Afin d’accompagner ses lecteurs dans leur entrée progressive dans la pause estivale, Tripalio leur propose d’aborder en prenant un peu de recul historique le thème – qui revient épisodiquement au cœur de l’actualité sociale et qui, du fait de la recomposition des rapports de forces parlementaires, pourrait fort bien y revenir dans les prochains mois – de l’âge de la retraite.
Après avoir montré hier comment le principe de la retraite à 65 ans a été progressivement légitimé par les réformes sociales menées durant les premières décennies du siècle dernier, nous allons revenir aujourd’hui sur les modalités de la consécration institutionnelle et politique de ce principe, qui a eu lieu entre les années 1940 et les années 1960.
Vichy et le détour par l’assistance répartie à 65 ans
Après la signature de l’armistice avec l’Allemagne d’Hitler, le régime du maréchal Pétain, l’Etat français, ne doit pas seulement composer avec une situation militaire et politique très dégradée : il doit également faire face à une conjoncture économique et sociale de grave crise. Ainsi, dans le cas du domaine qui nous intéresse, les pouvoirs publics peuvent difficilement ignorer la fragilisation, par les conséquences de la guerre puis de l’Occupation, des populations relativement âgées, mais ils ne disposent que de marges de manœuvre budgétaires limitées. Dans une telle configuration, sous la houlette du ministre du Travail René Belin, l’Etat français fait adopter au début de l’année 1941 une loi sur les retraites articulant le passage de la capitalisation à la répartition du financement des retraites des assurances sociales de 1928-1930 – lui permettant de reprendre le contrôle des réserves accumulées – à la création de l’allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS), une allocation de solidarité.
Si la réforme de 1941 sur les retraites n’emporte guère de débats sur la question de l’âge de la retraite, elle n’en a pas moins des incidences importantes sur son évolution. En effet, tout en permettant, sous conditions, aux assurés sociaux au titre des lois de 1928 et 1930 de prétendre à un départ à la retraite à 60 ans, elle conditionne en revanche le bénéfice de l’AVTS au fait d’avoir atteint l’âge de 65 ans. Surtout, le niveau plancher de l’AVTS tel qu’il est défini dans la loi apparaissant nettement plus élevés que celui des pensions servies au titre des lois de 1928-1930, il est tentant de penser que cette allocation, pourtant de solidarité, s’impose rapidement comme une référence des pensions de retraite – et, dans le même mouvement, l’âge de 65 ans comme étant celui de la pleine entrée en retraite.
La consécration des 65 ans par la Sécurité sociale
Après la victoire des Alliés et de la France Libre sur l’Allemagne d’Hitler et sur ses alliés – dont le régime de Vichy – les autorités républicaines restaurées proposent, inspirées en cela par le programme du Conseil National de la Résistance, de mettre en place une protection sociale globale des travailleurs français. Alexandre Parodi, ministre du Travail et de la Sécurité Sociale, et Pierre Laroque, qui travaille sous sa responsabilité, élaborent dans cet objectif les fameuses ordonnances des 4 et 19 octobre 1945. Les débats politico-administratifs et sociaux ayant présidé à la rédaction de ces textes ont bien moins porté sur les questions liées aux paramètres des régimes que sur des enjeux organisationnels et gestionnaires des organismes de Sécurité sociale. Il s’agissait notamment de savoir quelle serait les places respectives de l’Etat, des représentants du monde du travail et du mutualisme dans le dispositif institutionnel.
Concernant l’âge de la retraite, les bâtisseurs de la Sécurité sociale arrêtent alors un choix qui vient renforcer la logique tendancielle de ceux opérés en 1928-1930 et 1941 de promotion de la retraite à 65 ans. En effet, s’ils autorisent la liquidation des droits acquis la liquidation à 60 ans, ils définissent toutefois l’âge normal de la retraite à 65 ans, en instaurant un système de bonus : égal à 20 % du salaire annuel de base pour l’assuré ayant cotisé 30 années et partant à 60 ans, la pension est améliorée de de 4 points par année supplémentaire travaillée entre 60 et 65 ans. Cette solution permet de ménager les finances de la nation tout en accroissant la main d’œuvre nécessaire à la reconstruction. Faisant justement de la victoire de la “bataille de la production” l’un de ses objectifs prioritaires et le défendant au sein gouvernement par l’intermédiaire des ministres qui le représente – dont Ambroise Croizat, au Travail et à la Santé – cette solution reçoit l’aval du puissant tandem PCF-CGT. Bien que l’espérance de vie en 1945 demeure basse, le temps de la “retraite pour les morts” est bel et bien révolu : la création de la Sécurité sociale consacre ainsi le principe de la retraite à 65 ans.
Avec l’AGIRC et l’ARRCO, la retraite à 65 ans dans le confort
Ceci ne signifie, certes, pas qu’elle le légitime pleinement. Les pensions promises par la Sécurité sociale demeurent d’un niveau modeste. Ceci contribue d’ailleurs à ce que les salariés issus de divers métiers et de diverses catégories socio-professionnelles, ainsi que leurs représentants syndicaux et politiques, en viennent à revendiquer rapidement la constitution de régimes spécifiques. Dans certains cas, il s’agit également de contourner l’influence de la CGT dans la gestion de la Sécurité sociale. En particulier, les salariés rémunérés au-delà du plafond de la Sécurité sociale, désignés sous la catégorie de l’encadrement, obtiennent le droit de constituer un régime complémentaire pour la partie de la rémunération supérieure à ce plafond : l’AGIRC naît ainsi conventionnellement en mars 1947. Au fur et à mesure des années, les salariés non cadres obtiennent, eux aussi, d’être couverts par des régimes complémentaires améliorant le régime général. L’accord de décembre 1961 fédère ces régimes dans l’ARRCO.
Institués par des accords paritaires négociés et signés par les représentants du patronat et des salariés français, le régime AGIRC et les régimes fédérés par l’ARRCO ne prévoient pas, par contraste avec le régime général de la Sécurité sociale, d’âges différents de la retraite. La liquidation des droits, par la conversion des points acquis en droits à la retraite, s’y effectue en effet à l’âge de 65 ans. Dans les faits, ceci revient à remettre en cause la possibilité concédée aux salariés de partir à la retraite à 60 ans, puisqu’ils ne peuvent prétendre à une pension améliorée par les régimes complémentaires que s’ils ont atteint l’âge de 65 ans. Entre la fin des années 1940 et le début des années 1960, les partenaires sociaux – y compris, de manière parfois assumée parfois plus détournée, la CGT – et les pouvoirs publics s’accordent ainsi pour situer à 65 ans l’âge d’une retraite confortable. Cet âge se trouve désormais pleinement légitimé comme étant celui de la retraite.
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