Le débat sur la loi de finances 2016 donne lieu à un curieux mélange de déclarations ministérielles tendant toutes à culpabiliser les contribuables d’être soumis à l’impôt sur le revenu, comme si l’assujettissement constituait désormais une marque de honte ou d’infâmie. Voici les pépites relevées durant le débat en séance publique sur le sujet.
Les perles de Michel Sapin
Lors de la présentation du budget, Michel Sapin a déclaré:
“Les impôts des ménages baisseront puisque nous avons confirmé notre volonté de rendre aux Français disposant de revenus moyens le produit de l’effort qu’ils ont consenti pour le redressement du pays.”
Pourquoi seuls les Français disposant de revenus moyens ont-ils le droit de récupérer le produit de leur effort? Le ministre ne l’explique pas, mais il continue:
“Nous n’opposons pas les catégories sociales entre elles, nous n’avons pas deux politiques en fonction des uns et des autres. Nous avons un principe et un seul : l’impôt doit baisser et en priorité pour le cœur des classes moyennes, le couple d’employés avec enfant, l’instituteur débutant, ceux qui ont contribué à l’effort de redressement depuis 2011, alors que cela leur était plus difficile.Cette baisse d’impôt, mesdames, messieurs les députés, concerne donc les retraités, les salariés, les familles, les ménages à revenus moyens, dont certains sont entrés dans l’impôt ces dernières années et qui sont les principaux bénéficiaires de ces mesures. Ce ne sont pas les seuls à avoir contribué au redressement de nos finances publiques, c’est vrai, mais ils sont en droit d’être les premiers à bénéficier de nos baisses d’impôts. C’est aussi cela la justice fiscale, l’équité et le bon sens, et nous l’assumons totalement !”
La justice fiscale consiste donc bien à cibler une catégorie sociale en particulier, tout en expliquant que la politique gouvernementale profite à tous et ne cherche pas à diviser. Pourquoi pas!
Les perles de Christian Eckert
Le secrétaire d’Etat au budget a pour sa part donné quelques éclairages utiles aux visées gouvernementales, sous cette idée générale:
“Notre politique fiscale envers les ménages obéit, quant à elle, à une logique simple, la justice fiscale et la lutte contre les inégalités. Cette logique s’inscrit dans un mouvement de baisse des prélèvements, puisque nos efforts d’économies ont pu prendre le relais des ajustements par l’impôt décidés par nos prédécesseurs et maintenus pendant la première phase du quinquennat.”
La baisse des prélèvements est ainsi argumentée par Christian Eckert:
“En 2017, il y aura un vrai impôt de solidarité sur la fortune, il y aura une tranche d’impôt sur le revenu à 45 %, il y aura des droits de succession et de donation réellement efficaces.”
Cette jolie entrée en matière est suivie d’une réflexion dont la logique laissera songeur les adeptes d’Aristote:
“En 2017, il y aura un impôt sur le revenu délesté des niches fiscales qui n’avaient plus de justification et dont le montant était croissant avec le revenu. Il y aura surtout un impôt sur le revenu réduit, et même parfois nul, pour les classes moyennes, avec un nombre de redevables de l’impôt sur le revenu rejoignant le pourcentage atteint en 2008, ce qui devrait mettre fin au mythe de sa concentration excessive. En 2017, il y aura davantage de ménages modestes exonérés d’impôts locaux. Il y aura, en un mot, une fiscalité juste, qui protège les ouvriers, les employés, tous les travailleurs pauvres et les petits retraités, une fiscalité qui demande aux plus riches de prendre toute leur part au financement du service public.”
Soutenir que réduire le nombre d’assujettis mettra fin au “mythe de la concentration excessive” de l’impôt devrait valoir, l’an prochain, une médaille Field ou un prix Nobel d’économie à notre sous-ministre de la pompe à phynances. En attendant, si ceux qui continuent à payer un impôt sur le revenu n’ont pas compris qu’ils appartenaient au camp des méchants, des exploiteurs, qui devaient demander pardon d’être ce qu’ils sont, à la limite de la délinquance en col blanc, il leur sera proposé un petit stage de relations sociales chez Air France.
On doutera donc de la tirade finale du même secrétaire d’Etat:
“Mesdames et messieurs les députés, ce gouvernement et cette majorité ont un engagement sans faille pour la justice fiscale et ils le prouvent à chaque loi de finances, en menant tous les combats de front : le combat pour l’assainissement de nos finances publiques ; le combat pour la production et l’emploi ; et, dans toutes nos réformes fiscales, le combat pour une société plus juste et plus égalitaire, où l’on ne mesure pas la valeur des citoyens à l’aune de leur compte en banque.”
On avait plutôt l’impression que la valeur des citoyens était estimée à leur absence de compte en banque.
La culpabilisation rampante du contribuable
En creux, dans l’ensemble de ces propos, on ne peut s’empêcher de lire une stigmatisation rampante visant les contribuables soumis à l’impôt sur le revenu. Ils sont forcément des “riches” qui font moins d’efforts que les autres et qui méritent donc d’être punis. Il est difficile de comprendre ce que l’intérêt général gagne à ce genre de clivage, car, dans les assujettis, on trouve aussi des Français “moyens” qui ont réussi et dont les mérites ne sont pas contestables.
A long terme, cette assimilation discrète mais constante entre le paiement de l’impôt et la punition pse de vraies questions sur l’incitation à la réussite.