BI&T a interrogé Maxime Chipoy, responsable des études d’UFC Que Choisir, sur le dossier de l’assurance emprunteur, actuellement en discussion à Bercy. Voici son point de vue.
UFC Que choisir s’est beaucoup mobilisé sur le dossier de l’assurance emprunteur. Comment en percevez-vous l’évolution aujourd’hui?
La loi Hamon, entrée en vigueur l’été dernier, constitue indéniablement un progrès pour les emprunteurs en leur permettant de substituer une assurance alternative à l’assurance vendue par leur banque jusqu’à un an après la signature du contrat de crédit. Le gouvernement a donc pris acte de notre constat, a savoir que faire jouer la loi Lagarde en prenant une assurance concurrente avant la signature du prêt était quasiment impossible. Et ce, pour plusieurs raisons : parce la banque, qui a un droit de regard sur “l’équivalence des garanties” du contrat, a toute latitude pour bloquer la concurrence ; parce qu’elle peut également, de manière discrétionnaire, augmenter le taux du crédit accordé pour punir tout client qui ne prendrait pas son contrat d’assurance emprunteur ; enfin et surtout, parce que face à un client qui est tenu à des délais très stricts pour l’achat de son bien immobilier, la banque peut faire jouer les délais de réponse jusqu’à ce que son client cède. Si la loi Hamon répond globalement à ces problèmes, nous constatons que depuis l’été dernier le problème de l’équivalence des garanties perdure et bloque toujours de nombreux clients dans leur volonté de prendre des contrats concurrents. Au final, depuis 2010 et l’adoption de la loi Lagarde, le marché reste toujours aussi accaparé par les acteurs bancaires, qui vendent 85% des assurances emprunteurs.
L’intervention des banques vous semble-t-elle forte pour peser sur les décisions du gouvernement?
La pression des banques sur le gouvernement est aussi discrète que forte : l’assurance emprunteur est un marché de 6 milliards d’euros, et surtout une véritable manne pour les banques. Alors qu’en 2007 l’UFC-Que Choisir estimait la marge nette des banques sur ce produit à 40%, ce qui est énorme, l’ACPR (le gendarme des banques) a dévoilé en 2013 qu’elles percevaient 55% des primes payées par les clients! C’est donc plus de 3 milliards d’euros qui rentrent directement dans les caisses des banques chaque année. Dès lors, tout est bon pour retarder au maximum l’adoption de mesures permettant une concurrence effective sur ce produit. Et la pression des banques et d’autant plus efficace que celles-ci laissent croire que toute augmentation de la concurrence est une menace sur leur résultat net, donc une menace sur leur santé financière, donc sur la stabilité du secteur, et donc sur la stabilité économique de la France, la sécurité des dépôts, mais aussi sur l’emploi…Cet argumentaire est régulièrement tenu par les banques, et les décideurs publics, gouvernement comme régulateurs, peuvent y être sensibles. Une telle pression dans un tel contexte économique peut ainsi expliquer pourquoi, malgré notre victoire sur un autre dossier lié à l’assurance emprunteur (la participation aux bénéfices) rien n’est fait pour que les consommateurs récupèrent les 16 milliards d’euros que leur doivent leurs banques…
Où en est la réforme du dossier préparée par Bercy?
Il ne s’agit pas en tant que tel d’une réforme, mais de la volonté de mettre en place un dispositif consensuel, accepté par tous les acteurs du marché (banques, assurances, courtiers, mais également bien sûr, consommateurs) pour que le dernier verrou au vrai jeu de la concurrence, les problèmes d’équivalence des garanties, saute enfin. Le processus touche à sa fin, et après plus de 4 mois de négociations souvent difficiles et tendues, nous arrivons à un texte qui devrait tenir la route. Il faut dire que le Ministre avait menacé les banques de mettre en place une réglementation supplémentaire si les négociations “de place” n’aboutissaient pas, ce qui a contribué a obtenir des concessions de leur part. Après, comme toujours, il faudra vérifier la bonne application de ce processus sur le terrain : la Loi Lagarde nous a appris qu’une simple ambiguïté sur le terme “équivalence des garanties” pouvait suffire à bloquer le jeu de la concurrence pour près de 5 ans…
Comment percevez-vous la question des critères qui est si souvent évoquée?
C’est la clef du jeu de la concurrence aujourd’hui, puisque la loi Hamon a neutralisé les blocages par la hausse du taux du crédit et les délais en reportant le jeu de la concurrence en aval de la signature du prêt. La pratique voulant que la banque prenne prétexte d’une micro-garantie (par exemple, non-couverture des sports à risque alors même que le candidat emprunteur ne pratique pas ces sports) inférieure à son contrat pour refuser un contrat concurrent pourtant bien meilleur sur les risques les plus importants (décès, invalidité, incapacité) est un dévoiement total de la Loi Lagarde, qui voulait que l’analyse du contrat concurrent soit globale et non ligne par ligne. L’idée du processus en cours d’adoption est de constituer une liste commune des principaux critères de garanties, dans laquelle chaque banque pourra piocher 11 critères qu’elle estime essentiels au vu du profil de l’emprunteur. Les critères choisis seront les seuls utilisés par la banque dans sa comparaison avec le contrat concurrent, ce qui devrait empêcher tout refus pour des garanties marginales ou non applicables à la situation du consommateur. Mais un autre élément est extrêmement important : le moment de remise au client de la fiche des critères choisis par la banque pour sa situation, car plus cette liste sera remise tôt, plus le client pourra faire jouer la concurrence…y compris avant la signature de l’offre de prêt. Enfin, une normalisation de la définition des critères va être nécessaire, pour éviter de reporter le blocage des banques sur les mots utilisés dans les contrats concurrents.