Pas plus tard qu’hier, nous évoquions la manière dont le gouvernement avait été contraint d’accepter l’accord sur les rémunérations négocié par les représentants patronaux et salariaux des transports routiers. Depuis la signature de cet accord, les interrogations se multiplient quant à sa conformité ou non avec les ordonnances gouvernementales portant réforme du Code du Travail.
Un accord certifié conforme
Pour les deux ministres qui ont officiellement validé l’accord des transports routiers, Muriel Pénicaud et Elisabeth Borne, celui-ci est tout à fait conforme à la réforme du Code du Travail. Elles l’ont en effet assuré “pleinement compatible avec les ordonnances”. Elles ont enfoncé le clou en affirmant que l’accord respecte tout à fait “l’esprit des ordonnances”. S’il est vrai que l’on imagine difficilement la ministre des Transports et celle du Travail assumer qu’elles ont accepté un accord contraire à une réforme phare du gouvernement, il convient toutefois de prendre au sérieux leur jugement.
Ce dernier ne rejoint-il d’ailleurs pas celui émis par représentants patronaux de la branche après que les pouvoirs publics ont validé l’accord de la branche ? Interrogé par l’AFP, Claude Blot, le vice-président de l’Union TLF, a ainsi défendu la même position que les pouvoirs publics : “ce n’est pas un recul sur l’application des ordonnances”. Claude Blot refuse ainsi de parler de “défaite gouvernementale”. Jean-Marc Rivera, secrétaire général de l’Otre, ne dit pas autre chose : “c’est vrai que certains pourraient croire qu’on a ouvert une brèche, mais on n’a pas trahi les ordonnances”.
La démonstration des transporteurs routiers et des représentants de l’Etat est simple : les primes concernées par l’accord sur les rémunérations (primes de repas, d’hébergement, d’ancienneté et 13ème mois dans certains cas) ayant été intégrées aux minima conventionnels, elles peuvent continuer à être négociées à l’échelon de la branche. En droit, l’accord est donc conforme aux ordonnances et les officiels peuvent sauver la face.
Un défi pour le gouvernement
Dans les faits, l’accord routier remet pourtant fondamentalement en cause le principe qui a présidé à la rédaction des ordonnances de décentralisation des négociations des rémunérations. Dans les branches qui le souhaiteront, les représentants patronaux et salariaux pourront intégrer aux minima salariaux des éléments qui, précédemment, relevaient de primes – y compris de primes de type 13ème mois. En matière de rémunération, d’autres dispositifs pourront également être échaffaudés dans ce même esprit, afin de limiter la marge de manoeuvre des entreprises.
La CGT ne s’y est d’ailleurs pas trompée, estimant que l’intégration des primes dans les éléments de la rémunération négociés par la branche – puisque, in fine, c’est bien de ceci dont il s’agit – constitue évidemment une “brèche”, “une première entorse aux ordonnances”. La CFE-CGC fait la même analyse de l’accord et de sa réception par le gouvernement : “le gouvernement peut multiplier les explications obscures ou alambiquées pour justifier son recul […], c’est bien l’esprit de précarité et de flexibilité de sa loi qui est battu en brèche”.
Certes, les représentants des salariés ont tout intérêt à développer de telles inteprétations de l’accord. Elles rejoignent pourtant l’analyse que Michel Seyt, important responsable patronal du transport de voyageurs, faisait lui aussi des hésitations de l’exécutif à valider le texte signé par les partenaires sociaux. “Nous avons pris acte que le gouvernement et le président de la République ont édité ces ordonnances et que, évidemment, si une branche comme la nôtre trouve des accords entre partenaires sociaux, ça met à mal les ordonnances” estimait-il en effet dans la journée de mercredi, avant que le gouvernement n’accepte finalement l’accord.
Quoi qu’il en soit de la conformité formelle de l’accord rémunérations des transports routiers avec les ordonnances de réforme du Code du Travail, sur le fond, il constitue une importante remise en cause du projet gouvernemental.