortissant de résider légalement sur le territoire de l’État membre qui l’a délivré, pour y travailler.
28 Toutefois, en vertu de l’article 12, paragraphe 2, sous b), premier alinéa, de la directive 2011/98, les États membres peuvent limiter les droits conférés au titre de l’article 12, paragraphe 1, sous e), de cette directive aux travailleurs issus de pays tiers, sauf à l’égard de ceux qui occupent un emploi ou qui ont occupé un emploi pendant une période minimale de six mois et qui sont inscrits comme chômeurs. En outre, conformément à l’article 12, paragraphe 2, sous b), second alinéa, de ladite directive, les États membres peuvent décider que l’article 12, paragraphe 1, sous e), de celle-ci, relatif aux prestations familiales, ne s’applique pas aux ressortissants de pays tiers qui ont été autorisés à travailler sur le territoire d’un État membre pour une période ne dépassant pas six mois ainsi qu’aux ressortissants de pays tiers qui ont été admis à séjourner sur ce territoire afin de poursuivre des études ou aux ressortissants de pays tiers qui sont autorisés à y travailler sous couvert d’un visa.
29 Ainsi, à l’instar de la directive 2003/109, la directive 2011/98 prévoit, en faveur de certains ressortissants de pays tiers, un droit à l’égalité de traitement, qui constitue la règle générale, et énumère les dérogations à ce droit que les États membres ont la faculté d’établir. Ces dérogations ne sauraient dès lors être invoquées que si les instances compétentes dans l’État membre concerné pour la mise en œuvre de cette directive ont clairement exprimé qu’elles entendaient se prévaloir de celles-ci (voir, par analogie, arrêt du 24 avril 2012, Kamberaj, C‑571/10, EU:C:2012:233, points 86 et 87).
30 Or, la juridiction de renvoi relève que la République italienne n’a pas entendu se prévaloir de la faculté de limiter l’égalité de traitement en ayant recours aux dérogations prévues à l’article 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 2011/98, puisqu’elle n’a pas manifesté une telle volonté de quelque manière que ce soit. Dès lors, les dispositions de la réglementation italienne limitant le bénéfice de l’ANF, s’agissant des ressortissants de pays tiers, aux titulaires d’un permis de séjour de longue durée et aux familles des ressortissants de l’Union, au demeurant adoptées antérieurement à la transposition de ladite directive en droit interne ainsi qu’il ressort des points 10 et 11 du présent arrêt, ne sauraient être considérées comme mettant en œuvre les limitations au droit à l’égalité de traitement que les États membres ont la faculté d’instaurer en vertu de la même directive.
31 Il s’ensuit que le ressortissant d’un pays tiers, titulaire d’un permis unique, au sens de l’article 2, sous c), de la directive 2011/98, ne peut être exclu du bénéfice d’une prestation telle que l’ANF par une telle réglementation nationale.
32 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 12 de la directive 2011/98 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le ressortissant d’un pays tiers, titulaire d’un permis unique, au sens de l’article 2, sous c), de cette directive, ne peut obtenir le bénéfice d’une prestation telle que l’ANF instaurée par la loi n° 448/1998.
Sur les dépens
33 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
L’article 12 de la directive 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le ressortissant d’un pays tiers, titulaire d’un permis unique, au sens de l’article 2, sous c), de cette directive, ne peut obtenir le bénéfice d’une prestation telle que l’allocation en faveur des ménages ayant au moins trois enfants mineurs instaurée par la legge n. 448 – Misure di finanza pubblica per la stabilizzazione e lo sviluppo (loi n° 448, portant dispositions de finances publiques pour la stabilisation et le développement), du 23 décembre 1998.