Dans son cocktail d’idées décapantes, Marisol Touraine a annoncé, la semaine dernière, le plafonnement du prix des prothèses dentaires. L’idée ne surprend personne, puisque la technique du plafonnement tarifaire a déjà été utilisée pour les soins optiques depuis 2015. Comme les lunettes et les prothèses dentaires sont les biens médicaux que les Français ont le plus de difficulté à acquérir, il était logique et prévisible que la technique tarifaire utilisée pour l’un soit transposée à l’autre.
La question est évidemment de savoir ce qu’une ministre de la Santé dit et induit comme conséquences collectives lorsqu’elle limite autoritairement le prix d’un bien médical.
Une limitation illusoire
Il faut d’abord bien comprendre que le plafonnement tarifaire est une imposture. En réalité, Marisol Touraine a le pouvoir de plafonner le tarif des prothèses remboursées par la sécurité sociale ou par les complémentaires santé, comme elle l’a fait, par décret, avec les lunettes. Mais elle ne peut plafonner le tarif pour ceux qui décident d’acheter sans l’intervention de la sécurité sociale.
C’est l’exemple bien connu d’Audrey Pulvar, qui avait acheté des lunettes en écaille de tortue pour un montant de 3.300 euros. Pour ce genre de bien médical, le marché restera libre.
Un pas de plus vers la médecine à deux vitesses
Autrement dit, en plafonnant les tarifs, la ministre de la Santé acte l’existence d’une médecine à deux vitesses. D’un côté, on trouve les soins remboursés par la sécurité sociale qui sont plafonnés. De l’autre, on trouve les soins achetés à prix d’or par une clientèle fortunée. Dans cet ensemble, les classes moyennes disparaissent et, en réalité, l’accès aux soins de qualité est raréfié et rendu plus difficile par le plafonnement des tarifs remboursés.
Une dégradation des soins pour le plus grand nombre
En plafonnant les tarifs des prothèses dentaires, Marisol Touraine va produire un effet en trompe-l’oeil. Dans l’immédiat, les prix vont effectivement baisser. Dans la pratique, cette décision va provoquer un puissant déséquilibre sur le marché de la prothèse dentaire, puisque marché il y a. D’une part, le plafonnement va raréfier l’accès aux prothèses les plus coûteuses, qui sont généralement celles de meilleure qualité. La qualité des soins s’en ressentira. D’autre part, le plafonnement va favoriser les centres low cost au détriment des dentistes traditionnels.
Pour l’ensemble de la profession, cette mesure risque donc de se traduire par un désavantage pour les praticiens traditionnels.
L’essor prévisible des centres low cost
Contrairement à ce que Marisol Touraine laisse croire, la prothèse dentaire est un marché. Certes, il comporte de nombreuses distorsions, mais il s’agit bien d’un marché au sens classique du terme. En le réglementant de façon brutale et drastique, la ministre va le modifier en profondeur. En plafonnant les prix, elle va éliminer du marché tous ceux qui ne peuvent ajuster leurs tarifs, et elle va favoriser tous les acteurs qui jouent sur les prix pour vendre.
Sur ce point, Marisol Touraine a annoncé le déblocage de 200 millions d’euros pour aider les dentistes traditionnels, ainsi qu’une revalorisation des soins de base. Cette petite portion de beurre sur les épinards ne changera, à long terme, rien aux mutations que le plafonnement va induire: les dentistes traditionnels vont subir la concurrence de plein fouet.
Les dentistes ont pris conscience de leur destin
Les dentistes sont d’ailleurs parfaitement conscients de ce qui les attend. Voici ce qu’en disait Catherine Mojaïski, président de la Confédération Nationale des Syndicats Dentaires (CNSD):
La concurrence impacte de plus en plus notre exercice quotidien. Une régulation de fait se met en place par l’implantation massive des centres low-cost, la tentation des soins à l’étranger et l’influence des réseaux de soins. Il faut inverser cette tendance par des investissements de la part de l’assurance maladie obligatoire mais aussi des complémentaires, faute de quoi on va se trouver définitivement soumis à la « loi du marché » qui fera sans doute beaucoup plus de dégâts en termes d’accès aux soins. Jusqu’ici, les mesures prises par les gouvernants n’ont été que des mesures de plafonnement dogmatiques sans réel rapport avec le coût des pratiques.
Le petit air connu du plafonnement…
La soviétisation progressive des soins en France
Marisol Touraine laissera la marque de son passage par une dégradation globale des remboursements de soins avec un maintien de cotisations santé extrêmement élevées, et sans aucune réforme majeure. Cette technique s’appelle la soviétisation de la santé: tout le monde paie le même prix artificiel, et la qualité des prestations rendues en contrepartie se dégrade continûment.
Peu à peu, la santé française ressemble à une Rolls qui se transforme en Lada.