La mise en place du tiers payant généralisé est au coeur des polémiques qui entourent la loi santé de Marisol Touraine, et qui affaiblissent considérablement la ministre. Il faut reconnaître que, sur ce dossier technique, l’ingénuité avec laquelle elle a prévu un dispositif théorique sans vision pratique de sa réalisation n’a guère plaidé en sa faveur. Au-delà de ses circonstances, il est cependant intéressant d’éclaircir quelques aspects des stratégies d’acteur dans ce dossier.
Une mesure populaire pour redorer le blason de l’exécutif
L’enjeu premier de la mesure consiste bien entendu à proposer aux assurés une médecine gratuite. L’invention des contrats responsables dans les années 2000 s’est fondée sur la nocivité de cette gratuité pour les finances publiques, et singulièrement pour celles de la sécurité sociale. Mais, pour un exécutif en proie à un rejet de l’opinion, la mise en place du tiers payant est un geste fort en direction d’un électorat populaire qui l’a abandonné de longue date.
Un effet ricochet sur les dépassements d’honoraires
A plus long terme, la généralisation du tiers payant complique singulièrement le dépassement d’honoraires. Les médecins qui le pratiquent seront en effet les seuls, à terme, à facturer leurs visites. Cette solitude risque de peser fortement dans un monde où la fiction de la gratuité aura triomphé. De ce point de vue, et à long terme, la mesure n’est pas dénuée de vertu pour les finances publiques.
Une façon astucieuse de privatiser les données de santé
On aura noté le soutien apporté par les assureurs santé (toutes “chapelles” confondues) au projet ténébreux de Marisol Touraine. Pour les assureurs complémentaires, le tiers payant constitue en effet une opportunité: c’est l’occasion de collecter des données de santé par le biais des remboursements de soins. En réalité, Marisol Touraine donne aux assureurs la possibilité de constituer un big data santé avec la bénédiction des pouvoirs publics.
Alors que la loi santé continue de verrouiller les données de l’assurance maladie, l’appoint apporté par les assureurs pour la tirer de ce mauvais pas devrait permettre, en santé, une mutualisation des données du même type que pour l’assurance automobile. Cette brèche constitue une véritable aubaine pour consolider un marché au développement duquel l’Etat s’oppose.
Le renforcement des fédérations agrégatrices de flux
En proposant la création d’une plateforme dédiée au tiers payant, la FFSA, le CTIP et la FNMF développent une stratégie d’agrégation de flux qui devrait asseoir durablement leur puissance sur le marché. En devenant incontournables dans la collecte de données, ces chambres professionnelles placeront leurs homologues “satellites” dans une position de dépendance qui minorera forcément leur rôle.
Pour les fédérations d’intermédiaires d’assurance, mais aussi pour les mouvements mutualistes alternatifs, cette évolution constitue donc un véritable danger.