Contrat unique, flexibilité: le dogmatisme triomphe

Le MEDEF a remis la flexibilité du marché du travail au coeur du débat public en lançant différentes propositions de réforme comme l’aménagement des CDI et la barémisation des indemnités de licenciement. Ces idées, qui sont depuis plusieurs mois portées en coulisses par le gouvernement (et par certaines administrations), n’ont pas tardé à faire polémique auprès des organisations syndicales. Une fois de plus, un sujet juste (l’adaptation du marché du travail aux moyens de production) est posé dans des termes idéologiques qui bloquent irrémédiablement la situation. 

Les marronniers du MEDEF sur la flexibilité

Le MEDEF a profité d’une réunion paritaire de préparation au bilan conjoint avec le gouvernement sur les accords interprofessionnels en matière de droit du travail (ANI de 2008 et de 2013), ce lundi, pour rédiger un document proposant une nouvelle négociation qui permettrait de suivre la voie de la flexibilité tracée depuis 2008. Cette fois-ci, le MEDEF remet sur le tapis les antiennes patronales: création d’un CDI à durée déterminée, fixation contractuelle des indemnités de licenciement empêchant tout recours prud’homal sur le sujet, barémisation de fait des indemnités de licenciement, et autres revendications qui ressemblent aux marronniers du droit du travail. Il suffit de prononcer le mot “flexibilité” pour que la conversation soit le prétexte à ressortir ces idées. 

Ce sens de la répétition est cocasse (et non dénué d’arrière-pensées vis-à-vis de la CGPME), surtout lorsqu’il s’accompagne d’une très opportune tribune signée entre autres par notre prix Nobel d’économie, Jean Tirole, qui plaide pour une suppression des dispositions légales sur les motifs de licenciement. Stratégiquement, cette opération de communication est très bien menée: elle permet de préparer les esprits à des mesures impopulaires auxquelles une caution scientifique est donnée. 

Le pire moment pour communiquer sur le sujet

Si le schéma stratégique est bon, la tactique d’approche est en revanche désastreuse et, une fois de plus, illustre la vraie difficulté du MEDEF sous Pierre Gattaz à avancer opportunément ses idées. Le MEDEF a choisi de lancer sa bataille pour la flexibilité entre les deux tours des départementales, et de donner toutes ses forces sur le sujet le jour même où le Premier Ministre devait avaler la couleuvre d’une défaite électorale tout à fait prévisible. 

Il fallait vraiment n’avoir aucun sens politique pour déclarer cette bataille ce jour-là, anticipable depuis des mois. Les sondages ont plu, en effet, de longue date, pour expliquer que le 30 mars serait une journée noire pour Manuel Valls. En ouvrant le débat d’une réforme du contrat de travail en pleine déroute gouvernementale, le MEDEF se condamnait à la seule position possible pour le Premier Ministre: le refus en bonne et due forme. 

On voit en effet mal comment Manuel Valls pourrait annoncer un chantier de ce genre au moment où il doit éteindre les incendies allumés par les “frondeurs” qui le trouvent trop proches du MEDEF et trop éloignés de sa gauche. Disons même que le choix dans la date a dû susciter un très grand agacement dans les allées du pouvoir, parce qu’il prouve le désintérêt profond du MEDEF pour les problématiques de ses partenaires, et son absence complète de sens politique. 

Le gouvernement au pied du mur européen

Pour le gouvernement, la faute de communication du MEDEF ne simplifie pas la tâche. La Commission Européenne exige de la France une “flexibilisation” du marché du travail pour lutter contre le chômage. C’est la condition pour que la France échappe à une sanction pour déficit excessif. Manuel Valls est donc coincé: il doit agir cette année pour éviter de nouvelles déconvenues à l’approche de 2017. 

Ce calendrier laisse assez peu de choix au gouvernement et explique pourquoi Emmanuel Macron autant que Manuel Valls se déclarent prêts à légiférer. Si le MEDEF avait choisi un autre moment pour mettre le sujet sur le table, il aurait permis à Manuel Valls de ne pas reporter le débat à juin, dans la foulée de la conférence sociale annuelle. Mais ce contretemps ne bouleverse pas fondamentalement le calendrier prévu: une loi interviendra, portée ou non par Macron, pour flexibiliser le contrat de travail. Cette loi est imposée par Bruxelles et par l’Allemagne. 

Flexibilité ou baisse du coût du travail?

On regrettera, dans cet ensemble, la logique dogmatique qui est à l’oeuvre et les postures qui empêchent de débattre efficacement du sujet. 

Ce qu’on appelle flexibilité, dans les propositions du MEDEF, ressemble en effet beaucoup plus à une logique de baisse du coût du travail qu’à une logique d’assouplissement proprement dit du marché du travail. Le MEDEF souhaite en effet encadrer le coût du licenciement, et le faire baisser, beaucoup plus qu’il ne souhaite le faciliter. Cet objectif répond à l’incertitude qui pèse sur les ruptures du contrat de travail lorsqu’elles sont soumises aux prud’hommes: il est fréquent que le salarié y bénéficie d’une majoration des indemnités qu’il a obtenues lors de son licenciement. 

Baisser le coût du licenciement favorisera-t-il l’embauche? C’est un vieux débat qui a peu de choses à voir avec la question de la flexibilité, ou qui en constitue en tout cas une part marginale. 

C’est dommage: car le débat sur la flexibilité n’est en réalité pas ouvert en France, et personne n’aborde réellement la question micro-économique du lien entre flexibilité et compétitivité des entreprises. Aujourd’hui, l’essentiel de l’argumentation consiste à soutenir que le licenciement coûte trop cher, mais aucun argument ne montre en quoi une main-d’oeuvre moins chère à licencier permettra aux entreprises françaises de devenir plus compétitives. 

Flexibilité ou agilité?

En réalité, la question de la flexibilité est généralement limitée à ce seul sujet: faciliter le licenciement favorisera l’embauche. Pourtant, la flexibilité déborde largement le simple problème du licenciement, et interroge surtout la capacité d’adaptation de la main-d’oeuvre aux modifications des conditions de production. 

Dans ces modifications, il faut bien distinguer les modifications qui tiennent aux circonstances économiques (l’entreprise va moins bien) et celles qui tiennent aux techniques de production (comment l’entreprise fabrique ses produits). 

Incontestablement, le chômage de masse en France s’explique en partie par les circonstances économiques: la crise réduit les marges des entreprises et oblige à une optimisation de la masse salariale. Les mesures proposées par le MEDEF réponde essentiellement à ce défi. 

Mais le chômage de masse tient aussi à un manque d’adaptation de la main d’oeuvre à la révolution numérique. Sur ce point, qui exige de l’agilité plus que de la flexibilité, et qui est crucial – bien plus crucial que la question des circonstances économiques, personne ne se soucie véritablement aujourd’hui, ni le gouvernement, ni le patronat. 

Cet oubli est dommageable, mais il s’explique: l’agilité en entreprise suppose une intelligence collective et une remise en cause des schémas managériaux traditionnels. Il ouvre une brèche dans la toute-puissance des managers actuels, dont le MEDEF constitue le meilleur des représentants. 

Néanmoins, l’agilité est probablement une question bien plus importante pour les entreprises françaises que la flexibilité… 

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