Réforme du courtage : l’association qui tente (en vain ?) de s’y opposer

Alors que le décret et les arrêtés dédiés à la mise en œuvre de la réforme du courtage sont parus au début du mois de décembre 2021, une association (l’Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine, ou ANCDGP) tente de les faire annuler et déposera, s’il le faut, un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat.

Avant d’en arriver là, le président de l’ANCDGP, Philippe Loizelet, a transmis au Premier Ministre, Jean Castex, une demande gracieuse d’abrogation du décret d’application de la réforme du courtage. Le courrier reçu fin janvier donne au Gouvernement 2 mois pour répondre. Alors que la réforme est censée s’appliquer dès le 1er avril 2022, l’ANCDGP sait bien qu’elle risque de ne pas être satisfaite dans sa demande. Elle anticipe donc déjà, selon son président, la suite des événements : un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat ainsi qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Dans sa demande transmise au Premier Ministre, l’ANCDGP pointe plusieurs éléments qui lui posent problème dans la réforme du courtage.

Une réforme du courtage non conforme à la DDA

Le premier axe choisi par l’association est celui de la non-conformité du décret “réforme du courtage” au droit européen, plus particulièrement à la directive sur la distribution d’assurances (DDA). Effectivement, la DDA demande aux autorités des Etats membres (l’ACPR en France), de veiller à la bonne application des nouvelles mesures. Cela inclut notamment la surveillance des obligations de formation, d’assurance responsabilité civile professionnelles.

Or, le texte de la directive dispose précisément que ces autorités chargées de vérifier la bonne application des règles ne peuvent pas être des entités liées à des entreprises d’assurance, de réassurance, ou des intermédiaires d’assurance ou de réassurance. Pourtant, la réforme du courtage qui arrive au 1er avril 2022 acte justement la surveillance du respect de ces obligations par des associations composées de professionnels du monde de l’assurance. L’ANCDGP considère que cette délégation de pouvoir de l’ACPR vers les nouvelles associations est strictement contraire à la DDA.

L’inégalité de traitement avec les courtiers en libre prestation de service ou en libre établissement

L’association, par la voix de son président, estime également que les courtiers français sont discriminés par rapport aux européens qui décident de pratiquer leur activité en France en libre prestation de service ou en libre établissement. En effet, ces derniers n’ont pas d’obligation d’adhérer à une association de courtiers alors même que cette adhésion est obligatoire pour les courtiers français. L’ANCDGP met pourtant en exergue que ce sont justement des courtiers exerçant en libre prestation de service ou en liberté d’établissement qui sont le plus souvent sujets à défaillance. L’objectif de protection du consommateur serait alors loin d’être atteint.

L’ANCDGP dénonce donc cette inégalité de traitement flagrante qui serait contraire au droit européen.

Une obligation d’adhésion contraire à la liberté d’entreprendre, à la liberté syndicale et à la liberté d’association

Le droit européen n’est pas le seul fondement utilisé par l’association pour demander l’abrogation du décret d’application de la réforme du courtage à Jean Castex. L’ANCDGP se fonde aussi sur le droit national.

Elle se place d’abord sur le terrain de la liberté d’entreprendre qui est un principe général à valeur constitutionnelle (que le monde de l’assurance connaît bien depuis la censure des clauses de désignations en 2013). L’association estime que la nouvelle obligation d’adhérer à une association pour exercer le métier de courtier est une atteinte non justifiée à cette liberté. Elle estime que d’autres mesures moins contraignantes auraient pu être mises en œuvre tout en préservant l’intérêt du consommateur.

Ensuite, l’ANCDGP fait référence à la liberté syndicale et à la liberté d’association. La liberté syndicale a valeur constitutionnelle et la liberté d’association est un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR). Ces libertés sont donc protégées et le juge a déjà eu l’occasion de le confirmer, à la fois au niveau national et européen. L’association estime que l’obligation d’adhésion à une association professionnelle posée par la loi est contraire à ces libertés.

Une réforme du courtage à plusieurs vitesses, source d’inégalités devant la loi

L’association présidée par Philippe Loizelet dénonce également le fait que les obligations imposées aux professionnels ne soient pas les mêmes selon leur type d’activité. La réforme permet effectivement aux intermédiaires qui ne sont ni des courtiers en assurance ou réassurance, ni leurs mandataires, de ne pas adhérer à une association professionnelle agréée. Cela exclut les agents généraux de l’obligation d’adhésion alors même que les agents généraux sont des intermédiaires inscrits à l’Orias et relevant de l’ACPR. De plus, l’ANCDGP souligne que de nombreux agents généraux sont également des courtiers d’assurance…

L’association dénonce donc ce qu’elle considère être une rupture d’égalité devant la loi.

La réforme irait à l’encontre des principes d’indépendance et d’impartialité

La réforme du courtage permet à l’association professionnelle agréée de prononcer des sanctions à l’encontre de ses membres. Or, l’association y voit là un risque de voir naître des conflits d’intérêts qui iraient à l’encontre des principes d’indépendance et d’impartialité. Elle souligne qu’aucune garantie n’est donnée quant au respect de ces principes alors même que les courtiers s’apprêtent à être soumis à la volonté de leurs pairs dans le cadre des nouvelles associations.

Un pouvoir de sanction dévolu aux associations qui serait un doublon de celui de l’ACPR

Le dernier argument que l’association développe auprès de Jean Castex est celui selon lequel on ne peut être poursuivi et puni qu’une seule fois pour un même fait. Ce principe, dit non bis in idem, serait mis à mal par la réforme du courtage. L’ANCDGP considère que la faculté offerte aux associations professionnelles agréées de prononcer des sanctions équivalentes à ce que peut rendre l’ACPR conduirait à aller à l’encontre de ce principe.

Pour l’association, cette insécurité pourrait conduire à ce que les associations et l’ACPR prononcent les mêmes sanctions à l’encontre d’un seul courtier pour un même fait. Cela serait donc contraire au principe non bis in idem.

Certains de ces arguments ont, selon nous, bien plus de poids que d’autres. Par ailleurs, on peut penser que Jean Castex n’annulera pas le décret d’application de la réforme du courtage. Il y a donc tout lieu de penser que le Conseil d’Etat, voire le Conseil Constitutionnel, se penchera sur les différentes réflexions de l’association. Nous ne manquerons pas de revenir sur les futurs développements de cette bataille qui commence.

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