Une personne étrangère à l’entreprise peut-elle licencier à la place de l’employeur ?

La Cour de cassation a rendu le 26 avril 2017, un arrêt fort intéressant relatif aux personnes qui peuvent licencier un salarié dans une entreprise. 

Il ressort des faits, qu’une société a décidé de licencier une salariée qui était employée depuis juin 1994. Elle était en CDD non consécutifs de 1994 à 2007, puis en CDI de 2007 à 2011. L’expert-comptable de l’employeur a été mandaté par ce dernier afin de conduire la procédure de licenciement jusqu’à son terme. 

Tous les documents inhérents à la procédure de licenciement ont été signés par l’expert avec la mention “pour ordre” au nom du gérant. Saisie de l’affaire, la cour d’appel a décidé que le licenciement de la salariée reposait sur une cause réelle et sérieuse, et que l’expert-comptable avait été mandaté par l’employeur pour le représenter dans toutes les démarches de licenciement. 

La salariée conteste la décision de la cour d’appel et se pourvoit en cassation. 

La Cour de cassation commence par préciser que, conformément aux règles relatives à la notification du licenciement, il est interdit à l’employeur de donner mandat à une personne étrangère à l’entreprise pour conduire une procédure de licenciement jusqu’à son terme. 

Or il ressort des faits que c’est l’expert-comptable de l’employeur, personne étrangère à l’entreprise, qui a conduit la procédure licenciement. La Cour en déduit que nonobstant la signature pour ordre de la lettre de licenciement au nom du gérant, il est interdit à l’employeur de donner mandat à une personne étrangère à l’entreprise pour conduire une procédure de licenciement. 

Par conséquent le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. 

Il faut donc retenir qu’une procédure de licenciement ne peut être effectuée par une personne étrangère à l’entreprise même si elle a été mandatée par l’employeur. 

 

Retrouvez ci-après l’intégralité du texte de l’arrêt :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X…, engagée par la société Dittmeyer agricola comme ouvrière à compter du 1er juin 1994 par des contrats saisonniers, a occupé à partir du 1er octobre 2007 le poste de comptable et responsable du personnel ; que, licenciée le 3 août 2011, elle a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 1er juin 1994 et la condamnation de son employeur à des indemnités de rupture et des dommages-intérêts ; 

 

Sur le premier moyen du pourvoi incident de l’employeur : 

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de requalifier à compter du 1er juin 1994 le contrat de travail de la salariée en contrat à durée indéterminée et de le condamner, en conséquence, à payer à la salariée des sommes à titre d’indemnité de requalification et de solde d’indemnité de licenciement, alors, selon le moyen, que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu’en l’espèce, elle faisait valoir que la salariée ne pouvait solliciter la requalification de contrats antérieurs au 23 août 2006 car son action était prescrite ; qu’en omettant de répondre à ce moyen péremptoire, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ; 

Mais attendu qu’aux termes de l’article 26 de la loi du 17 juin 2008, les dispositions de la loi qui allongent la durée d’une prescription s’appliquent lorsque celle-ci n’était pas expirée à la date de son entrée en vigueur, soit le 19 juin 2008, et les dispositions de la loi qui réduisent la durée d’une prescription s’appliquent à cette dernière à compter de la date de son entrée en vigueur, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée antérieurement prévue ; qu’il en résulte que l’action de la salariée en requalification de ses contrats de travail à durée déterminée introduite le 23 août 2011, auparavant soumise à la prescription trentenaire, était soumise à la prescription quinquennale courant à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 et n’était pas atteinte par la prescription ; que, par ce motif de pur droit, après avis donné aux parties en application de l’article 1015 du code de procédure civile, il est ainsi répondu aux conclusions invoquées ; 

 

Sur le second moyen du pourvoi incident de l’employeur :  

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à la salariée une somme à titre de solde d’indemnité de licenciement, alors, selon le moyen, que l’ancienneté d’un salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs requalifiés en un contrat à durée indéterminée doit être calculée en fonction des périodes de travail effectif, durant lesquelles le salarié s’est tenu à la disposition de l’employeur ; qu’en l’espèce, il était constant qu’entre 1994 et 2007, la salariée avait travaillé pour la société par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs ; qu’en jugeant néanmoins que l’ancienneté de la salariée devait être appréciée de façon continue à compter du 1er juin 1994, sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions de l’employeur, à quelles périodes elle avait effectivement travaillé pour la société et s’était tenue à sa disposition, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 1245-1 du code du travail et 1134 du code civil ; 

Mais attendu que la cour d’appel a exactement retenu que par l‘effet de la requalification prononcée, l‘ancienneté de la salariée devait être prise en compte à partir du 1er juin 1994, au moment où celle-ci avait travaillé sans contrat écrit ; que le moyen n’est pas fondé ; 

 

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal de la salariée, qui est recevable : 

Vu l’article L. 1232-6 du code du travail ; 

Attendu que la finalité même de l’entretien préalable et les règles relatives à la notification du licenciement interdisent à l’employeur de donner mandat à une personne étrangère à l’entreprise pour conduire la procédure de licenciement jusqu’à son terme ; qu’il s’ensuit que la signature pour ordre de la lettre de licenciement au nom de l’employeur par une telle personne ne peut être admise ; 

Attendu que pour dire que le licenciement de la salariée reposait sur une cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient qu’il est constant que c’est M. Y… expert-comptable de la société Dittmeyer Agricola, qui a signé la lettre de convocation à l’entretien préalable, a mené l’entretien préalable de la salariée et a signé la lettre de licenciement, tous ces documents étant signés « pour ordre » par ce dernier, sous le nom de M. Z… Clemens ou A… Félix, gérants, que l’employeur justifie d’un mandat donné le 20 juillet 2011 à M. David Y…, expert-comptable, par M. Félix A…, gérant de la société Dittmeyer Agricola, « pour le représenter dans toutes les démarches de licenciement à l’égard de Mme Marie-José X…, pour le compte de la SCEA Dittmeyer Agricola », que si la finalité même de l’entretien préalable et les règles relatives à la notification du licenciement interdisent à l’employeur de donner mandat à une personne étrangère à l’entreprise pour procéder à l’entretien et notifier le licenciement, les documents comportant la mention « po » (pour ordre) ont la valeur de documents rédigés par la personne ayant le pouvoir de signature, qu’ainsi, la lettre de licenciement signée « pour ordre » au nom du gérant est valable, quand bien même l’identité de la personne signataire ne serait pas connue, dès lors que la procédure de licenciement a été menée à son terme, le mandat de signer la lettre de licenciement ayant été ratifié, qu’en l’absence de désapprobation du mandant (personne ayant la signature en temps normal) à l’égard des actes effectués par celui qui s’est comporté comme le titulaire d’un mandat apparent (le signataire), la lettre de licenciement est valable, qu’il en résulte que la procédure de licenciement diligentée à l’encontre de la salariée est parfaitement régulière ; 

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la procédure de licenciement avait été conduite par l’expert-comptable de l’employeur, personne étrangère à l’entreprise, ce dont il résultait, nonobstant la signature pour ordre de la lettre de licenciement par cette personne à laquelle il était interdit à l’employeur de donner mandat, que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; 

Et attendu que la cassation sur le premier moyen du pourvoi principal entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs visés par les deuxième, troisième et quatrième moyens de ce pourvoi ; 

 

PAR CES MOTIFS : 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il dit que le licenciement de Mme X… reposait sur une cause réelle et sérieuse de licenciement, l’arrêt rendu le 16 juillet 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux ; 

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