La vidéosurveillance servant à sécuriser l’entreprise peut-elle servir à justifier un licenciement ?

Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.

Si l’employeur peut mettre en place un dispositif de vidéosurveillance afin de contrôler l’activité des salariés, ce n’est pas à n’importe quelles conditions ! Il doit, entre autres, avoir préalablement informé les salariés de l’existence de ce dispositif.  A défaut, l’employeur ne pourra pas utiliser ces images pour sanctionner une faute du salarié.

Qu’en est-il alors lorsque le système de vidéosurveillance n’a pas été installé dans le but de surveiller l’activité des salariés, mais dans le but d’assurer la sécurité de l’entreprise ? L’employeur peut-il, dans ce cas, se prévaloir des images prises pour prouver et sanctionner la faute d’un salarié ? La Cour de cassation répond. Cass.soc.22.09.21, n°20-10843.

Les faits

En 2015, un salarié licencié pour faute grave saisit le conseil de prud’hommes afin de contester son licenciement. Jusqu’ici, rien de très original, à ceci près que la faute commise par le salarié est tout sauf banale…

Le salarié est en effet accusé par l’une de ses collègues de s’être livré, à l’aide de son téléphone, à des actes de voyeurisme dans les toilettes situées dans un couloir réservé aux stocks de l’entreprise. Et il se trouve que l’employeur avait justement installé dans cette zone de stockage, des caméras de vidéosurveillance qui permettaient de visualiser le couloir, mais aussi les portes des toilettes donnant sur ce couloir !

La suite va de soi… L’employeur, alerté par la salariée, visionne les bandes d’enregistrement prises par les caméras, les images confirment les dires de la salariée, et l’employeur licencie le salarié fautif.

Pour le salarié, un mode de preuve illicite !

Seulement voilà, les choses ne s’arrêtent pas là… Car pour le salarié, l’employeur ne pouvait pas utiliser ces images pour prouver sa faute. Pour lui, tout comme pour la cour d’appel qui va lui donner raison, ce mode de preuve est illicite.

Pourquoi ? Parce qu’avant de mettre en place ce dispositif l’employeur n’a ni informé les salariés, ni consulté les élus, pas plus qu’il n’a obtenu d’autorisation préfectorale ou déclaré ce dispositif à la Cnil(1).

Pour la cour d’appel, les salariés ayant accès au couloir permettant de se rendre sur le lieu de stockage et desservant les toilettes, le système de surveillance aurait dû être porté à leur connaissance (collectivement et individuellement) et les IRP auraient dû être consultées. Elle juge le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse.

Quelles formalités respecter pour mettre en place un dispositif de vidéosurveillance ?

En fonction de l’importance du système de vidéosurveillance installé et selon qu’il vise ou non un lieu ouvert au public l’employeur a plus ou moins de formalités à accomplir. Les règles sont les suivantes :
– Si les caméras filment un lieu non ouvert au public (bureaux dédiés au personnel, les lieux de stockage, les réserves…), aucune formalité auprès de la Cnil n’est à remplir. L’employeur doit en revanche inscrire le dispositif dans le registre des traitements des données et respecter les règles prévues par le RGPD(2). Il doit préalablement informer et consulter le CSE(3) et informer les salariés de l’installation du dispositif(4).
A noter que jusqu’au 25 mai 2018, l’employeur devait préalablement à une mise en place de vidéosurveillance, faire une déclaration à la Cnil. Cette déclaration, qui s’imposait donc à l’époque des faits, n’existe plus aujourd’hui.
– Si les caméras filment un lieu ouvert au public (zones d’entrée et de sortie du public, comptoirs, caisses, etc.), l’employeur doit obtenir l’autorisation préalable du préfet du département (ou de police à Paris)(5), informer et consulter le CSE et informer les salariés et les visiteurs concernés.

La société conteste et précise que les caméras ont été mises en place pour surveiller les issues du magasin en prévention des vols et filmer les portes de toilettes donnant sur ce couloir, et non dans le but de surveiller l’activité des salariés. Ce dispositif n’avait donc pas à être porté à leur connaissance.

L’employeur se pourvoit en cassation : un système de vidéo-surveillance installé dans le but de sécuriser une zone de stockage de l’entreprise non ouverte au public et non dans le but de surveiller les salariés et qui n’a fait l’objet d’aucune information vis-à-vis des salariés ou du CSE, peut-il servir de preuve au licenciement d’un salarié ?

La vidéosurveillance mise en place pour assurer la sécurité de l’entreprise peut servir de preuve

Dans notre affaire, la Cour de cassation commence par rappeler que si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité des salariés pendant le temps de travail, il n’est pas autorisé à utiliser comme mode de preuve les enregistrements d’un système de vidéosurveillance permettant le contrôle de leur activité dont les intéressés n’ont pas été préalablement informés de l’existence.

Dans quelle mesure la vidéosurveillance peut-elle être utilisée comme mode de preuve par l’employeur ?

– Qu’il ait ou non pour but de surveiller l’activité des salariés, si le dispositif de vidéosurveillance a été mis en place dans le respect des règles imposées par le RGPD, l’employeur peut valablement produire des images à l’appui d’une sanction disciplinaire, d’un licenciement ou d’une action pénale.
– Si le dispositif destiné à surveiller l’activité des salariés ne remplit pas ces conditions et n’a par exemple pas fait l’objet d’une information préalable des salariés et du CSE, la preuve est en principe illicite(6).
– Si le dispositif a été installé dans le seul but d’assurer la sécurité des clients d’un magasin et de leurs biens et non pour contrôler l’activité des salariés, il peut servir de preuve pour attester une faute d’un salarié.

Or, la cour d’appel n’a pas constaté que le dispositif était destiné à surveiller l’activité des salariés mais s’est contentée de relever que les salariés avaient accès au couloir surveillé par le système vidéo qui permettait de visualiser les portes des toilettes. La cour d’appel ne peut donc pas dire que l’enregistrement par le système de vidéo surveillance d’un salarié licencié pour des faits de voyeurisme dans les toilettes de l’entreprise constituait un mode de preuve illicite, sans avoir constaté que le dit système avait été utilisé pour le contrôler dans l’exercice de ses fonctions. Avant d’écarter l’utilisation du système de vidéo-surveillance en le jugeant illicite, les juges du fond auraient donc dû vérifier et constater que celui-ci avait été utilisé pour contrôler le salarié dans l’exercice de ses fonctions. La Cour de cassation décide donc de renvoyer l’affaire pour trancher ce point.

Plus clairement, dès lors que le dispositif de surveillance a vocation à assurer la sécurité du magasin et non pas à surveiller l’activité des salariés, il peut servir de preuve à l’appui du licenciement d’un salarié et ce quand bien même il n’a fait l’objet d’aucune consultation du CSE, ni d’une information des salariés. Dans cette hypothèse, il n’est pas possible d’invoquer les dispositions du Code du travail relative aux conditions de mise en œuvre, dans l’entreprise, des moyens et techniques de contrôle de l’activité des salariés.

La Chambre sociale de la Cour de cassation a d’ailleurs déjà eu l’occasion de préciser que l’employeur n’avait pas besoin d’informer les salariés de la présence d’un système de vidéosurveillance lorsqu’il était installé dans des locaux dans lesquels les salariés ne travaillaient pas ou auxquels ils n’avaient pas accès. L’employeur peut dans ce cas opposer aux salariés les preuves recueillies par ce moyen(7).

Une solution qui, sans surprendre, interroge…

Au-delà de la gravité des faits commis dans cette affaire, la solution est plutôt positive dans le sens où la Cour de cassation rappelle(8) que le contrôle de l’activité des salariés par un système de vidéo-surveillance suppose qu’ils aient été préalablement informés de son existence. Néanmoins, elle interroge. Car on comprend de cet arrêt que c’est la finalité du dispositif qui détermine non seulement les modalités (plus ou moins souples) de mise en place du dispositif, mais également le droit ou non pour l’employeur d’utiliser les images captées à l’encontre du salarié. Les juges devront donc s’attacher à apprécier la finalité réelle du dispositif de vidéosurveillance mis en place par l’employeur.

D’ailleurs cette décision peut paraître contradictoire au regard d’un autre arrêt où était en cause un logiciel permettant de tracer l’activité des salariés(9) : quand bien même la finalité première du dispositif portait sur la maitrise des risques bancaires, les juges ont déclaré les preuves en résultant illicites au motif que l’employeur l’utilisait ponctuellement pour surveiller ses salariés et qu’il n’avait pas informé préalablement le CE ! Ne pourrions-nous pas dès lors en conclure que dans notre affaire la vidéosurveillance s’est aussi avérée utilisée ponctuellement pour surveiller les salariés ? Les divergences de solutions de la Haute juridiction laissent dubitatives…

Cette décision interroge également dans la mesure où, en principe, un dispositif de vidéosurveillance ne peut pas filmer les zones de pause ou de repos du personnel, ni les toilettes, les vestiaires, les douches ou encore les locaux syndicaux. Il est donc surprenant que ce détail n’ait pas retenu l’attention des juges.

On peut ajouter qu’en matière pénale, il est possible d’utiliser des images de télésurveillance obtenues à l’insu du salarié et donc illicitement ou déloyalement. Il peut donc arriver que des images obtenues de manière illicite soient écartées dans le cadre d’une action portant sur le bien-fondé d’un licenciement, mais retenues dans le cadre d’une action pénale.

(1) Commission nationale de l’informatique et des libertés.

(2) Règlement général de la protection des données (RGPD), art 13 et art.104 de la loi Informatique et Libertés ; voir aussi Cnil, Dossier thématique « La vidéosurveillance-vidéo protection au travail, 27.11.19. Voir : https://www.cnil.fr/fr/videosurveillance-videoprotection

(3) Art L.2312-38 C.trav.

(4) Art L.1222-4 C.trav. : « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance. »

(5) Cette autorisation est accordée pour 5 ans renouvelable, art. L.252-1 et s. CSI.

(6) A noter qu’en 2020, la jurisprudence a semblé infléchir sa position quant à la recevabilité d’une telle preuve concernant non pas la vidéo-surveillance, mais l’exploitation illicite d’outils informatiques et une preuve obtenue illicitement sur les réseaux sociaux : Cass.soc.25.11.20, n°17-19523 ; Cass.sc.30.09.20, n°19-12058. Dans ces deux affaires, la Cour de cassation a considéré qu’une preuve illicite pouvait tout de même être recevable lorsqu’elle était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et que l’atteinte à la vie privée du salarié n’était pas disproportionnée au but recherché. 

(7)Cass.soc.19.04.05, n°02-46295 ; Cass.soc. 31.01.01, n° 98-44.290.

(8)Cette décision n’est pas nouvelle : Cass.soc.26.06.13, n°12-16564 ; Cass.soc.18.11.20, n°19-15856.

(9)Cass.soc. 11.12.19, n°18-11.792.

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