Le gouvernement en lutte (fort sélective) contre la pauvreté

Anticipant quelque peu la présentation officielle aujourd’hui, par le Président de la République, de son plan de lutte contre la pauvreté, le gouvernement a laissé fuiter dès hier les principales mesures qu’il comprend. S’il est vrai que les différents publics touchés par la pauvreté devraient tous bénéficier de ce plan, il n’en demeure pas moins que l’action gouvernementale découle d’une vision très particulière de la précarité. 

Des actions tous azimuts

Entendant rompre avec les conditions de la “reproduction” de la pauvreté, le plan gouvernemental veut tout d’abord améliorer le sort réservé aux enfants qui vivent dans la pauvreté. L’accueil des enfants sera facilité pour les familles n’ayant actuellement pas les moyens de les faire garder : 30 000 places de crèches seront créées, une aide sera accordée à celles qui accueillent des enfants de condition modeste et un système de tiers-payant sera instauré sous condition de revenu pour les femmes seules. Afin de permettre à tous les enfants d’être bien nourris, des petits-déjeuners seront offerts dans les écoles prioritaires et les tarifs sociaux des cantines seront généralisés à l’ensemble du territoire – l’Etat sera garant de la soutenabilité financière de cette opération dont profiteront entre 200 000 et 300 000 enfants. Enfin, le gouvernement veut mettre fin au phénomène des enfants qui dorment dans les rues. 

Les enfants qui vivent dans la pauvreté ayant tendance à devenir de jeunes adultes qui continuent à vivre dans la pauvreté, le gouvernement a également prévu des mesures pour les tranches d’âge plus élevées. L’objectif de l’exécutif est clair : les personnes en âge de travailler qui vivent dans la pauvreté doivent s’en sortir par le travail. Les jeunes majeurs issus de l’aide sociale à l’enfance, l’ex-DASS, seront prioritaires pour obtenir un logement social et une formation professionnelle. Pour les 18-25 ans, la garantie jeune instituée par François Hollande et destinée à favoriser leur formation et leur insertion professionnelles sera renforcée, passant de 100 000 à 500 000 bénéficiaires. Les “décrocheurs” du système éducatif seront enfin déclarés par leur établissement scolaire et suivis de près par la mission locale dont ils dépendent géographiquement. 

Enfin, d’autres mesures sont prévues pour les personnes touchées par la pauvreté et qui ne sont pas spécifiquement des enfants ou des jeunes adultes. Le mode de calcul de nombreuses prestations sociales devrait être revu, de manière à ce qu’il soit directement lié aux ressources dont disposent les allocataires au moment du calcul. Par ailleurs, le dispositif “Territoire zéro chômeur longue durée”, reposant sur un financement public de CDI destinés à des anciens chômeurs de longue durée, serait étendu – sans être nécessairement généralisé. Enfin, comme nous l’avons déjà expliqué dans nos colonnes, la CMU-C – 5,5 millions de bénéficiaires – et l’ACS – 1,4 millions de bénéficiaires – seront fusionnés en un système de régime santé complémentaire qui couvrira ses futurs bénéficiaires pour un montant inférieur à 30 euros par mois. 

Précarités visibles et invisibles

Comme l’ont dit et répété Agnès Buzyn, la ministre de la Santé et des Solidarités, et Olivier Noblecourt, le délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, le plan de lutte contre la pauvreté avancé par le Président de la République est “ambitieux”. Il porte en effet sur huit milliards d’euros répartis sur les quatre prochaines années. Au-delà de cet aspect, l’exécutif vante sa nouvelle approche : il ne souhaite plus tant éviter aux personnes en situation de précarité de tomber dans la misère noire en leur accordant quelque subside de fortune que leur permettre de réintégrer pleinement la société, en s’arrimant au marché du travail. Avec un tel objectif et de tels moyens, Emmanuel Macron juge très probablement qu’il va pouvoir se défaire de l’image qu’il véhicule de “Président des riches”, fort éloigné des enjeux et problèmes du petit peuple. 

Quoi qu’il en soit de ce pari, il est intéressant de s’arrêter quelque peu sur la définition de la “pauvreté” qui est sous-jacente au plan d’action gouvernemental. Du point de vue des responsables qui l’ont élaboré, le pauvre se définit, somme toute, de manière assez simple : c’est celui qui est exclu du marché du travail, ou qui, encore enfant ou jeune, maximise les chances de l’être le moment venu. Aussi une personne en situation de précarité qui intègre durablement le marché du travail peut-elle être considérée, d’après le gouvernement, comme étant sortie d’affaire ou presque. Pour quiconque qui vit, au quotidien, dans le pays réel, cette conception des choses est pour le moins curieuse, tant il est fréquent que des travailleurs, qu’ils soient ou non salariés, y vivent dans des situations économiques et sociales fort difficiles – au moins autant, en tout cas, que les “pauvres” au sens gouvernemental du terme. 

C’est finalement ici que la politique sociale de l’exécutif laisse pour le moins perplexe. En effet, dans l’ensemble, bien des réformes entreprises par M. Macron depuis son arrivée à l’Elysée : loi Travail, projet de réforme de l’assurance chômage et des régimes de retraite pour les salariés ; contrôle accru de l’argent liquide, complexifications bureaucratiques croissantes, entre autres, pour les indépendants ; et pour tous, par exemple : hausse du prix des carburants, passage aux 80 km/h, ne se caractérisent pas précisément par une amélioration de la situation faite aux travailleurs. Au contraire, il apparaît de plus en plus que leurs conditions sociales se dégradent plus ou moins rapidement. Le gouvernement ne chercherait-il donc pas, au total et sans grande originalité, à transformer les précaires visibles en précaires invisibles ? Il convient, hélas, d’envisager sérieusement cette hypothèse. 

Ajouter aux articles favoris

Conformité CCN en santé

Pour vous aider à gérer la conformité CCN de vos offres "santé standard", profitez de notre outil en marque blanche gratuitement en 2023. L'outil vous permettra de savoir, en un clic, le niveau de votre offre compatible avec la CCN que vous aurez sélectionnée. L'outil en marque blanche est relié à la base de données CCN de Tripalio, juridiquement certifiée et mise à jour en temps réel. Il bénéficie de notre algorithme de comparaison qui détecte les non-conformités du contrat santé standard.
Demandez votre outil
0 Shares:
Vous pourriez aussi aimer
Lire plus

Quand la relation intime entre deux salariés devient un motif de licenciement

La relation intime d'un responsable d'entreprise peut avoir des conséquences professionnelles s'il les cache à sa direction. C'est ce qu'a récemment rappelé la Cour de cassation dans une décision rendue le 29 mai 2024. Elle s'y prononce sur le licenciement pour faute grave d'un responsable d'entreprise qui a caché à son employeur sa relation avec une autre salariée de l'entreprise, laquelle est titulaire...
Lire plus

Indemnité de cantine fermée “covid” : le juge tranche en défaveur des télétravailleurs

La crise sanitaire de 2020 a provoqué la fermeture de nombreux lieux de rassemblement de population, dont la fameuse cantine d'entreprise. Or, certaines entreprises ont dû maintenir une activité dans leurs locaux pour assurer la continuité de service. Dans ce cadre, une indemnité dite de cantine fermée a été mise en place pour permettre aux salariés présents de ne pas être lésés par la fermeture du restaurant normalement accessible dans le cadre de leur emploi. Mais cette indemnité a fait naître quelques litiges, dont...
Lire plus

Obligation de prévention et sécurité : c’est à l’employeur de montrer patte blanche en cas d’accident

En entreprise, l'employeur est tenu de respecter des mesures de prévention et sécurité afin de protéger la santé de ses salariés. Les dispositions du code du travail encadrent cette obligation avec précision. Mais que se passe-t-il en cas de manquement de l'employeur ? Le salarié peut-il considérer que cette violation de ses obligations légales par l'entreprise constitue un motif de rupture de contrat de travail aux torts de l'employeur ? Dans ce cas, sur qui repose la charge de la preuve ? C'est à cette question que...