Principe d’égalité de traitement : la décision implacable de la Cour de cassation

Le 29 juin dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt très intéressant qui permet de préciser les contours de l’égalité de traitement au sein d’une entreprise. 

Pour rappel, il est possible d’invoquer l’égalité de traitement si et seulement si les salariés concernés sont placés dans une même situation. 

Ainsi, lorsqu’un employeur engage 2 procédures successives de licenciement économique ainsi que 2 plans de sauvegarde distincts (PSE), peut-on vraiment parler de situations identiques pour tous les salariés licenciés ? C’est à cette question que la Cour de cassation a répondu. 

 

Versement d’une indemnité spécifique lors d’un second PSE

Dans les faits, une société a été contrainte d’engager une procédure de licenciement économique collectif à l’encontre de 224 personnes dans l’un de ses établissements. Suite à la mise en place d’un PSE, ce sont finalement 69 personnes qui ont été licenciées. 

Un an plus tard, le site contraint à la fermeture a procédé à une nouvelle procédure de licenciement économique collectif suivi d’un second PSE. Sur les 64 personnes restantes sur ce site, 57 ont par la suite été licenciées. 

Les salariés licenciés dans le cadre de cette seconde procédure ont pu bénéficier du versement d’une indemnité spécifique de fermeture prévue par le second PSE. 

Les 69 personnes ayant vu leur contrat rompu lors de la première vague de licenciement ont saisi le Conseil des prud’hommes afin d’obtenir le versement de la même indemnité et ce, sur le fondement du principe de l’égalité de traitement. 

 

La cour d’appel reconnaît l’atteinte au principe de l’égalité de traitement

Les affaires ont été portées devant la cour d’appel, qui a fait droit aux demandes des salariés licenciés. 

En effet, selon la cour d’appel, le principe de l’égalité de traitement peut effectivement être invoqué lorsque 2 plans de sauvegarde se sont succédés au sein de la même entreprise. Elle relève tout de même que ces 2 plans de sauvegarde ont été élaborés dans 2 contextes bien différents : le premier s’inscrivait dans le cade de la suppression d’un grand nombre d’emploi dans un établissement tandis que l’autre s’inscrivait dans le cadre d’une fermeture de site. 

Néanmoins selon la cour d’appel, ces différences ne suffisent pas à caractériser une différence de situation pouvant justifier le versement d’une indemnité aux seuls salariés bénéficiant du second PSE. 

De plus, la cour d’appel ajoute que le préjudice moral vécu par les salariés licenciés en premier et deuxième lieu était le même. La rupture anticipée des relations commerciales du site ayant entraîné sa fermeture, les possibilités de reclassement, ainsi que l’éventualité de retrouver un nouvel emploi, sont bien des choses auxquels ont été confrontés les salariés licenciés en second lieu, mais selon la cour d’appel, ils ne peuvent en aucun cas constituer une raison objective expliquant la différence de traitement. 

Pour rappel, la différence de traitement établie entre 2 salariés placés dans une situation identique n’est pas illégale si elle repose sur des raisons objectives matériellement vérifiables. La cour d’appel écarte donc ces raisons objectives pour retenir l’existence d’une atteinte illégale au principe de l’égalité de traitement. 

 

Pas de situation identique entre deux procédures de licenciement suivies de PSE distincts

La Cour de cassation annule la décision rendue par la cour d’appel. En effet, elle affirme que deux procédures de licenciement économique collectif mais également deux plans de sauvegarde de l’emploi bien distincts ont été engagés par la société. De ce fait, les salariés licenciés à l’issue de ces 2 procédures n’étaient pas, au regard de ces seuls constats, placés dans une situation identique. 

Les arguments de la Cour de cassation sont très expéditifs, néanmoins la solution est claire : le principe de l’égalité de traitement n’a pas lieu d’être lorsque deux procédures de licenciement suivies de deux PSE ont été mises en œuvre dans une entreprise. En effet, en l’absence de situation identique, le principe d’égalité de traitement n’est pas invocable. 

La Cour de cassation a, par ailleurs, rendu à la même date une solution identique à celle-ci. Cette affaire concernait des faits similaires et semble permettre à la Cour suprême de conforter et appuyer sa décision. 

 

Attendu, selon les arrêts attaqués, qu’à la suite d’une réduction significative des prestations confiées par son principal donneur d’ordre courant 2005, la société Geodis logistics ouest ayant pour activité le conditionnement et la distribution de produit de téléphonie, a été conduite à engager une procédure de licenciement économique collectif emportant la suppression de deux cent vingt-quatre postes sur deux cent quatre-vingt-cinq dans son établissement situé à Saint-Berthevin avec la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) en décembre 2005 ; que dans le cadre de cette procédure, M. X… et soixante-huit autres salariés ont été licenciés pour motif économique en janvier 2006 ; qu’à la suite de la rupture définitive des relations commerciales avec le principal donneur d’ordre, il a été décidé de la fermeture du site de Saint-Berthevin, la mise en place d’une nouvelle procédure de licenciement économique collectif emportant la suppression de cinquante-sept postes de travail sur les soixante-quatre restants sur le site, et l’adoption d’un plan de sauvegarde de l’emploi le 10 avril 2007 prévoyant notamment une indemnité spécifique de fermeture de site de 12 030 euros au bénéfice de l’ensemble des salariés visés par cette seconde procédure ; que, s’estimant lésés par le fait qu’une telle indemnité n’avait pas été prévue par le plan de sauvegarde de l’emploi du 16 décembre 2005 dont ils avaient bénéficié, M. X… et soixante-huit autres salariés ont saisi la juridiction prud’homale pour obtenir notamment le paiement d’une telle indemnité sur le fondement du principe d’égalité de traitement ; 

Attendu que pour faire droit à leur demande, les arrêts énoncent en premier lieu qu’une différence de traitement peut être invoquée lorsque deux plans de sauvegarde de l’emploi se succèdent au sein de la même entreprise ; qu’ils retiennent ensuite que la circonstance que le second PSE et la procédure de licenciement collectif pour motif économique qu’il accompagnait se soient inscrits dans le cadre d’une fermeture du site alors que le premier PSE et la première procédure de licenciement collectif pour motif économique s’étaient inscrits dans le cadre de !a suppression d’un grand nombre d’emplois au sein de cet établissement ne suffit pas en soi à caractériser une différence de situation propre à justifier le versement de l’indemnité litigieuse aux seuls salariés licenciés en 2007 ; qu’après une analyse des circonstances économiques et sociales ayant conduit aux procédures de licenciement économique collectif successives, il est considéré qu’au regard de l’objet de l’avantage en cause, les salariés licenciés en 2006 avaient été confrontés à une déception et à un traumatisme moral identiques à ceux vécus par leurs collègues un an plus tard et que la rupture anticipée des relations commerciales avec le principal donneur d’ordre, la fermeture de site, les possibilités de reclassement et de retrouver un nouvel emploi ne constituaient pas des raisons objectives et pertinentes propres à justifier une différence de traitement entre les salariés licenciés en 2007 et ceux licenciés en janvier 2006 ; 

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que deux procédures de licenciement économique collectif avaient été successivement engagées dans l’entreprise accompagnées de plans de sauvegarde de l’emploi distincts, en sorte que les salariés licenciés dans le cadre de la première procédure n’étaient pas dans une situation identique à celles des salariés licenciés dans le cadre de la seconde procédure au cours de laquelle avait été élaboré, après information et consultation des institutions représentatives du personnel, le plan prévoyant l’avantage revendiqué, la cour d’appel a violé par fausse application le principe susvisé ; 

PAR CES MOTIFS : 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’ils condamnent la société Géodis logistics Ouest à verser à chacun des salariés la somme de 12 030 euros brut à titre d’indemnité de rupture anticipée de contrat et de fermeture de site, les arrêts rendus le 17 décembre 2015, entre les parties, par la cour d’appel d’Angers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Rennes ; 

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