Réforme des retraites : urgence ou pas ?

La réforme des retraites est-elle urgente ? La question était posée (et tranchée) hier par Edouard Philippe sur BFM TV, qui a expliqué qu’il n’y avait pas d’urgence à réformer (mais que le calendrier serait tenu…). La remarque mérite d’être soulignée, car elle ramène aux éléments essentiels de l’arbitrage qu’Emmanuel Macron doit rendre: faut-il ou pas « accélérer les réformes », notamment en cherchant à faire passer à tout prix ce projet de retraites par points qui n’a pas encore convaincu les Français?

On comprend bien le dilemme de l’exécutif qui s’est mis tout seul dans la seringue de la retraite par points. 

La réforme des retraites, un beau projet sur le papier…

Lorsque le Président de la République était en campagne, le projet était tout nouveau beau tout beau. La promesse était conceptuellement simple à comprendre : au lieu d’un mille-feuilles incompréhensible sur les retraites, avec un régime général et des dizaines d’exception, les Français auraient droit à un système universel égalitaire, aussi carré qu’un jardin à la française, où un euro cotisé ouvrirait les mêmes droits quelle que soit la profession. 

C’était aussi brillant qu’une note de synthèse en économie aux épreuves de sortie de l’ENA, voire aussi brillant qu’un livre de Piketty (rappelons ici que le principe de la retraite par points a été théorisé par un proche de Piketty…). Un projet d’une telle ampleur devait forcément échoir à une figure d’élite comme Jean-Paul Delevoye, qui avait brillamment réussi le recrutement des candidats En Marche aux législatives. 

… un peu plus compliqué à mettre en oeuvre

Toute la difficulté dans ce genre de projet théorique réside dans le passage à l’acte. Pour les énarques au pouvoir, il s’agit de réaliser une belle œuvre. Pour les Français qui doivent subir la réforme, le projet est un bouleversement du cadre social qui modifie en profondeur leurs anticipations existentielles. 

Ce divorce d’intérêt entre les élites gouvernantes et la masse des sujets républicains est accru par le poids de la propagande auto-réalisatrice portée par la technostructure. Officiellement, tous les Français adorent leur sécurité sociale, ils veulent la sanctuariser et rêvent tous d’égalité. Donc, un grand régime universel correspond à l’intérêt général. 

La réalité montre obstinément l’inverse. Finalement, des régimes de retraite « balkanisés » conviennent très bien à beaucoup de Français, et il ne se trouve jamais de majorité claire pour soutenir un changement des règles du jeu. Quitte à ce que les ressortissants des régimes spéciaux fassent une clé de bras au pays en le bloquant par tous les moyens, comme ce devrait être le cas en décembre, pour conserver l’existant. 

Car le diable se cache dans les détails

Le passage à l’acte, dans ce genre de projets, suppose en effet de régler une multitude de détails qui sont autant d’urticants pour tous ceux qui, tels des lézards, prospèrent à l’abri de l’un ou de l’autre. Tout le monde connaît le problème de l’âge de départ très favorable dans les régimes spéciaux. Mais que dire des taux de réversion pour les veuves ? Du bonus par enfant mis au monde ? Des taux de cotisation employeurs très différents selon les professions ? 

Tous ces détails provoquent des catastrophes en série dès lors que le pouvoir exécutif entreprend des les araser pour créer un glacis uniforme de règles. La polémique sur la réversion pour les veuves l’a bien montré. Derrière chaque détail se cache un principe d’organisation collective, et l’instauration du « un euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous » percute de plein fouet nombre de choix sociétaux positifs. 

La majorité marcheuse est en train d’en faire la douloureuse expérience. Entre la confiscation des réserves accumulées par certains régimes et la remise à plat des pensions des fonctionnaires, l’érection du jardin à la française regorge de chausse-trappes insoupçonnables sur les plans du paysagiste. 

Une absurdité économique ?

Face à la difficulté – et même aux difficultés (majeures) – qui s’annoncent, l’exécutif est cornerisé sur la raison profonde de cette révolution impopulaire qu’il propose. 

De longue date, une musique lénifiante prétend que ce projet se justifie par des objectifs d’égalité, et non des objectifs d’économie. C’est une partition difficile à jouer pour plusieurs raisons. 

La première est que, sans réforme et sans ajustement paramétrique régulier (terme pudique qui signifie une baisse des retraites par la désindexation), le déficit du régime général revient au galop. Pour 2020, il est programmé à 4 milliards d’euros, si l’on inclut le dérapage du Fonds de Solidarité Vieillesse. 

Il est vrai que la mise en place d’une retraite par points ne règlerait pas ce problème à court terme. Mais il est aussi vrai que celle-ci a bien un objectif : réduire la part de PIB, à long terme, consacrée aux retraites obligatoires en France. Cette part est de 14% aujourd’hui, un record dans l’OCDE. 

Toute la question est de savoir si la réduction de la part des retraites dans le PIB passe forcément par une épreuve sociale compliquée à engager, ou si elle pourrait très bien intervenir en aménageant le mille-feuilles actuel. Le gouvernement n’ose pas clairement affirmer que l’objectif suprême de sa réforme repose sur un calcul économique pour les trente ou quarante ans à venir… pudeur qui complique fortement sa tâche. 

Rendre le système plus juste en l’ouvrant à la concurrence?

En réalité, nous savons tous que la part de la retraite rapportée à la richesse nationale est trop importante en France. A moins de vouloir finir comme la Grèce, il faudra bien, tôt ou tard, agir clairement sur ce point. 

Le sot projet d’un grand régime public monopolistique, on le voit, complique singulièrement la réalisation de cet objectif. Il en allonge les délais pour un bénéfice faible. 

Il serait en réalité plus productif, plus efficace, plus pragmatique, de garder le système balkanique actuel en y introduisant de l’égalité de choix, à défaut d’y imposer une égalité de règles dont les Français ne veulent pas. L’égalité de choix consisterait à laisser chacun libre de choisir la caisse de retraites qui lui convient, réforme adoptée en Allemagne dans les années 90 sans aucun remous social. 

Le seul changement de règle qui serait imposé serait la fin de la solidarité entre les régimes existants. Chaque régime devrait assurer son propre équilibre, en modifiant librement ses paramètres actuariels destinés à éviter ses déficits. De cette façon, le gouvernement contournerait la difficulté sociale d’imposer à tous les retraités et tous les cotisants en même temps des modifications douloureuses. 

Cette solution, qui fait le deuil du mythe technocratique d’un grand régime universel, permettrait de rétablir rapidement les comptes en ouvrant à chaque Français la possibilité de changer ses règles du jeu. L’Allemagne l’a fait, pourquoi pas nous? 

 

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