Valorisation folle des start-up: quand vient le temps de rembourser les actionnaires – l’exemple douloureux de Wijet…

Les mésaventures de Corentin Denoeud, à la tête de Wijet, racontées dans un blog à lire par tous les passionnés de start-up, de disruption et de levées de fonds abracadabrantes, jettent un éclairage intéressant sur la splendeur et la misère de l’économie numérique. Ou comment une success story montée en épingle dans les medias peut céder la place, au moment où il faut payer les inévitables additions, à une descente aux enfers.

Dans la petite start-up qui édite ces lignes, les levées de fond de l’économie numérique nourrissent parfois les rêves de quelques salariés éduqués au lait de Bill Gates, de Steve Job et autres Zuckerberg. Quand les millions s’alignent sur les coins de table avec toutes les apparences d’une facilités déconcertantes, les espoirs les plus fous commencent à gigoter dans les cerveaux les plus ambitieux. Alors, pour répondre aux questions lancinantes ou louvoyantes de ceux qui se reconnaîtront dans ces lignes, j’ai flâné sur Internet à la recherche des vraies histoires sur l’envers des story-tellings servies par quelques cabinets de communication dont le métier est de transformer le monde souvent impitoyable de l’économie numérique en un conte de fées dont même Disney n’aurait pas osé la description. 

Splendeur et misère de Corentin Denoeud

Et j’ai trouvé le blog de Corentin Denoeud, qui a créé Wijet en 2007, alors qu’il était encore à HEC. C’est vrai que le bonhomme a(vait) tout pour incarner le mythe de Steve Job, voire même celui de Zuckerberg. Mis en orbite dès ses 23 ans, il enchaîne les levées de fond à sept ou huit chiffres et passe sur les télévisions spécialisées pour exposer ses envies à vous décrocher la lune. C’est beau comme un rêve à afficher aux murs d’Epitech ou de l’école 42. 

Quand on prend le temps de décrypter l’affaire, on comprend que derrière le story-telling très marketé pour les levées de fonds, la vie est un peu moins rose. Le projet met plusieurs mois à émerger et se lance en pleine crise financière. Officiellement, Corentin Denoeud est le patron de la boîte. En réalité, comme beaucoup de fondateurs de start-up, Corentin Denoeud est un exécutif chargé de développer un projet financé… par des investisseurs qui espèrent bien, tôt ou tard, non seulement récupérer leur mise, mais aussi faire une bonne affaire. 

Wijet, dont il prend les manettes, propose des services d’avion-taxi pour une clientèle d’affaires un peu partout en Europe. Le concept est audacieux. Il suppose d’immobiliser de lourds investissements, avec une flotte d’avions coûteuse à entretenir. Les fonds à investir pour faire vivre l’aventure sont importants. Dix ans après sa création, Wijet n’a toujours pas trouvé son modèle, et les actionnaires envisagent un débouclage face à ce qui semble une affaire compliquée à développer. 

Wijet, où l’histoire de l’exécutif grenouille qui veut se faire plus gros que le boeuf

Pour tous ceux qui rêvent de levées de fond faramineuses, et qui pensent que la qualité d’un projet entrepreneurial est liée au nombre de zéros qui s’affichent après le premier chiffre du chèque endossé, l’affaire Wijet remet pas mal de pendules à l’heure. Toutes les start-up qui privilégient la valorisation à la rentabilité connaissent tôt ou tard le stress du passage à la phase de maturité, où les millions mobilisés montrent ce à quoi ils ont servi.  

À cette heure-là, l’exécutif qui s’imagine plus puissant que ceux qui l’ont financé connaît souvent de terribles désillusions. Corentin Denoeud n’a pas échappé, comme il le raconte lui-même, à cette déconvenue. Le jour où les actionnaires demandent des comptes, le dirigeant de l’entreprise ne pèse en effet pas grand chose face à eux. Disons même que la tentation est souvent grande de rappeler celui-ci à son vrai rôle: celui d’incuber un projet au nom de ceux qui ont mis de l’argent dans l’affaire. Si tout va bien, il est couvert de lauriers. Si, au contraire, les résultats ne sont pas au rendez-vous, sa position est menacée. 

Dans les levées de fond, les dirigeants prennent souvent la précaution d’inscrire dans les textes statutaires leurs conditions financières de sortie en cas de désaccord. Tout appel à des investisseurs extérieurs transforme en effet le fondateur d’une entreprise en pot de terre face aux mains qui donnent à manger. Sauf à vouloir être une grenouille qui se fait plus grosse qu’un boeuf, il ne faut jamais oublier cette dure loi de la réalité: celui qui finance est celui qui a le pouvoir.  

Pour avoir oublié cette vérité simple, Corentin Denoeud s’est exposé à un recadrage en bonne et due forme au vu des difficultés financières de l’entreprise dont il avait la charge. Le patron de Wijet semble avoir eu l’illusion qu’il pourrait échapper à la loi du genre en contestant telle ou telle pratique de ses actionnaires. Fatalitas! la main qui donnait à manger s’est transformée en main qui frappe. Son limogeage s’est fait sans ménagement. 

Petit rappel aux réalités du capitalisme financier appliqué à l’économie numérique

L’illusion savamment entretenue par les story-telling diffusées de-ci de-là laisse croire que l’économie numérique est un espace festif, entièrement dédié au baby-foot, aux brain-storming et à l’amitié universelle entre les humains. Wijet est un exemple pris sur le vif, parmi tant d’autres, d’une réalité beaucoup plus nuancée.  

Les investissements massifs dans l’économie numérique, les valorisations rapides, parfois obtenues sur des business plan sommaires, ont toutes leur contrepartie. Le phénomène est accru par la mise en place d’une bureaucratie de l’innovation souvent mue par des intérêts différents de celui des investisseurs. Les fonds, qu’ils soient indépendants ou liés à une grande entreprise qui souhaite investir dans l’économie numérique, ont confié à des opérationnels le soin de choisir les entreprises où investir. Les critères de choix sont souvent plus liés à des aspects formels qu’à des logiques entrepreneuriales proprement dites. 

D’où des malentendus. Certaines jeunes pousses, identifiées comme des pépites parce que leur présentation était efficace et faisait mouche, se révèlent fortement déceptives. C’est à ce moment-là que les ennuis commencent pour le dirigeant.  

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