Claude Le Pen: “il faut s’attendre à un big bang hospitalier”

Cette semaine, Branches Info et Tripalio reçoit Claude Le Pen, professeur à Dauphine et spécialiste bien connu de la santé. 

 

BI&T: L’accès aux données de santé devient un enjeu, en France, mais il est plus perçu comme un problème juridique qu’économique. Pensez-vous que la question évoluera dans les années à venir? 

CLP: La question des données de santé se pose partout dans le monde et la France n’est pas en avance sur cette question. L’échec du DMP lancé à grand bruit en 2004 a révélé l’ampleur des problèmes qui se posent avec notamment deux questions fondamentales de la propriété et de l’usage. A qui appartiennent les donnés de santé ? Au patient dont elles sont issues ; au professionnel de la santé qui les définit et les recueille ; aux payeurs (publics ou privés) qui les financent ? Deuxième question : à quoi servent-elles ? A éviter des accidents thérapeutiques ? A mesurer l’effet des traitements ? A définir des contrats d’assurance et à sélectionner des risques ? A concevoir des politiques marketing pour les produits santé et de bien-être ? L’absence de réponses claires à cs questions a précipité l’échec de ce dispositif. Pour calmer les réticences, voire les fantasmes du type BigBrothser, il faut des dispositifs bien définis dans leur usage et dans leur responsabilité. C’est dans ce sens qu’on évolue, me semble-t-il. 

 

BI&T: La loi santé vous paraît-elle apporter des réponses suffisantes aux questions qui se posent? 

CLP: La Loi ne traite que l’accès aux données publiques de santé, principalement les données de remboursement de l’assurance-maladie et les données relatives aux séjours hospitaliers. Ce sont des données assez faiblement médicalisées qui ont été recueillies essentiellement dans un but gestionnaire, mais qui sont suffisamment riches pour alimenter les connaissances et les politiques en matière de santé publique et d’économie de la santé. La loi distingue entre les données agrégées qui seront mise à la disposition du grand public via des sites internet et les données individuelles anonymisées qui peuvent être accessibles à certaines institutions à des fins de recherche en santé public ou d’évaluation des biens ou politiques de santé. La nouveauté c’est l’ouverture à institutions privées comme les laboratoires pharmaceutiques ou les assureurs complémentaires qui pourront y avoir accès mais uniquement pour des raisons de santé publique et sous le contrôle de la CNIL et du nouvel Institut National des Données de Santé. C’était nécessaire pour permettre aux laboratoires de répondre à leurs obligations de pharmacovigilance, par exemple. Mais il faut bien comprendre qu’il s’agit de données individuelles sans identification possible des personnes. 

 

BI&T: La généralisation du tiers payant est vécue comme une façon détournée d’étatiser la santé. Que pensez-vous de cette idée? 

CLP: L’étatisation de notre système de santé ne date pas d’hier : la création de la CSG en 1990 et le basculement des charges sociales « salariales » en 1998, le contrôle parlementaire sur les dépenses d’assurance-maladie en 1996, la création des Agences régionales de santé en 2009, la disparition de fait de la gestion paritaire depuis 2004, tout cela a marqué une étatisation progressive et rampante de notre système de santé. D’ailleurs les Français font-ils encore la différence entre l’Etat et l’assurance-maladie ? L’autonomie de l’assurance-maladie, une des caractéristiques fondamentales du système de 45, n’existe plus. La Loi santé va dans le même sens : son chapitre 2 ne s’intitule-t-il pas « Renforcer l’alignement stratégique entre l’Etat et l’assurance-maladie » ? 

Mais la question du tiers-payant généralisé (TPG) me semble fondamentalement d’une autre nature. Il est vécu par les médecins libéraux comme une menace sur leur indépendance professionnelle, comme une clause de subordination aux payeurs, étatisé ou non, et comme une tentative (consciente ou pas) d’entamer la relation de confiance avec les patients, matérialisée (à tort ou à raison) par le paiement direct des honoraires. Plus que l’étatisation (réelle) c’est cette menace sur leur indépendance et le déficit de reconnaissance qu’elle implique, qui explique la très large mobilisation des médecins contre le TPG, y compris parmi les syndicats marqués à gauche. 

 

BI&T: Selon vous, quelle est la principale arme à mobiliser en France pour équilibrer les comptes de la santé? 

CLP: Nous vivions une sorte de paradoxe : la croissance des dépenses de santé n’a jamais été aussi faible – elle est même négative pour certains postes comme le médicament ! – et les déficits perdurent, à peine réduits d’année en année. Mais avec une croissance économique à 1% et une inflation nulle il est difficile de financer des dépenses qui croissent à 2%. Même si ce taux est faible compte tenu des besoins et qu’il implique des sacrifices et des tensions comme on le voit à l’hôpital public ! Peut-on encore réduire cette croissance ? Sans doute un peu. Mais la rémunération des médecins libéraux est devenue l’une des plus faibles en Europe de l’Ouest et les dépenses pharmaceutiques diminuent régulièrement depuis 3 ans sous l’effet des baisses de prix drastiques imposées par le gouvernement. On ne gagnera plus beaucoup de ce côté. Du côté hospitalier, on a raboté les dépenses sans réellement restructurer un secteur qui reste globalement surdimensionné. D’où cet effet de paupérisation ressenti sur le terrain. Mais la restructuration hospitalière nécessite un très grand courage politique compte tenu de l’attachement de la population à l’hôpital public et des enjeux en termes d’emploi. Je crois que c’est néanmoins inéluctable et qu’il faut s’attendre, si la croissance ne revient pas, à un « big bang » hospitalier comme celui qu’ont connu les cliniques privées qui n’ont survécu qu’au prix d’un impressionnant effort de restructuration. 

Ajouter aux articles favoris

Conformité CCN en santé

Pour vous aider à gérer la conformité CCN de vos offres "santé standard", profitez de notre outil en marque blanche gratuitement en 2023. L'outil vous permettra de savoir, en un clic, le niveau de votre offre compatible avec la CCN que vous aurez sélectionnée. L'outil en marque blanche est relié à la base de données CCN de Tripalio, juridiquement certifiée et mise à jour en temps réel. Il bénéficie de notre algorithme de comparaison qui détecte les non-conformités du contrat santé standard.
Demandez votre outil
0 Shares:
Vous pourriez aussi aimer
Lire plus

Indemnité de cantine fermée “covid” : le juge tranche en défaveur des télétravailleurs

La crise sanitaire de 2020 a provoqué la fermeture de nombreux lieux de rassemblement de population, dont la fameuse cantine d'entreprise. Or, certaines entreprises ont dû maintenir une activité dans leurs locaux pour assurer la continuité de service. Dans ce cadre, une indemnité dite de cantine fermée a été mise en place pour permettre aux salariés présents de ne pas être lésés par la fermeture du restaurant normalement accessible dans le cadre de leur emploi. Mais cette indemnité a fait naître quelques litiges, dont...
Lire plus

Obligation de prévention et sécurité : c’est à l’employeur de montrer patte blanche en cas d’accident

En entreprise, l'employeur est tenu de respecter des mesures de prévention et sécurité afin de protéger la santé de ses salariés. Les dispositions du code du travail encadrent cette obligation avec précision. Mais que se passe-t-il en cas de manquement de l'employeur ? Le salarié peut-il considérer que cette violation de ses obligations légales par l'entreprise constitue un motif de rupture de contrat de travail aux torts de l'employeur ? Dans ce cas, sur qui repose la charge de la preuve ? C'est à cette question que...
Lire plus

Un hôpital condamné pour faute inexcusable après l’agression physique d’une salariée

C'est un arrêt très important que vient de rendre la Cour de cassation au sujet de la responsabilité d'un hôpital en cas d'agression physique de l'un de ses employés. On ne compte plus les faits divers rapportant de tels événements, souvent survenus ces dernières années dans des services d'urgences saturés. Ici la Cour reprécise les éléments caractéristiques de la faute inexcusable en matière d'obligation légale de sécurité et de protection de la santé des salariés. ...