Le rapport que vient de publier la Cour des comptes sur l’ordre des médecins a tous les atours d’une charge frontale. La Cour critique aussi bien la légitimité de cet ordre que sa gestion, son fonctionnement, et la fiabilité de son volet disciplinaire. Une violente mise en cause auquel l’ordre des médecins a répliqué par un communiqué qui répond, point par point, à la Cour des comptes.
Le rapport résulte de contrôles effectués par la Cour auprès du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) mais aussi auprès de 46 conseils départementaux, 24 conseils régionaux et 24 chambres disciplinaires, au cours de l’année 2018. L’ordre des médecins a pu faire part de ses retours sur le rapport, avant sa publication, entre juillet et septembre 2019. Mais ces observations ne semblent pas avoir modifié les conclusions de la Cour.
Rappelons que l’ordre des médecins a été créé par une ordonnance de 1945. Les médecins sont tenus d’y adhérer et de payer la cotisation : la Cour souligne qu’avec plus de 300 000 médecins qui payent chacun une cotisation de 335 €, le budget annuel de l’ordre est d’environ 85 M€.
L’ordre des médecins est trop peu représentatif de la profession
La première critique de la Cour des comptes vise la faible représentativité de l’ordre des médecins. La parité entre hommes et femmes, sur les 3 311 conseilles ordinaux ne sera atteinte qu’en 2022 : moins d’un tiers sont actuellement des femmes (seulement 9% au sein du conseil national) alors qu’elles représentent pratiquement la moitié du corps médical et environ 60% des nouveaux médecins. La Cour ajoute que l’âge est aussi un sujet : les membres du CNOM ont en moyenne 68 ans alors que les médecins actifs ont 51 ans en moyenne.
Surtout, le rapport indique que les conseillers de l’ordre des médecins ont souvent des mandats à rallonge, sans limite de temps. Certains conseillers sont ainsi élus pendant plus de 20 ans. Dans le même temps, les mandats peuvent aussi être cumulés : sur les 3 311 conseillers, 346 d’entre eux cumulaient plusieurs mandats en août 2018.
Sur ces points, l’ordre des médecins n’apporte pas de réelle réponse si ce n’est qu’il a engagé une profonde transformation depuis 2013. L’ordre regrette que les actions menées et les résultats obtenus entre 2018 et 2019 n’aient pas été pris en compte dans le rapport.
La gestion administrative et financière, point noir de l’ordre des médecins
L’indemnité des élus est en roue libre selon la Cour
Pour la Cour des comptes, la manière dont l’ordre des médecins est géré laisse à désirer. Le rapport note déjà que les élus de l’ordre sont bénévoles par principe : cela ne les empêche pas d’être indemnisés. Pour une large majorité des élus de l’ordre des médecins, une indemnité qui va plus loin que la simple compensation de la perte d’activité leur est versée. La Cour prend exemple sur le CNOM dont les 16 membres du bureau ont reçu en moyenne 68 000 € d’indemnités chacun en 2017 : or, 40% d’entre eux sont retraités, ce montant n’est pas destiné à compenser une perte de revenus. De plus, le montant de ces indemnités n’a aucun fondement juridique car il n’est fondé sur aucune délibération…
Les remboursements de frais sont aussi dans le viseur de la Cour des comptes qui souligne que des limitations ont été prévues par le CNOM depuis 2015. Si les sommes remboursées ont été diminuées, passant de 64 639 € pour le secrétaire général du CNOM en 2011, à 20 044 € en 2017, elles restent élevées. Ce qui alarme la Cour c’est que des remboursements de frais abusifs sont fréquents : le CNOM a réglé des factures litigieuses tout en ayant connaissance de leur caractère irrégulier.
Au niveau local, la Cour des compte remarque que les indemnités versées aux conseillers territoriaux restent extrêmement variables. Paris consacre 446 000 € à l’indemnisation de ses 26 élus tandis que l’Hérault consacre 81 000 € à celle de ses 21 élus. L’ordre des médecins s’est d’ailleurs engagé à harmoniser les indemnités dès 2020.
Sur tous ces points, l’ordre des médecins indique que des efforts ont été faits sur les indemnités avec l’obligation de fournir des justificatifs et un plafonnement. Il indique aussi que l’indemnité journalière de 483 € brut n’a pas été réévaluée depuis 2013. Dans le cadre des membres qui enfreignent les règles, l’ordre réplique que ces élus sont actuellement poursuivis par le CNOM, les salariés impliqués seraient également poursuivis.
Les ressources de l’ordre des médecins sont insuffisamment contrôlées
Le rapport de la Cour des comptes souligne que les ressources de l’ordre des médecins sont conséquentes et en augmentation avec +24% entre 2011 et 2017. Cela s’explique par l’augmentation des cotisants et l’augmentation de la cotisation (respectivement +10% et +11% entre 2011 et 2017). Mais la comptabilité censée gérée ces cotisations reste par trop incomplète. Le CNOM devrait être responsable de l’émission des bordereaux d’appel de cotisation : pourtant il laisse cette charge aux conseils départementaux ce qui est contraire aux normes comptables selon la Cour des comptes.
Surtout, la manière dont ces cotisations sont enregistrées est insuffisante :
“aucun document ne rend compte de manière précise, fiable et exhaustive des ressources annuelles totales de l’ordre.”
La gestion interne, à la fois nationale et locale, des comptes est aussi largement mise en cause par la Cour des comptes. Contrôle de gestion inexistant, cadre comptable incomplet, désordres dans les comptes locaux, dépenses mal contrôlées et parfois irrégulières… tout y passe ou presque.
Sur ces nombreuses critiques, l’ordre des médecins se justifient en indiquant que les réserves abondantes représentent un fonds de roulement variant entre 13 et 15 mois pour l’ensemble de l’Institution. Concernant le respect des principes comptables, l’ordre des médecins rappelle qu’elle respecte le plan recommandé et certifié par son commissaire aux comptes : la Cour n’avait pas contesté la validité de cette solution lors de son précédent contrôle.
La mission disciplinaire de l’ordre des médecins en proie aux dysfonctionnements
La Cour des comptes s’est intéressée de près au fonctionnement des commissions disciplinaires de l’ordre des médecins. Elle en déduit que le système français n’est pas aussi protecteur pour le patient que ce qu’il est au Royaume-Uni, au Québec ou en Belgique par exemple. Le rapport dénonce un manque de rigueur dans le traitement des plaintes des patients et regrette qu’il soit impossible de connaître exactement le nombre de plaintes reçues annuellement dans chaque département.
Du côté de la désorganisation des missions disciplinaires de l’ordre des médecins, le rapport déplore l’irrespect des obligations légales reposant sur la procédure de conciliation.
“plus graves sont les cas de plaintes qui ne font pas systématiquement l’objet de tentatives de conciliation, alors que cette obligation, posée par la loi, ne souffre pas d’exception”.
Concernant la gestion des plaintes, la Cour souligne que les délais de traitements sont souvent dépassés et que la motivation de certaines chambres laisse souvent sur sa faim. De plus, certains médecins ne sont font pas l’objet de poursuites disciplinaires alors que leur cas est grave : la Cour se pose donc la question de la crédibilité de la procédure disciplinaire de l’ordre des médecins.
Pour répondre à ces ultimes critiques, le CNOM se vexe et “s’insurge contre cette grave insinuation selon laquelle il manifesterait une mauvaise volonté à ce qu’il puisse être donné des suites disciplinaires aux plaintes reçues“. Or, ce ne sont pas des insinuations mais bien un constat dressé par la Cour des comptes. L’ordre des médecins défend le professionnalisme de ses conseils départementaux et de son conseil national. Il exige que la Cour fournisse les preuves complètes des cas traités qui lui permettent de dresser son rapport.
Les recommandations de la Cour des comptes passent à la trappe
A l’issue de son rapport, la Cour dresse une liste de 15 recommandations pour améliorer le fonctionnement de l’ordre des médecins. Mais au regard des critiques émises à l’encontre de l’ordre, ce dernier semble sourd, pour le moment, à ces propositions. A l’heure actuelle, les préconisations de modernisations faites par la Cour resteront au second plan.
Pourtant certains conseils sont utiles et coulent de source : encadrer et harmoniser les montants d’indemnités versées aux élus, limiter à 2 le nombre de mandats successifs au sein d’une même instance, vérifier les déclarations d’intérêt des élus ordinaux… Certaines recommandations sont mêmes réitérées depuis le dernier rapport, ce qui montre que la Cour tient à ce que l’ordre des médecins finisse par s’y conformer.
Pour accéder au résumé du rapport de la Cour des comptes, suivez ce lien, pour le rapport complet c’est par ici.