La répartition du travail sur plusieurs semaines modifie-t-elle le contrat de travail ?

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat : CFDT

 

A défaut d’accord collectif, l’article D.3122-7-1 du code du travail autorise l’employeur à organiser le temps de travail sur une période supérieure à la semaine et à prévoir une répartition des horaires sur quatre semaines au plus. Cette décision de l’employeur constitue-t-elle une modification du contrat de travail ? Non, répond la Cour de cassation dans un arrêt du 11 mai dernier. Cass. soc.11.05.2015, n°15-10025. 

  • Faits, procédure, prétentions

Dans cette affaire, l’employeur avait réparti le temps de travail des salariés sur une période de quatre semaines, et ce en l’absence d’accord collectif et de consentement individuel des salariés. 

L’union locale CGT de l’aéroport de Paris a fait assigner la société Aréobag devant le tribunal de grande instance de Paris afin de faire interdire à l’employeur, sous astreinte, de décompter le temps de travail sur des périodes de quatre semaines en l’absence d’accord individuel des salariés et d’accord collectif prévoyant une telle répartition des horaires sur plusieurs semaines. 

Ce type d’aménagement des horaires sur plusieurs semaines permet d’éviter, autant que faire se peut, de rémunérer des heures à un taux majoré en faisant varier la durée du travail d’une semaine sur l’autre au cours de la période considérée. Selon le Code du travail, lorsqu’un accord collectif prévoit une telle répartition, il peut le faire sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année (article L.3122-2). En revanche, en l’absence d’accord collectif, l’employeur ne peut, par décision unilatérale, faire varier la répartition des horaires que sur quatre semaines au maximum (article D.3122-7-1). 

La cour d’appel de Paris a donné raison au syndicat en décidant qu’à défaut d’accord collectif, la mise en place d’une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine, qui est un mode de décompte des heures supplémentaires moins favorable au salarié, constitue une modification du contrat de travail, laquelle nécessite l’accord exprès des salariés concernés. Aussi, l’employeur a t’il formé un pourvoi contre cette décision. 

  • Répartition sur plusieurs semaines et modification du contrat du contrat de travail

La Cour de cassation a donc dû répondre à une question qui taraudait bon nombre de juristes depuis l’adoption de la loi Warsmann : la répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine par décision unilatérale constitue-t-elle une modification du contrat de travail ? 

En effet, on se souvient qu’en 2012, le législateur a entendu mettre fin à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle « l’instauration d’une modulation du temps de travail sur une durée supérieure à la semaine constitue une modification du contrat de travail » (1). Ce qui permettait au salarié de la refuser sans commettre une faute. 

Afin de contrecarrer cette solution jurisprudentielle, l’article 45 de la loi Warsmann du 22 mars 2012 (2) a prévu que la mise en place d’une telle répartition sur une durée supérieure à la semaine et au plus égale à l’année ne constitue pas un modification du travail, sauf pour les salariés à temps partiel (article L.3122-6 du Code du travail). 

Le refus d’une modification du contrat de travail n’est en aucun cas fautif, tandis que le refus d’un changement des conditions de travail peut être considéré comme tel car l’aménagement des conditions de travail relève en principe du pouvoir d’organisation de l’employeur. 

Subsistait néanmoins la possibilité, prévue par les textes réglementaires (articles D.3122-7-1 et s. du Code du travail), de prévoir une telle répartition par décision unilatérale sur une période moins longue (quatre semaines au plus) ; or, sur ce sujet le législateur ne s’était pas prononcé. 

Raison pour laquelle il était permis d’espérer qu’une interprétation a contrario de la loi conduirait la Haute juridiction à décider qu’en cas de mise en œuvre unilatérale par l’employeur, la nouvelle répartition constituerait une modification des contrats de travail que les salariés sont en droit de refuser. 

Telle n’est point la solution qui a finalement prévalu, la chambre sociale censurant la décision d’appel au motif qu’ « en l’absence d’accord collectif (…) l’article D.3122-7 du code du travail donne la possibilité à l’employeur (…) d’imposer unilatéralement la répartition du travail sur une période n’excédant pas quatre semaines ». 

 

  • Perspectives

Cette solution porte un coup de canif de plus non seulement aux capacités du salarié de résister au changement en invoquant son contrat de travail, mais également à la primauté de la négociation sur la décision unilatérale pour mettre en œuvre les changements d’organisation. 

Il convient toutefois de relever qu’en cas de décision unilatérale, l’employeur est tenu de respecter deux obligations préalables (D.3122-7-1 du Code du travail) : 

– celle de consulter les représentants du personnel, tout d’abord ; 

– et celle de respecter un délai de prévenance qui, dans ce cas, ne saurait être inférieur à sept jours ouvrés, ensuite. 

Par ailleurs, il est permis de douter que la solution ici relatée s’étende aux salariés à temps partiel, dont la répartition du travail est en principe contractualisée et qui, de ce fait, ne peuvent se voir imposer une répartition sur plusieurs semaines par accord collectif (L.3122-6, alinéa 2 du Code du travail). 

Enfin, la décision nous paraît d’autant plus téméraire et inopportune que la loi en cours de discussion étend déjà la période maximale sur laquelle une décision unilatérale peut intervenir de quatre à neuf semaines dans les entreprises de moins de 50 salariés (futur article L.3121-43 du code du travail, selon le projet de loi El Khomri).  

 

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