Cet article est paru sur le site du syndicat de salariés CFDT
Depuis la loi Travail du 8 août 2016, un accord de substitution peut entrer en application avant l’expiration du délai de préavis de dénonciation d’un accord collectif. Dans un arrêt récent, publié au bulletin, la Cour de cassation applique ces dispositions à des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi. Elle affirme que lorsque les signataires de l’accord de substitution le décident, sans aucune ambiguïté et de manière expresse, l’accord collectif dénoncé cesse d’être applicable à la date de l’entrée en vigueur de l’accord de substitution, même si celle-ci a lieu pendant le délai de préavis. Cass. soc., 06.06.2018, n° 16-22361.
- Faits, procédure et prétention des parties
Lorsque la dénonciation émane de la totalité des signataires employeurs ou des signataires salariés, l’une des parties intéressées peut demander qu’une nouvelle négociation s’engage. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi Travail, cette négociation était engagée dans les 3 mois qui suivaient la fin du préavis (1). Afin de permettre d’engager le plus tôt possible la négociation d’un nouvel accord, la loi Travail a prévu que la négociation peut s’engager dans les 3 mois qui suivent le début du préavis qui précède la dénonciation et qu’un accord peut être conclu avant l’expiration du préavis (2).
Dans cette affaire, l’accord collectif d’entreprise est dénoncé le 9 décembre 2010. Un accord de substitution est conclu durant la période de préavis et prévoit son entrée en application au 1er janvier 2011 (soit avant l’expiration du préavis).
Le 23 février 2011, un salarié est licencié pour faute grave. Pour procéder à son licenciement, il n’est pas fait application de l’accord d’entreprise antérieur. Celui-ci prévoyait notamment une procédure spéciale disciplinaire et une indemnité conventionnelle de licenciement.
C’est ainsi que le salarié saisit le conseil de prud’hommes pour faire reconnaître son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il demande l’application de l’accord dénoncé, encore en vigueur selon lui jusqu’au terme du préavis de 3 mois, soit le 9 mars 2011.
Les juges du fond donnent raison au salarié et condamnent l’entreprise à lui verser 257 785 euros au titre de la rupture de son contrat. La cour d’appel retient qu’un accord de substitution à « un accord collectif dénoncé ne peut entrer en vigueur et remplacer l’accord dénoncé avant l’expiration du préavis de dénonciation » de 3 mois. Ce faisant, les juges font fi de la volonté des signataires de fixer au 1er janvier 2011 l’entrée en vigueur du nouvel accord. Ils appliquent les dispositions légales anciennes à une situation juridique antérieure à l’entrée en vigueur de la loi Travail.
- L’accord entre en vigueur à la date choisie par les parties
La Cour de cassation censure les juges d’appel. Elle considère que les signataires de l’accord de substitution avaient « choisi, sans aucune ambiguïté et de manière expresse » de faire application des dispositions légales sur la dénonciation ce dont il résultait que l’accord antérieur « avait cessé d’être applicable à la date de l’entrée en vigueur de l’accord de substitution ».
La Haute juridiction applique ainsi les dispositions de la loi Travail à un accord dénoncé près de 6 ans avant son entrée en vigueur. Elle s’appuie paradoxalement sur la volonté des parties d’appliquer des dispositions légales qui n’existaient pas alors.
La loi Travail ne prévoyait pas la rétroactivité des dispositions relatives à la dénonciation. Elle aménageait uniquement leur entrée en vigueur en disposant qu’elles s’appliqueraient dès que les accords cesseraient de produire leurs effets ; dès lors que cette cessation d’effet intervenait après l’entrée en vigueur de la loi, et ce, même dans les cas où les dénonciations seraient survenues avant la publication de la loi.
Pour la CFDT, l’anticipation des négociations d’un accord de substitution ne peut être vue que positivement. Davantage de temps est laissé à la négociation d’un nouveau statut collectif à la suite d’une dénonciation ce qui réduit le risque de déboucher sur une situation de vide conventionnel.
Néanmoins, acter la rétroactivité de ces dispositions pose des problèmes de visibilité du droit applicable pour les salariés. Il n’est pas étonnant que le salarié ait réclamé l’application de l’accord antérieur, dans la mesure où, en application des dispositions légales en vigueur au moment du licenciement, celui-ci aurait dû être applicable.
(1) Art. L. 2261-9 C. trav.
(2) Art. L. 2261-10 C. trav.
(3) Art. 17, IV de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.