Cet article provient du site du syndicat CFDT.
Pour la première fois, la Cour de cassation reconnait qu’il est possible pour les parties non signataires de s’opposer par courrier électronique à un accord collectif. Cette décision, qui a vocation à faciliter l’exercice du droit d’opposition, ne s’appliquera bientôt plus qu’aux accords de branche et aux accords interprofessionnels. Cass.soc.23.03.17, n°16-13159.
- Comment s’exerce le droit d’opposition ?
Pour entrer en vigueur un accord collectif (d’entreprise, de branche, interprofessionnel) doit être:
– signé par un ou plusieurs syndicats ayant recueilli au moins 30% des suffrages au 1er tour des dernières élections ;
– ne pas faire l’objet d’une opposition formée par un ou plusieurs syndicats ayant obtenu la majorité des suffrages au 1er tour des dernières élections.
L’article L. 2231-8 du Code du travail précise que l’opposition à l’entrée en vigueur d’une convention ou d’un accord collectif doit être faite par écrit et être motivée. Elle précise les points de désaccord. Enfin, elle est notifiée aux signataires. En revanche, le texte ne précise pas si le doit d’opposition peut s’exercer ou non par courrier électronique. C’est tout l’enjeu de l’arrêt ici commenté.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que depuis la loi Travail, les règles de validité des accords d’entreprise et d’établissement ont été modifiées de telles sorte que le droit d’opposition a vocation à disparaître. En effet, depuis le 1er janvier 2017, s’applique le principe de l’accord majoritaire, longtemps défendu par la CFDT, renforçant la légitimité des accords négociés. Est désormais exigée la signature des organisations représentatives recueillant plus de 50% des suffrages en faveur des organisations représentatives. A défaut d’atteindre les 50%, l’accord pourra être validé sous réserve d’une consultation auprès des salariés qui se prononceraient en majorité en faveur de cet accord. Cette règle ne concerne pour l’instant que les accords relatifs à la durée du travail, aux repos et aux congés, ainsi que les accords de développement et de préservation dans l’emploi. Il faudra attendre le 1er septembre 2019, pour que le principe de l’accord majoritaire soit totalement étendu et qu’il entraîne la suppression définitive du droit d’opposition et ce, quel que soit le thème de l’accord d’entreprise.
Le droit d’opposition perdure au niveau des branches et au niveau national interprofessionnel (comme c’est le cas en l’espèce). En effet, ces niveaux de négociation restent soumis aux règles de validité de 30%, sans opposition d’une majorité d’organisation syndicale.
- Faits, procédure
En l’espèce, suite à la signature de l’accord collectif du 19 décembre 2014 relatif à la classification des personnels du Pôle emploi par la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC, les parties non signataires (CGT, FO et SNU) ont exercé leur droit d’opposition à l’entrée en vigueur de l’accord. Pour ce faire, ils ont remis une lettre en main propre à un représentant habilité de Pôle emploi, mais surtout ils ont envoyé des courriers électroniques à chaque syndicat signataire.
Pour les signataires, le fait d’envoyer un courrier électronique pour s’opposer à l’accord avait pour conséquence que le droit d’opposition n’avait pas été exécuté dans les formes et était donc irrecevable. Ils décident de saisir le tribunal de grande instance qui leur a donné raison en estimant que «l’opposition formée par voie électronique ne peut être retenue».
Il n’en fut pas de même pour la cour d’appel qui a, au contraire, retenu que le droit d’opposition exercé par voie électronique était valable et que l’accord était donc réputé non écrit. Les juges motivent leur décision par le fait que «la notification de l’accord collectif à l’ensemble des organisations représentatives peut s’effectuer par voie électronique» (1).
Un pourvoi est alors formé par les parties signataires afin que la Cour de cassation tranche la question suivante :
- L’opposition à un accord collectif par voie électronique admise…
La Cour de cassation, au visa de l’article L.2231-8 du Code du travail, confirme l’arrêt de la cour d’appel en posant le principe suivant «l’opposition à l’entrée en vigueur d’une convention ou d’un accord d’entreprise doit être formée par des personnes mandatées par le ou les syndicats n’ayant pas signé l’accord et être notifiée aux signataires de l’accord ; que satisfait aux exigences de ce texte la notification de l’opposition par voie électronique». La Haute Cour reconnait ainsi, en l’espèce que la notification aux parties signataires de l’opposition à l’accord signé par courriers électroniques à chaque syndicat est bien valable et qu’en conséquence l’accord n’est pas applicable.
Cette solution a sans nul doute pour intérêt d’atténuer la jurisprudence récente de la Cour de cassation (2) qui prévoit qu’il faut prendre en compte la date de réception (et non d’émission) du courrier pour apprécier le respect du délai légal d’opposition. Il était alors reproché à cette décision de ne pas prendre en compte les aléas postaux. Dorénavant, en permettant que le droit d’opposition puisse se faire par courrier électronique, la Cour de cassation remédie à cet inconvénient.
Le délai légal pour exercer le droit d’opposition pour les accords de branche et interprofessionnels est de 15 jours (3) et de seulement 8 jours pour les accords d’entreprise/ d’établissement (4).
- … bien que les conditions essentielles de validité ne soient pas respectées.
Pour rappel, l’article L.2232-8 du Code du travail prévoit seulement que le droit d’opposition doit s’exercer par écrit. Aussi, comme tout acte juridique pour lequel un écrit est exigé à titre de validité, la forme électronique ne peut servir de support à l’écrit qu’à la condition de respecter les exigences fixées par le Code civil (5) :
– pouvoir dûment identifier la personne dont le courrier électronique émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ;
– concernant la signature électronique, il doit être utilisé un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache.
Or, en l’espèce, aucune signature électronique n’était apposée, aussi le courriel ne constituait pas le support écrit exigé pour la notification de l’opposition. Par ailleurs, il s’agissait en l’espèce de «simples envois de courriels électroniques adressés à titre informatif à plusieurs destinataires et comportant en pièce jointe un courrier d’opposition commun à plusieurs syndicats».
En conclusion, le fait d’autoriser que l’opposition à un accord collectif puisse se faire par par voie électronique n’est pas en soi critiquable, à la condition toutefois que les conditions essentielles de validité d’un acte juridique soient respectées, ce qui n’etait pas le cas en l’espèce.