Sur quelles bases reconstruire un paritarisme d’avenir?

Face aux menaces que les réformes d’Emmanuel Macron font peser sur le paritarisme de gestion, comment réagir? Son démantèlement est-il inévitable? Faut-il se résigner à le voir dépouillé de tous ses attributs et transformé en une sorte de “réserve d’Indiens” totalement satellisé par l’État? Nous proposons ici une solution alternative, en détaillant quelque peu les limites qu’il doit respecter pour subsister en tant que force agissante.

Massivement, durant les années 90, les partenaires sociaux ont fait un choix inverse à celui opéré par leurs homologues en Allemagne. Au lieu d’intégrer les contraintes du traité de Maastricht, notamment en termes d’ouverture forcée à la concurrence, ils ont opté pour des régimes de solidarité obligatoires qui les ont dangereusement rapprochés d’un statut de sécurité sociale. L’affaire des désignations a fait éclater au grand jour l’insoutenabilité du dilemme que ce choix posait, dès lors que les partenaires sociaux entendaient se servir de ces systèmes obligatoires pour conquérir des parts de marché sur le secteur concurrentiel. 

En l’état, on voit bien que le paritarisme de gestion ne pourra éternellement conserver des activités concurrentielles sans admettre des réformes systémiques intégrant les prescriptions du droit communautaire. Quelques points de préambule méritent ici d’être rappelés. 

Pourquoi la révolution numérique rend indispensable le paritarisme

Il faudrait être aveugle pour ne pas mesurer les changements profonds sur les relations professionnelles et industrielles que la révolution numérique produit. Le simple exemple de l’ubérisation, c’est-à-dire la numérisation de l’intermédiation dans le commerce, en est une sorte de caricature. Les artisans taxi qui cabotaient dans les rues de Paris et percevaient ainsi la valeur de leur course sont mis en concurrence avec des applications qui optimisent le cabotage, en captent la valeur, et externalisent les coûts de main-d’oeuvre. Là où des solidarités existaient, elles sont peu à peu remplacées par une individualisation à outrance de la relation professionnelle. Un maquis d’auto-entrepreneurs remplacent les bataillons structurés de travailleurs. 

On peut penser que, dans les dix années à venir, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Face aux excès prévisibles de cette individualisation à l’extrême, un système de solidarité collective s’imposera pour rééquilibrer le rapport de force non plus entre employeurs et salariés, mais entre donneurs d’ordres et prestataires individuels de service. Penser à long terme la révolution numérique suppose donc de penser aussi la révolution du paritarisme, qui sera vitale pour réguler la violence des rapports de force entre les partenaires futurs de l’économie. 

Le paritarisme de demain devra en revanche intégrer les modifications structurelles des modes de production. La place du salariat risque d’y être progressivement compromise, ou, en tout cas, substantiellement modifiée au profit d’une atomisation des statuts et des parcours. 

Les relations collectives de travail appelleront-elles encore des solidarités professionnelles?

Il est évidemment beaucoup trop tôt pour savoir exactement quelles seront les données de contexte qui s’imposeront le moment venu. En revanche, on voit bien les tentations qui existent aujourd’hui pour régir ces nouvelles solidarités. La réforme de l’assurance chômage initiée par Emmanuel Macron, qui intègre par exemple les travailleurs indépendants et leur ouvre droit à des prestations de remplacement est un signal majeur. Elle montre que l’État se considère comme prêt aujourd’hui à se transformer en compagnie d’assurance universelle pour les personnes, et à mettre dans un grand melting pot fiscalisé tous les assurés, quel que soit leur statut. 

Pour les partenaires sociaux, le défi est de taille. Face à la menace de cette protection sociale étatisée, jacobine en quelque sorte, le maintien d’un glacis de branches professionnelles risque d’être de plus en plus compliqué à expliquer. Et face à la multiplication des mobilités professionnelles dans un monde de plus en plus mouvant, un système universel a toute chance d’être beaucoup plus facilement compris par les assurés sociaux que des dispositifs morcelés selon le rattachement du contrat de travail à une convention collective. 

D’une certaine façon, l’affectio societatis par convention collective tel qu’il domine le dialogue social en France risque de manquer de reprise dans les cols et côtes qui s’annoncent. Cet élément est majeur pour penser l’avenir du paritarisme de gestion. Peut-être le moment est-il venu d’accorder moins d’importance à la notion de rattachement professionnel, et d’accorder plus d’importance aux garanties elles-mêmes, au service concret rendu à la personne par la solidarité obligatoire. 

Or comme nous avons commencé à l’écrire depuis quelques semaines, on constate par exemple que la négociation d’accords de branche en protection sociale complémentaire n’est suivie d’aucune obligation de conformité concrète pour les entreprises souscriptrices. Dans la pratique, les groupes paritaires se battent donc pour obtenir des accords qui les recommandent, mais personne ne se soucie vraiment de leur application réelle. C’est probablement l’inverse qu’il faudrait faire aujourd’hui, sans quoi les salariés percevront encore moins bien qu’aujourd’hui l’intérêt des accords de branche. 

Renouveler une “profession de foi” en faveur des organismes complémentaires

Dans tous les cas, l’intérêt vital du paritarisme de gestion est de mettre l’accent sur l’utilité d’un système dual de protection sociale, fondé sur un acteur monopolistique pour le risque de base et des acteurs complémentaires capables de mitiger le risque ou d’en améliorer la prise en charge. Cette pédagogie sur l’intérêt pour les salariés de conserver des acteurs complémentaires est déterminante pour la survie des solidarités professionnelles. Sans elle, se passera ce qui commence à se passer aujourd’hui: au nom de la simplification, de la lisibilité des systèmes et des garanties, l’État absorbera les acteurs complémentaires avec d’autant plus d’appétit que ceux-ci font l’éloge de l’affiliation obligatoire et du monopole, exactement comme la sécurité sociale. 

L’avenir d’une solidarité paritaire passe donc aujourd’hui par l’inversion des logiques dominantes depuis une vingtaine d’années, telles qu’elles se sont dégagées dans le sillage des “idéologues” à la Jacques Barthélémy. Plus les paritaires ont fait l’éloge de la solidarité monopolistique contre le jeu de la concurrence, plus ils ont creusé leur tombe. Il est vital pour eux désormais d’expliquer en quoi l’introduction, comme en Allemagne (et au Royaume-Uni, au demeurant), d’une concurrence dans la protection sociale est bénéfique pour les assurés. 

Ce point de doctrine est d’ailleurs le plus urgent, le plus immédiat, tant s’est imposée dans l’opinion l’équation fausse selon laquelle l’intérêt général et la qualité de soins ou de prise en charge passent par le monopole. 

Savoir être vraiment européen

Les lignes qui précèdent ne sont que la déclinaison de la réglementation européenne telle qu’elle est pratiquée depuis le traité de Maastricht. Les partenaires sociaux doivent choisir entre un modèle fondé sur la solidarité, qui les condamne à une satellisation autour de l’État, à une finlandisation comme on disait à l’époque du mur de Berlin, et un modèle acceptant la concurrence et la fin d’un privilège accordé à la solidarité professionnelle. Faute de ce choix, le droit communautaire imposera de fait la disparition du paritarisme de gestion. 

C’est le paradoxe des partenaires sociaux français. Beaucoup d’entre eux (par exemple à la CFDT), ne tarissent pas d’éloge sur l’Europe, source de paix, de progrès, et autres niaiseries qui n’occupent plus les esprits qu’en France. Mais, ce faisant, ils sont généralement les derniers à accepter les conséquences concrètes de cet engagement européen, particulièrement en termes de respect de la libre concurrence. 

Il faut aujourd’hui choisir simplement: si le paritarisme de gestion veut subsister, il doit mettre en oeuvre le droit communautaire et accepter de dissocier les partenaires sociaux de branche et les acteurs assurantiels. Ou alors il assume consciemment sa disparition programmée au profit d’un grand système public de nature étatique. 

S’assumer comme assureur

Une étape dans le processus de choix entre ces deux hypothèses passe forcément par la décision de mettre de justes mots sur les choses. Cette étape concerne d’ailleurs autant la mutualité que le monde paritaire. Les acteurs de ces deux mondes peinent en effet à se reconnaître dans le métier d’assureur qu’ils exercent pourtant. 

Rien ne vaut un bon banquet républicain avec des administrateurs mutualistes ou paritaires pour comprendre ce désastre et cet étrange déni narcissique. Ces banquets commencent d’ordinaire par une longue complainte sur l’excès de réglementation publique qui diminue jour après jour l’autonomie des acteurs. Mais ce regret (justifié) est d’ordinaire suivi par une diatribe contre les méchants assureurs privés qui risqueraient de tirer profit de cette situation. La récente campagne de la FNMF sur les “vraies mutuelles” souligne bien cette difficulté à se fondre dans la profession d’assureur. 

Pourtant, il n’existe aucune différence de nature dans la gestion du risque, qu’elle soit étatique, paritaire, mutualiste ou privée. La sécurité sociale exerce un métier d’assureur, comme les mutuelles, les compagnies ou les institutions paritaires. C’est seulement la composition capitalistique qui change, et les conséquences de plus en plus formelles qu’on en tirer sur la place de l’assuré. On connaît ici les discours sur “un assuré égale une voix”, ou sur les cotisants et les adhérents qui ne sont pas des clients. La pratique réelle de chacune des institutions n’a pas permis aujourd’hui aux assurés de comprendre la différence effective entre les acteurs en question. Les entreprises qui subissent aujourd’hui des résiliations forcées de la part de certains groupes paritaires pourraient en témoigner. 

Dans tous les cas, tous ces acteurs vendent des contrats d’assurance, même s’ils refusent, pour des raisons de marketing, de porter l’étiquette d’assureurs. 

Pour une union sacrée des familles

Dans cet ensemble mouvant, en ébullition, il faut savoir faire contre mauvaise fortune bon coeur. L’avenir du paritarisme peut difficilement passer par la recherche d’un statu quo. L’heure vient d’un choix fondamental entre l’étatisation et l’acceptation, au moins pour les activités de prévoyance, d’une union sacrée avec les autres familles assurantielles pour défendre la légitimité d’acteurs complémentaires dans la protection sociale. Cette légitimité passe par une reconnaissance sans arrière-pensée des bienfaits apportés par la concurrence et le marché. 

Il ne peut s’agir ici d’un éloge sans nuance. Nous savons tous que le marché peut être fâché avec la “compliance” et la “soft law”, et qu’il a besoin d’être encadré, voire d’être régulé pour reprendre des termes galvaudés mais à la mode. Par exemple, l’oubli régulier des garanties de branche négociées par les partenaires sociaux dans les contrats de santé collective témoigne de la difficulté du marché à respecter les règles du jeu sans intervention directe de l’Etat. Nous sommes tout à fait convaincus que, dans ce cas de figure comme dans d’autres, le marché a besoin de garde-fous pour éviter un dumping sur les garanties apportées aux salariés. 

Mais ce garde-fou doit être vécu sans malice. Imaginer que corriger le marché signifie se passer de lui au profit de tambouilles internes opaques dissimulées sous l’étiquette “solidarité” est un réflexe dont on mesure aujourd’hui la toxicité. 

Sur cette base-là, il doit être possible de convaincre les assurés et les salariés de l’intérêt de disposer d’acteurs complémentaires qui interviennent pour améliorer la sécurité sociale. Il doit aussi être possible de fédérer les différentes familles, dans le respect de leurs identités, pour éviter l’étatisation galopante. 

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