La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) a poursuivi ses auditions le 27 mars avec les interventions très attendues de Florence Lustman, présidente de France Assureurs, et de Thomas Fatôme, directeur général de la caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam). Les échanges, bien que techniques, ont confirmé les lignes de fracture, parfois aussi les points d’accord, sur l’épineuse question de la répartition entre assurance maladie obligatoire (AMO) et complémentaires santé (AMC).

Les auditions du 27 mars s’inscrivent dans la continuité des travaux menés par la Mecss sur la répartition des dépenses de santé entre l’AMO et l’AMC. Cette séquence vise à éclairer les parlementaires sur les responsabilités respectives des acteurs publics et privés, dans un contexte de déséquilibre croissant des comptes de la Sécurité sociale et de tensions sur les cotisations des complémentaires.
AMO/AMC : un partage encore pertinent selon France Assureurs et la Cnam
Du côté de France Assureurs, le message est clair : le modèle dual français fonctionne. Florence Lustman rappelle qu’environ 96% des Français disposent d’une complémentaire santé, ce qui en fait un système apprécié et globalement efficace. Elle rejette l’idée selon laquelle ce modèle serait obsolète ou inefficace.
Thomas Fatôme, pour sa part, tempère le discours d’une domination croissante des Ocam. Il affirme que la part de l’AMO dans les remboursements est stable voire en légère hausse, et que le reste à charge des Français est parmi les plus bas d’Europe. Il en appelle à un pilotage global et plus coordonné, mais sans renverser l’architecture actuelle.
Les dépenses de santé continuent à déraper, mais qui doit payer ?
Sur la hausse continue des dépenses de santé, les auditions du 27 mars n’ont apporté aucune réelle surprise. Florence Lustman, alerte également sur les dynamiques inflationnistes touchant certains postes clés, tels que la santé mentale, les arrêts de travail ou l’absentéisme. Elle martèle que le cœur du problème ne réside pas dans le partage des dépenses entre AMO et AMC, mais bien dans l’incapacité à traiter leurs causes structurelles. À ses yeux, un basculement de la charge vers l’assurance maladie obligatoire, à la manière d’une hypothétique « Grande Sécu », ne ferait que déplacer le financement sans en corriger les dérives.
Ces propos font écho aux tentations de plus en plus marquées de mettre davantage à contribution les organismes complémentaires est récurrente dans le discours public. Mais elle ne saurait constituer une réponse suffisante aux déficits massifs et structurels de la branche maladie.
Thomas Fatôme ne dit pas autre chose. Il souligne qu’il n’y a pas eu de renversement structurel au profit des complémentaires. S’il concède l’existence de glissements ponctuels, notamment sur le dentaire et les indemnités journalières, il plaide surtout pour une meilleure coordination entre les deux piliers de la prise en charge, sans bouleverser l’architecture actuelle du système.
Contrat responsable : trop rigide pour répondre aux besoins ?
Sur le contrat responsable, les auditions du 27 mars n’ont rien révélé de véritablement nouveau, mais elles ont permis de réaffirmer des positions déjà bien établies. Florence Lustman, dans la droite ligne des propositions récemment formulées par France Assureurs dans son bilan d’activité 2024, a renouvelé son appel à une révision en profondeur de ce cadre jugé vieillissant, trop normatif et surtout trop fiscalisé. Elle pointe des garanties aujourd’hui mal adaptées aux besoins des assurés, en particulier les seniors, et plaide pour une refonte qui redonnerait de la marge de manœuvre aux organismes pour encourager des comportements vertueux.
Une revendication déjà formulée à de multiples reprises, y compris de manière concertée avec les autres familles d’Ocam. La Mutualité française, par exemple, militait dès 2023 pour l’introduction de contrats responsables modulaires, une idée alors bien accueillie par Thomas Fatôme et Franck Von Lennep lors de leur audition au Sénat sur les coûts des complémentaires. Le directeur général de la Cnam a d’ailleurs confirmé cette orientation lors de la Mecss : il juge nécessaire de revoir le contrat responsable avec plus de souplesse et de lisibilité, notamment en ce qui concerne les dépassements d’honoraires.
Mais comme nous le rappelions dans nos colonnes hier, cette révision ne se fera sans doute pas sans contrepartie.
Dépassements d’honoraires, dépendance, lisibilité des contrats : des questions qui fâchent à l’Assemblée
Plusieurs députés, à commencer par Thibault Bazin, ont profité des auditions pour revenir sur des sujets de fond, récurrents dans le débat sur l’assurance santé : cohérence des remboursements face à la hausse des cotisations, lisibilité des contrats, mais aussi prise en charge de la dépendance.
Sur ce dernier point, Florence Lustman a rappelé la proposition portée par France Assureurs d’une assurance dépendance obligatoire, adossée à la complémentaire santé et financée intégralement par les cotisations, sans recours à l’argent public. Un schéma qui se veut simple, solidaire… et surtout privé. Mais là encore, la proposition n’a rien de neuf et se dévoilait déjà en 2021.
Sur la lisibilité des contrats et les dépassements d’honoraires, Florence Lustman s’est également montrée favorable à un effort de clarification, mais sans aller jusqu’à soutenir un contrat type strictement encadré. Elle défend l’idée d’une adaptation fine aux besoins des assurés, notamment via des gammes différenciées.
Grande Sécu : la méfiance des assureurs
Au sujet de la réforme Grande Sécu, Florence Lustman a exprimé une position très ferme : elle n’y croit pas. Selon elle, une telle réforme ne permettrait ni de contenir la hausse des dépenses, ni de résoudre les problèmes d’accès aux soins. Elle insiste sur le fait que « ce sont toujours les Français qui paient, via les cotisations ou l’impôt », et estime que la mutualisation opérée par les complémentaires reste plus souple et plus efficace.
Elle conteste également l’idée que les frais de gestion des complémentaires seraient excessifs. Ces derniers, selon elle, ne sont pas comparables à ceux de la Sécurité sociale, qui n’intègrent ni les coûts d’acquisition, ni le recouvrement, ni la gestion de la dette.
De son côté, Thomas Fatôme avait déjà exprimé les fortes réserves de la Cnam vis-à-vis du scénario Grande Sécu. Une position qu’il avait déjà clairement développée lors de son audition au Sénat en avril 2024.
Par ailleurs, il a rappelé que la Cnam ne supporte pas de frais d’acquisition ou de publicité, et qu’elle n’est pas en concurrence avec les organismes complémentaires. Pour lui, la question n’est pas tant la comparaison brute des chiffres que la dynamique de ces frais de gestion, en particulier leur niveau élevé côté complémentaires. Il estime qu’il serait légitime de s’interroger sur les causes de cet écart et sur leur justification.
Médecines douces et bien-être : jusqu’où doivent aller les complémentaires santé ?
Joëlle Mélin a mis en garde contre l’élargissement progressif du champ des prestations prises en charge par les complémentaires santé à des pratiques issues du bien-être, non reconnues par la médecine conventionnelle, comme l’ostéopathie ou la voyance.
Elle redoute qu’à force de répondre à la demande des assurés, cela crée une forme de remboursement implicite. Florence Lustman lui a répondu en distinguant les actes fondés sur des données scientifiques, tels que l’activité physique adaptée, la nutrition ou le recours aux psychologues. Elle a précisé que ces prestations restent très marginales, encadrées strictement, et visent à répondre à des besoins concrets de prévention ou de santé.