La curieuse jurisprudence UBERPOP

 

La décision du Conseil Constitutionnel sur Uberpop ne manque pas d’intriguer, moins sur le fond que sur la forme. Après une décision pour le moins carrée sur la loi sur le renseignement, cet été, qui légitimait sans vraiment le justifier de multiples atteintes à la liberté individuelle, les Sages, manifestement à bout d’inspiration pour justifier leurs décisions, ont opposé une surprenante fin de non-recevoir à l’ensemble des demandes formulées par les requérants, dont la liste inclut une filiale de la Caisse des Dépôts (Transdev).  

Une décision logique sur le fond

Sur le fond, la décision du Conseil Constitutionnel n’est pas surprenante. Elle confirme l’idée simple selon laquelle un chauffeur UberPop ne fait ni du covoiturage classique (car il en tire un revenu principal) ni une activité de chauffeur de place (soumise à cotisations sociales). Parce qu’il est entre les deux, ni professionnel ni « bénévole », il est forcément coupable.  

On retrouve ici toute la problématique très française de la cotisation sociale: soit on déclare une activité et on paie, soit on en déclare pas et on ne gagne rien. Mais il n’est pas possible de gagner de l’argent sans déclarer une activité professionnelle. 

Une décision étonnante sur la forme

Ce qui retient, dans la décision du Conseil Constitutionnel, c’est plus la forme. Elle est étonnamment lapidaire et offre un visage pour ainsi dire « assertorique ». Cette décision, prise en réponse à une question préjudicielle, affirme par exemple: 

« Considérant que les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet d’interdire les systèmes de mise en relation des personnes souhaitant pratiquer le covoiturage tel que défini par l’article L. 3132-1 ; que le législateur a défini de manière claire et précise l’incrimination contestée ; que, par suite, le grief tiré de l’atteinte au principe de légalité des délits et des peines doit être écarté » 

L’argumentation affirme, mais elle est quand même très courte, et l’on peine à tirer de cette décision une vision jurisprudentielle à long terme. 

Un refus catégorique

Dans cette affaire, les Sages ont débouté les défenseurs sur toute la ligne: non seulement, en organisant « un système de mise en relation de particuliers en vue d’effectuer une prestation de transport « à titre onéreux » sans préciser les modalités, la destination et la forme de rétribution du service rendu », Uberpop viole la loi, mais les Sages valident l’ensemble des sanctions pénales assorties à cette activité. Les Sages ont soutenu qu’il n’y avait pas de disproportion entre les deux ans de prison pour exercice illégal de la fonction de taxi et la faute elle-même. 

Sur ce point, les Sages ont soutenu qu’aucun argument de la défense ne méritait d’être pris en compte. 

Un problème de principe

Il n’en reste pas moins qu’un Parisien qui décide de demander 20 euros à quelqu’un qu’il co-voiture chaque matin risque de s’exposer à des sanctions désagréables. Officiellement, la loi protège le co-voiturage. Dans la pratique, on ne comprend plus trop la distinction entre un co-voiturage qui cherche juste à couvrir ses frais de déplacement et le système Uberpop décrit ainsi par le Conseil Constitutionnel: 

« Considérant qu’il ressort des dispositions de l’article L. 3120-1 du code des transports que l’activité de transport routier de personnes effectuée à titre onéreux avec des véhicules de moins de dix places ne peut être exercée que dans les conditions prévues par le titre II du livre Ier de la troisième partie de ce code ; que l’exercice de cette activité est donc interdite aux personnes qui ne sont ni des entreprises de transport routier pouvant effectuer les services occasionnels mentionnés au chapitre II du titre Ier de ce livre, ni des taxis, des véhicules motorisés à deux ou trois roues ou des voitures de transport avec chauffeur ; que le législateur a entendu, par les dispositions contestées, réprimer des agissements facilitant l’exercice d’une activité interdite ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre, qui n’est pas dirigé à l’encontre des dispositions réglementant l’activité de transport public particulier de personnes à titre onéreux, est inopérant ». 

Les Sages ont donc réglementé à nouveau l’exercice d’une activité, en considérant qu’une activité donnée (le transport routier de personne effectuée à titre onéreux) suppose la constitution d’une profession, sous peine de voir des peines de prison prononcées.  

Ce faisant, le Conseil a interdit de pratiquer une profession sous des formes inconnues des textes. 

Une jurisprudence qui fige les métiers

Cette décision remet donc au goût du jour la distinction propre à l’économie ancienne entre le hobby et la profession. Soit on pratique un hobby (le transport de personne) et on ne peut gagner d’argent en le pratiquant, soit on veut gagner de l’argent et on doit accepter une professionnalisation.  

Mais, pratiquer un hobby sans professionnaliser, le Conseil Constitutionnel non seulement ne peut l’entendre, mais il valide le prononcé de peines de prison contre ceux qui auraient encore un doute. Une fois pour toutes, les métiers sont figés en France, et il faudra prendre garde à ne pas finir en prison si on veut les faire évoluer. 

A titre d’éclairage, il serait intéressant de savoir combien de membres du Conseil Constitutionnel connaissent le sens du mot « Smartphone ».  

 

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