Cet article provient du site du syndicat CFDT.
Pour encore quelques temps, les organisations syndicales représentatives majoritaires ont la possibilité de s’opposer à l’entrée en vigueur d’un accord d’entreprise. Elles disposent alors d’un délai légal de 8 jours à compter de la notification de l’accord. Pour la première fois, la Cour de cassation vient de préciser que pour être recevable, l’opposition exprimée par écrit et motivée doit être reçue par les organisations signataires avant la fin du délai de 8 jours. La date à prendre en compte est donc celle de réception – et non d’émission. Cass.soc.10.01.17, n°15-20.335.
• Dans quelles conditions le droit d’opposition s’exerce-t-il ?
Jusqu’à la loi Travail et pour encore quelques temps, l’article L. 2232-12 du Code du travail (issu de la loi du 20 août 2008) prévoit qu’un accord d’entreprise ou d’établissement est valable s’il est signé par un ou plusieurs syndicats ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles et en l’absence d’opposition d’un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés à ces mêmes élections. L’opposition doit s’exprimer dans un délai de 8 jours à compter de la date de notification de l’accord.L’article L. 2231-8 du Code du travail précise que l’opposition à l’entrée en vigueur de l’accord doit être faite par écrit et motivée. Elle précise les points de désaccord. Enfin, elle est notifiée aux signataires.
En revanche, le Code du travail n’indique pas, concernant le délai légal de 8 jours, s’il faut tenir compte de la date d’émission ou de réception par les organisations signataires. C’est tout l’enjeu de l’arrêt de la Cour de cassation commenté ici.
• Faits, procédure
Dans cette affaire, un accord d’entreprise relatif aux conditions de travail est signé le 10 février 2014 par la CFDT et la CGT, qui représentent plus de 30 % des voix lors des dernières élections. Cet accord est alors notifié aux organisations syndicales représentatives par un courrier datant du 11 février 2014. Les syndicats Sud et FO, ayant à eux deux plus de 50 % des suffrages aux dernières élections, décident de s’opposer au dit accord, entraînant ainsi la non application par l’entreprise de celui-ci.
Pour la CFDT (partie signataire), l’opposition à l’entrée en vigueur de l’accord est irrégulière au motif que le courrier a été reçu après le délai légal de 8 jours. Le syndicat Sud a envoyé le courrier d’opposition le 14 février et il a été reçu le 17 février, soit avant la fin du délai légal. Mais FO l’ayant adressé seulement le 18 février, il n’a été reçu que le 20 février, soit après le délai de 8 jours. Le TGI est donc saisi en référé afin de faire appliquer l’accord.
La cour d’appel, qui ne suit pas le raisonnement de la CFDT, juge que le délai légal s’interrompt à la date d’émission de l’opposition, ce qui fait que celui-ci est respecté.
Un pourvoi est alors formé devant la Cour de cassation qui doit se prononcer sur la question suivante : faut-il prendre en compte la date d’émission ou la date de réception du courrier pour apprécier le respect du délai légal d’opposition ?
• Prise en compte de la date de réception
La Cour de cassation ne va pas suivre les juges du fond, donnant ainsi raison à la CFDT. C’est aux visas des articles L. 2232-12 et L. 2231-8 du Code du travail qu’elle rappelle que « l’opposition à l’entrée en vigueur d’une convention ou un d’accord collectif est exprimée par écrit et motivée, qu’elle précise les points de désaccord et qu’elle est notifiée aux signataires dans un délai de 8 jours à compter de la notification de cet accord » et en déduit que « pour être recevable, l’opposition des organisations syndicales ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles doit être reçue par l’organisation signataire avant l’expiration de ce délai ».
C’est donc la date de réception (ou de présentation) du courrier qui conditionne la validité du doit d’opposition.
En l’espèce, seul le syndicat Sud avait respecté le délai légal, le courrier ayant été reçu par les organisations signataires avant la fin des 8 jours. Ce syndicat ne représentant pas à lui seul les 50 % des suffrages exprimés aux dernières élections, l’opposition majoritaire n’était pas arrivée dans les temps et celle-ci ne pouvait donc être considérée comme valable.
En retenant cette solution, la Cour de cassation n’a pas pris en compte l’argument soulevé par les parties signataires relatif aux risques des aléas postaux pouvant porter atteinte à la recevabilité du droit d’opposition. La Haute Cour a sans doute voulu inciter les parties non signataires à être vigilantes aux accords signés dans l’entreprise, en les obligeant à exercer le plus rapidement possible leur droit d’opposition. Dans les faits, ce recours est peu pratiqué et à vocation à être supprimé.
• Un droit d’opposition bientôt supprimé par la loi Travail
La solution de la Cour de cassation a une portée limitée dans le temps puisque la loi Travail a modifié les règles de validité des accords collectifs au niveau de l’entreprise, supprimant ainsi le droit d’opposition.
Depuis le 1er janvier 2017, s’applique le principe de l’accord majoritaire, longtemps défendu par la CFDT, renforçant la légitimité des accords négociés. Est désormais exigée la signature des organisations représentatives recueillant plus de 50 % des suffrages en faveur des organisations représentatives, sous réserve d’une consultation des salariés en cas d’accord minoritaire atteignant 30 % des suffrages.
Cette règle ne concerne pour l’instant que les accords d’entreprise relatifs à la durée du travail, aux repos et aux congés, ainsi que les accords de développement et de préservation dans l’emploi. Il faudra attendre le 1er septembre 2019, pour que le principe de l’accord majoritaire soit totalement étendu et qu’il entraîne la suppression définitive du droit d’opposition, peu importe le thème de l’accord d’entreprise.
La solution de la Cour de cassation devrait être transposable pour les accords de branche et les accords interprofessionnels, pour lesquels existe également un droit d’opposition à notifier aux parties signataires dans un délai de 15 jours (et non 8) à compter de la notification de l’accord (1). Cette nouvelle solution aurait un impact non limité dans le temps. En effet, le droit d’opposition n’a cette fois-ci pas vocation à être supprimé, la loi Travail ne prévoyant pas l’application du principe de l’accord majoritaire pour ces types d’accords.
________________________________________
(1) Art. L.2232-2 et L.2232-6 C.trav.