La démocratie sociale française est fondée non pas sur un dialogue entre partenaires sociaux, mais sur un trialogue, pour reprendre l’expression d’un dirigeant patronal (comme quoi, on peut même dire du bien du MEDEF, parfois…), où l’Etat joue un rôle essentiel. Arbitre en dernier ressort et investi du pouvoir de légiférer (donc de jouer contre les deux autres équipes sur le terrain), l’Etat en France est le grand maître du jeu social. Cette particularité tranche avec l’organisation de nos voisins, où le dialogue social interprofessionnel n’existe pas et où l’Etat, comme en Allemagne (constitutionnellement) s’interdit d’entrer dans la danse.
Avec l’arrivée de François Hollande au pouvoir, le trialogue social s’est-il transformé en une suprématie de la CFDT, y compris sur le partenaire étatique, créant ainsi un système qu’on pourrait appeler la CFDEtat? L’hypothèse peut être valablement reçue.
CFDEtat et compte pénibilité
La mise en place du compte pénibilité constitue un exemple parmi d’autres de l’influence décisive que la CFDT exerce sur le champ social en France. Alors que le simple bon sens recommande de ne pas mettre en place le compte pénibilité, la CFDT en a fait une affaire de principe auprès du gouvernement. Dans la pratique, on sait tous que le compte pénibilité est une façon de ne pas prévenir la pénibilité, qu’il est une invention d’une bureaucratie syndicale totalement coupée des réalités, rien n’y a fait.
Nos lecteurs savent que nous n’exonérons pas les responsabilités patronales de leurs responsabilités dans ce dossier. Entre une guerre de tranchée menée pendant plusieurs années sur le sujet et une complicité probable de l’une ou l’autre grande fédération avec la CFDT, les mouvements patronaux font aujourd’hui payer à leurs adhérents (et aux autres) le prix de leur incurie. Il n’en reste pas moins que la pénibilité est une mesure assez symbolique du poids de la confédération sur le dialogue social.
L’exemple de l’assurance-chômage
Un autre exemple est donné par la reprise éventuelle des négociations sur l’assurance chômage, avortée au printemps. La CFDT, avec quelques autres, tenait tout particulièrement à mettre en place une taxation des contrats courts. La mesure fâche tout particulièrement les petites entreprises qui sont les plus grandes consommatrices de ce type de contrats. Tout laisse à penser que l’Etat va suivre la CFDT et préconiser une mesure d’autant plus maladroite que l’idée concomitante de taxer les hauts salaires ne devrait pas être reprise.
Par une sorte d’incompréhension mutique, le gouvernement s’apprête donc à frapper une nouvelle fois les petits et à épargner les gros. Cette obstination à servir les grands groupes étonne.
La CFDT soutiendra-t-elle les ponctions sur la formation professionnelle?
Le projet de loi de finances a prévu la mise en place d’un “fonds de concours”, c’est-à-dire d’un fonds partagé avec d’autres partenaires que l’Etat, pour financer des formations à destination des chômeurs à hauteur de 300 millions d’euros. Alors que la formation des chômeurs est une mission de solidarité dévolue à l’Etat, les fonds des entreprises vont donc être sollicités pour honorer la promesse de François Hollande d’inverser la courbe du chômage.
Quelle sera la position de la CFDT sur ce sujet? Le débat sera à suivre, mais il est probable que, dans le grand donnant-donnant entre l’Etat et la CFDT, ce pion-là soit consensuel.
La CFDEtat a-t-elle un visage?
Comment, concrètement, s’opère cette sorte de fusion entre une confédération syndicale et l’Etat?
Plusieurs passerelles existent, notamment à travers les puissantes sections CFDT présentes chez les hauts fonctionnaires, qui constituent autant de lieux d’échange entre le pouvoir et le syndicat. Le ministère du Travail en est un théâtre intéressant. Au demeurant, l’Etat n’hésite pas à nommer à l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) des dirigeants de la CFDT, qui facilitent encore plus les consensus.
On notera cependant que François Hollande a nommé comme conseiller social Michel Yahiel, ancien président de l’Association Nationale des Directeurs de Ressources Humaines, et proche de la CFDT. Celle-ci l’avait même proposé, en 2010, au poste de directeur général de l’UNEDIC. Le MEDEF s’y était opposé à l’époque. Ces petits incidents ne s’oublient jamais de sitôt.