La décision de la boulangerie, qui en appelle sans nul doute d’autres dans l’agroalimentaire, de conserver sa clause de désignation AG2R en santé et prévoyance n’en finit pas de questionner le petit monde du paritarisme de l’assurance. BI&T vous propose de revenir sur les caractéristiques principales de ces désignations sur le retour, afin d’en mesurer la portée exacte.
La décision du 13 juin 2013 revisitée
Le renouvellement de la désignation AG2R dans la boulangerie a, logiquement, frappé les esprits, dans la mesure où les désignations ont été interdites par la décision du 13 juin 2013 du Conseil Constitutionnel. Les partenaires sociaux de cette branche, ainsi que l’AG2R, n’ignorent pas cette décision et, dans l’état actuel des choses c’est-à-dire sans décision de justice allant dans ce sens, il n’est pas possible de considérer qu’ils se sont délibérément mis hors-la-loi.
En réalité, il semble plutôt que la boulangerie et l’AG2R se soient autorisés une relecture de la décision du Conseil Constitutionnel. C’est, du moins, ce qui ressort de l’entretien récemment accordé à l’Argus de l’Assurance par André Renaudin, le directeur général de l’AG2R.
Il y insiste d’une part sur le fait que, “aujourd’hui, personne ne viole la loi” et d’autre part, sur le fait que “les partenaires sociaux des branches professionnelles ont le droit de passer des accords en matière de protection sociale, c’est une liberté constitutionnelle, reconnue par l’Union européenne”. Autrement dit, d’après l’AG2R, ce sont les désignations dans leur version la plus radicale : avec extension voire clause de migration, qui ont été censurées en juin 2013.
Toutefois, la possibilité demeurerait intacte pour des syndicats d’employeurs et de salariés de se mettre d’accord sur une désignation n’engageant que leurs propres membres – qui, rappelons-le, ont adhéré librement à leur organisation. En ne conditionnant pas l’entrée en vigueur de l’avenant 114 à son extension, les partenaires sociaux ne se sont-ils pas prononcés dans ce sens ? En somme : la désignation de la boulangerie serait légale car elle ne relève pas de la même logique que les désignations qui ont été retoquées par le Conseil Constitutionnel.
Une désignation juridiquement opposable ?
En développant cette argumentation, l’AG2R et les partenaires sociaux de la boulangerie reconnaissent, certes, d’emblée, que les entreprises qui n’adhèrent pas à la confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF), la chambre patronale signataire de l’avenant, ne sont pas tenues de souscrire au contrat proposé par l’AG2R. Sauf revirement inattendu, les pouvoirs publics ne devraient en effet pas étendre l’avenant 114. L’enjeu concerne dès lors uniquement l’attitude des entreprises qui adhèrent à la CNBPF.
D’après l’AG2R et les signataires de l’avenant, elles doivent adhérer au régime mutualisé de branche. En estimant que c’est aux “tribunaux” de statuer sur “l’application des lois”, André Renaudin sous-entend d’ailleurs que ceux qui s’estimeraient fondés à s’opposer à ce type d’avenants n’ont qu’à ester en justice. Il est vrai qu’il serait intéressant de savoir ce que dit la justice à ce sujet. Il n’est en effet pas tout à fait évident qu’elle puisse s’appuyer sur la seule décision du Conseil Constitutionnel afin de statuer sur un accord entre deux parties libres de contracter.
Ceci étant dit, il est tout aussi loin d’être évident que l’AG2R et les partenaires sociaux de la boulangerie puissent imposer le renouvellement de la désignation aux entreprises qui adhèrent à la CNBPF. Même dans l’hypothèse où, en droit, la désignation de l’AG2R s’appliquerait à elles, il est difficilement concevable que l’assureur soit en capacité de mettre au pas un adhérent de la CNBPF qui aurait contracté chez un autre assureur. Il serait d’abord contraint de s’engager dans des procédures coûteuses et à l’issue incertaine. Plus encore, en termes d’image, de telles procédures auraient un effet déplorable.
Au total, d’un point de vue juridique, il apparaît donc que les désignations du type de celle prévue par l’avenant 114 de la boulangerie ne sont pas vraiment opposables aux employeurs de la branche.
Un symbole politique fort
Ceci ne signifie pourtant pas, loin s’en faut, que ces désignations nouvelle formule seront sans effet dans les branches. Conçues par les partenaires sociaux comme étant un symbole politique fort, elles s’accompagnent, en interne, d’un intense effort de publicité et de promotion. Dans le cas de branches, comme la boulangerie, où l’assureur de référence est déjà très bien implanté dans les entreprises et où le contrat AG2R semble globalement convenir aux salariés, ces campagnes de valorisation des décisions paritaires ont toutes les chances d’être suivies d’effet. Faut-il rappeler que, dans la boucherie artisanale, où la désignation AG2R de 2013 n’a pas été étendue, près de 60 % des employeurs ont fait le choix de l’AG2R ?
En renouvelant leurs désignations santé et prévoyance, les partenaires sociaux de la boulangerie et l’AG2R font le pari que leur autorité dans la branche est suffisamment assise pour leur permettre, dans les faits plutôt qu’en droit, de faire respecter leur décision. Les prochains mois, et leurs lots de démarchages commerciaux de la part des assureurs et des courtiers, diront s’ils ont raison.