Il fallait une bonne dose d’humour ou d’inconscience pour nommer Myriam el-Khomry ministre du Travail. L’intéressée est spécialiste des questions de sécurité et elle s’occupe aujourd’hui des bonnes oeuvres de la République: le secrétariat d’Etat à la Ville, tout entier voué, tel le Père Noël, à distribuer des bonbons aux enfants (plus ou moins) sages des « quartiers ». Sa nomination au ministère du Travail sonne symboliquement comme un terrible aveu d’échec de la République dans son combat pour l’emploi: ce que nous avons à proposer à nos chômeurs, ce sont des coups de matraque s’ils se révoltent et des cacahouètes s’ils restent calmes.
Et des appels au calme, Myriam el-Khomry risque de devoir en lancer un certain nombre dans les quelques mois qui restent à courir avant les prochaines présidentielles.
Dès octobre, elle devra gérer une conférence sociale d’ores et déjà mise en scène et sous tension par Manuel Valls. Le gros du morceau devrait porter sur une réforme du code du travail, allant dans le sens d’une simplification. Bon, personne n’est dupe: fidèle à son habitude (et même à son caractère), François Hollande devrait tonitruer sur une réformette sans ambition. Selon toute vraisemblance, la conférence sociale devrait élargir le rôle des branches professionnelles dans les négociations sans véritablement donner de pouvoirs nouveaux aux entreprises. Mais les conseillers en communication feront leur oeuvre et le saut de puce sera présenté comme un bond de géant.
Il n’en faudra sans doute pas plus pour susciter des remous dans le landerneau syndical.
Dans la foulée, la ministre devra trancher le débat qui oppose les confédérations patronales sur la question de la représentativité. Le 15 novembre, le MEDEF et la CGPME devraient logiquement constater leur incapacité à se mettre d’accord sur une méthode de comptage partagée de leur représentativité effective, les uns considérant que c’est le nombre de salariés employés par les entreprises adhérents qui doit être pris en compte, les autres le nombre d’employeurs.
La question est embêtante pour la ministre parce que, dans un cas, le MEDEF devient la première organisation patronale et dans l’autre la CGPME le devance vraisemblablement. Le paysage social français risque donc de changer radicalement, étant entendu que les relations du gouvernement sont plus intenses avec le MEDEF qu’avec la CGPME.
Un dossier plus technique attend la ministre: la fusion de branches professionnelles, méthode inventée par la technostructure pour raviver un dialogue social moribond. Aujourd’hui, la France compte plus 1.000 conventions collectives réparties dans 700 branches professionnelles dont la moitié sont des branches régionales. L’objectif inepte du gouvernement est de supprimer plusieurs centaines de branches selon des critères de proximité entre les métiers.
Cet exercice en apparence anodin risque de susciter de nombreux blocages: certaines branches sont en effet dominées par des organisations qui risquent de devenir minoritaires dans la nouvelle organisation. Dans le même temps, le gouvernement ne cesse de valider de nouvelles créations de branches (extension en août d’une convention collective nouvelle dans la photographie, création prochaine de la branche des gens d’Eglise…). Remettre de la cohérence dans cet univers semble extrêmement compliqué…
Enfin, à l’horizon du début 2016, la ministre devra se pencher sur la négociation de la nouvelle convention d’assurance chômage. L’opération sera objectivement compliquée et semée d’embûches, même si la ministre n’y figurera pas en première ligne. Le déficit de l’assurance chômage pèse sur les comptes publics et, de ce point de vue, le gouvernement y intervient forcément.
Sur ce dossier, plusieurs « mines » peuvent exploser. Tout d’abord, les partenaires sociaux devront maîtriser la dépense dans le contexte défavorable que l’on connaît: hausse continue du nombre de chômeurs et augmentation de la précarité. Ensuite, ils devront s’occuper des bonnes oeuvres de Manuel Valls, notamment du régime des intermittents du spectacle, avec un peu plus de mansuétude qu’en 2014.
Plus ponctuellement, la ministre va devoir repositionner les organisations syndicales trop livrées à elles-mêmes aujourd’hui. On pense à la CGC où la présidence de Carole Couvert sera remise en jeu. Selon toute vraisemblance, elle devrait être réélue pour le plus grand malheur des cadres tant le niveau idéologique de la confédération est tombé bas. Surtout, la ministre devra remettre la CGT en selle, meurtrie par une succession de mauvais choix stratégiques qui laissent orphelins les éléments les plus contestataires du salariat.