La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt intéressant le 15 mars dernier concernant la convention collective applicable dans le cas où une entreprise exerce plusieurs activités.
La décision indique notamment que le juge du fond est seul compétent pour apprécier souverainement l’activité principalement exercée par une entreprise. La détermination de l’activité principalement exercée aurait alors un impact direct sur la convention collective applicable à l’entreprise.
L’activité principale exercée indiquerait la convention collective applicable
L’arrêt de la Cour de cassation indique utilement que d’après l’article L. 2261-2 du code du travail, “la convention collective applicable est celle dont relève l’activité principale exercée par l’employeur“.
Notons d’abord que cet article de loi prête à confusion car personne n’ignore qu’un code APE (qui désigne donc l’activité principalement exercée par une entreprise) est très souvent lié à plusieurs conventions collectives. Dès lors, affirmer que la convention collective applicable découle du code APE de l’entreprise ne semble pas aller de soi.
Comment le juge détermine-t-il l’activité principale exercée d’une entreprise ?
Là où l’arrêt de la Cour de cassation est vraiment intéressant, c’est lorsqu’il donne les grandes lignes du raisonnement que doit suivre le juge du fond pour déterminer l’activité principalement exercée par une entreprise.
En premier lieu, le juge doit déterminer si l’entreprise visée a un caractère commercial.
Si le caractère commercial est bien retenu, alors l’activité principale exercée est celle qui représente le chiffre d’affaires le plus important de l’entreprise.
En revanche, si le caractère commercial n’est pas retenu, l’activité principale exercée est celle qui nécessite la fraction la plus importante du temps de travail des salariés.
L’entrepreneur peut adopter un raisonnement similaire pour choisir le code APE et la convention collective de son entreprise.
Un autre point essentiel est rappelé par l’arrêt de la Cour de cassation et ne doit pas être occulté. La décision précise que les chefs d’entreprises doivent être en mesure d’apporter la preuve que leur activité principale relève du périmètre professionnel de la convention collective dont ils se réclament.
Retrouvez, ci-après, la reproduction de la décision :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que l’association Emergences (l’association) et M. X…, directeur de l’association, ont saisi la juridiction prud’homale en invoquant un harcèlement moral qu’ils auraient subi de la part de divers salariés, au nombre desquels figurait M. Y… ; que le salarié ayant formé des demandes reconventionnelles de rappel de salaires et d’indemnités relatives à l’application rétroactive de la convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs conseils et des sociétés de conseils (Syntec) du 15 décembre 1987, ils se sont désistés de leur demande ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande de reclassement à la position 3. 1 de la convention collective Syntec pour la période du mois de mai 2007 au mois d’octobre 2010, alors selon le moyen :
1°/ que les juges du fond ne peuvent modifier l’objet du litige tel que déterminé par les prétentions des parties exprimées dans leurs conclusions ; que la cour d’appel a énoncé que « M. Y… fait valoir que depuis 2001 le chiffre d’affaires de l’association pour l’activité expertises est bien supérieur à celui de l’activité formation, il souligne que depuis 2002, l’activité formation représente de façon constante plus de 65 % de l’activité totale de l’association et donc son activité principale » ; qu’en statuant ainsi, quand le salarié faisait expressément valoir dans ses dernières écritures que l’activité principale de l’association était l’expertise depuis l’année 2001 et non la formation, la cour d’appel a méconnu les termes du litige, violant l’article 4 du code de procédure civile ;
2°/ qu’il appartient à l’employeur qui se réclame d’une convention collective de branche particulière de rapporter la preuve que son activité principale relève du périmètre professionnel de celle-ci ; qu’en jugeant dès lors que, « faute par le salarié de démontrer que l’activité principale de l’association n’était pas la formation et que la convention Syntec aurait dû s’appliquer avant octobre 2010, il doit être débouté de ses demandes de repositionnement dans cette convention portant sur la période allant de mai 2007 à octobre 2010 », la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du code civil ;
3°/ que subsidiairement, la convention collective applicable est celle correspondant à l’activité principale de l’entreprise ; que, lorsque cette dernière à un caractère commercial, son activité principale est celle qui représente le chiffre d’affaires le plus important ; qu’en relevant, d’une part, que, « l’association réalisant de la formation et des expertises essentiellement auprès des CHSCT, l’appréciation de la nature de son activité principale ne peut résulter du seul examen de son chiffre d’affaire par secteur », d’autre part, que « l’association offrant des prestations d’expertise et de formation qui correspondent à du temps de travail de ses salariés », pour dire que « c’est à partir de la répartition du temps de travail des salariés qu’il convient de déterminer l’activité principale de l’association », quand il résultait de ses propres constatations que l’entreprise, qui offrait aux CHSCT des prestations de formation, d’expertise et d’étude, avait un caractère commercial, de sorte qu’il lui appartenait, pour déterminer son activité principale, de comparer le chiffre d’affaires réalisé par l’activité formations à celui de l’activité expertises-études, la cour d’appel a violé l’article L. 2261-2 du code du travail ;
4°/ que subsidiairement, l’autorité de la chose jugée implique une identité de parties, d’objet et de cause ; que tout salarié est recevable à agir individuellement pour la réalisation des droits qu’il tient d’une convention ou d’un accord collectif de travail, et que l’autorité de chose jugée n’a lieu que dans l’hypothèse où les parties au litige sont les mêmes et agissent en la même qualité ; qu’en retenant qu’« il résulte de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 10 octobre 2011 que si les modalités d’information et de consultation du CE et du CHSCT étaient contestées en revanche le rattachement à Syntec à compter de 2010 ne l’était pas, observation faite que lors de cette instance le CHSCT était représenté par son secrétaire le salarié », quand ce dernier, agissant dans le cadre de ce litige au nom et pour le compte du CHSCT de l’entreprise, n’était pas lui-même partie au litige, de sorte que l’autorité de chose jugée attachée à cette décision ne lui était pas opposable, la cour d’appel a violé l’article 1221-1 du code du travail, ensemble l’article 1351 du code civil ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article L. 2261-2 du code du travail, la convention collective applicable est celle dont relève l’activité principale de l’employeur ; que le caractère principal de cette activité relève de l’appréciation souveraine des juges du fond ;
Et attendu que l’arrêt ne constatant pas que l’employeur avait une activité commerciale, le moyen, en sa troisième branche, manque par le fait qui lui sert de base ; que s’attaquant, en sa dernière branche, à un motif surabondant, il ne tend pour le surplus qu’à contester l’appréciation souveraine par la cour d’appel des éléments de fait et de preuve dont, sans modifier l’objet du litige, elle a déduit le caractère principal, pour la période en cause, de l’activité de l’association relative, non à l’expertise, mais à la formation ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, ci-après annexé :
Attendu que le rejet du premier moyen rend sans portée la première branche du troisième moyen ;
Et attendu que sous le couvert de griefs non fondés d’inversion de la charge de la preuve et de violation de la loi, ce moyen ne tend pour le surplus qu’à contester l’appréciation souveraine par la cour d’appel de l’ensemble des éléments de preuve produits par les deux parties ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l’annexe II à la convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils et sociétés de conseils du 15 décembre 1987 ;
Attendu que pour débouter le salarié de sa demande de reclassement en position 3. 1 de la convention collective Syntec pour la période postérieure au mois d’octobre 2010 ainsi que de ses demandes de rappel de salaire, l’arrêt retient que si l’intéressé verse aux débats diverses attestations de salariés indiquant que les chargés d’expertise avaient une autonomie dans l’exercice de leur mission, il s’agit d’attestations générales mais ne portant pas sur les missions réellement exercées par lui-même, qu’aucun des éléments versés par lui ne permet d’établir qu’il aurait eu une position de commandement ou aurait été en responsabilité de coordonner le travail d’autres cadres comme l’implique la position 3 de la convention Syntec ;
Qu’en se référant à des critères relatifs à d’autres niveaux de classification que celle correspondant à la catégorie 3. 1 revendiquée par le salarié, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il déboute M. Y… de sa demande tendant tant à la reconnaissance, pour la période ayant couru jusqu’à octobre 2010, du niveau 3. 1 prévu par la convention collective Syntec qu’au paiement d’un rappel de salaire à ce titre et en ce qu’il déboute ce salarié de sa demande à titre d’heures supplémentaires et de congés payés pour la période ayant couru jusqu’à ce mois d’octobre 2010, l’arrêt rendu le 27 mars 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points restant en litige, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
Condamne l’association Emergences aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne l’association Emergences à payer à M. Y… la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille dix-sept.