La négociation interprofessionnelle (avortée) sur la modernisation du dialogue social a curieusement occulté le sujet principal autour duquel elle n’a cessé de tourner: mais à quoi peut bien servir un délégué syndical?
Il est assez significatif qu’à aucun moment cette question simple n’ait été posée de façon aussi explicite, alors qu’elle est au coeur de la question du dialogue social en entreprise. En proposant de créer le conseil d’entreprise, le bord patronal a d’ailleurs tenté de réduire le rôle du délégué syndical à une simple fonction de représentation élective. Branches Info et Tripalio se propose de reprendre la question à la lumière des enjeux de la négociation collective.
La négociation collective, est-ce un simple dialogue dans l’entreprise?
La négociation sur la modernisation du dialogue social a largement capoté sous le prétexte, avancé sur le bord patronal, selon lequel le dialogue social était naturel dans les petites et moyennes entreprises. Cet argument, qui n’a été relevé par aucune des parties, ne manque pourtant pas de surprendre, puisqu’il laisse à penser que l’objet du dialogue social se limite à un dialogue quotidien entre les salariés et leur employeur sur des questions anecdotiques dans la vie de l’entreprise.
Cette banalisation du dialogue social est pourtant très éloignée de la réalité: l’objet du dialogue social dans l’entreprise est de structurer la négociation collective, alors que le bord patronal, lorsqu’il plaidait contre son développement dans les TPE et les PME, visait largement la négociation individuelle. Si personne ne doute que, au sein d’une PME, l’employeur ne manque pas d’occasions de dialoguer individuellement avec ses salariés, l’enjeu de la négociation collective est évidemment tout autre: son objet est de formaliser de façon légitime des règles de portée collective qui ont vocation à organiser de façon durable la vie collective.
Pour que des règles collectives soient légitimes et durables, elles doivent remplir certaines conditions spécifiques: elles doivent avoir été débattues et délibérées (c’est-à-dire soupesées) de façon juste et ouverte. Ces règles ne sont en effet pas faites pour se limiter aux seules personnes qui les ont négociées à titre personnel et pour un usage individuel. Elles visent à dépasser le simple cadre des individus pour se “colorer” d’une dimension universelle, ou en tout cas bien supérieure aux simples enjeux des individus qui en ont discuté.
En ce sens, l’accord d’entreprise excède largement le rapport bilatéral entre l’employeur et chacun de ses salariés. Cet “excès” justifie la reconnaissance spécifique d’une fonction à part qui est celle du délégué syndical.
L’élection est-elle l’alpha et l’oméga de la représentation?
Nous entrons ici sur le débat glissant qui oppose le délégué du personnel et le délégué syndical. L’un est élu, l’autre désigné, quel est le plus légitime?
Dans un contexte démocratique, l’élection absorbe toujours tout autre critère de légitimité. Le principe d’un recours à l’élection contribue à affaiblir tout autre mode de désignation. Ceci étant posé, il est un fait que l’indépendance que la désignation procure à un délégué syndical peut se révéler un argument de poids lorsqu’il s’agit de négocier un accord difficile ou sensible en situation de conflit.
Là encore, l’invention du déléogué syndical désigné répond à la problématique de la protection du salarié chargé de représenter ses collègues. Cela ne signifie pas qu’elle est inamovible. Néanmoins, en cas de situation conflictuelle, elle constitue une garantie fondamentale qui ne peut être balayée d’un revers de la main.
La négociation collective, un enjeu pour l’inversion de la hiérarchie des normes
Rappelons ici que le délégué syndical constitue la clé de voûte d’une négociation d’entreprise dynamique et ambitieuse. Sans cette négociation collective, chaque entreprise reste prisonnière du cadre légal et réglementaire. Si les entreprises veulent pouvoir un jour s’affranchir de l’excès de règles, elles ont besoin d’investir sur leur capacité interne à bâtir des règles justes et acceptables. Dans ce cadre, le délégué syndical a un rôle essentiel à jouer, car lui seul permet de signer des accords dérogatoires par rapport à la loi sans encourir la suspicion d’une forme de complaisance ou de soumission à l’employeur.
Au fond, le délégué syndical est le prix à payer, par les entreprises, pour conquérir leur liberté contractuelle.
C’est un prix raisonnable qui aurait mérité d’être mieux pondéré lors de la dernière négociation.