La semaine dernière, nous avions effleuré les conséquences de la loi Sapin 2 sur l’assurance. L’une d’elles risque d’avoir un très fort impact sur la vie des fédérations professionnelles. Elle tient en particulier à l’article 13, qui fixe les règles applicables aux “représentants d’intérêt”. Le détail de ces mesures ne manque pas de croustillant.
Qu’est-ce qu’un représentant d’intérêts?
La loi détaille de façon floue ce que seront les représentants d’intérêt:
“Sont des représentants d’intérêts, au sens du présent article, les personnes morales de droit privé (…) dont l’activité principale ou accessoire a pour finalité d’influer, pour leur compte propre ou celui de tiers, sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire…”
Le texte donne ensuite une liste limitative de ce qui n’est pas un représentant d’intérêts. On retiendra notamment cette phrase emberlificotée:
“Les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs en tant qu’acteurs du dialogue social, au sens de l’article L. 1 du code du travail”
Or, les puristes se souviennent que l’article 1 du Code du Travail vise “les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel”. Autrement dit, une fédération professionnelle est exclue de ce champ, puisque, par définition, elle n’est pas interprofessionnelle…
Il suffit, quoiqu’il arrive, de se référer aux statuts des organisations en question pour comprendre que leur action hors du champ du dialogue social comporte bien comme objet principal l’influence sur les pouvoirs publics. Par exemple, le site de la toute nouvelle FFA annonce:
Porter une parole unique aux interlocuteurs de l’Afa et notamment aux pouvoirs publics, est aujourd’hui le meilleur gage d’efficacité de l’action de l’association au service des intérêts des assureurs et des assurés.
L’affaire est donc pliée.
Même rencontrer un parlementaire sera réglementé
La FFA, comme d’autres (la FNIM, la FNMF, le CTIP, AGEA, la CSCA, etc.) devront donc se conformer aux innombrables obligations prévues par ce texte délirant, dès lors qu’elles rentreront en contact avec le Président de la République ou l’un de ses collaborateurs (Jean-Pierre Jouyet par exemple), un ministre ou l’un de ses collaborateurs (le conseiller finance de Matignon par exemple), un représentant d’une autorité administrative indépendante (l’ACPR, au hasard), un député, un sénateur ou un collaborateur parlementaire, un haut fonctionnaire, etc. Bref, dès que Bernard Spitz se rendra sur les lieux d’une catastrophe climatique en présence du Président de la République, il aura franchi la ligne rouge.
Cet exemple montre bien l’étendue des dégâts: en réalité, l’ensemble des organisations professionnelles ou de leurs fétus de paille (on pense ici au Cercle de l’Epargnant et à une multitude d’autres micro-organismes) devra désormais entrer dans un labyrinthe réglementaire époustouflant.
Le contrôle général de la Haute Autorité de la Transparence de la Vie Publique
La loi Sapin 2 prévoit un contrôle général de la Haute Autorité de la Transparence de la Vie Publique sur les représentants d’intérêts, donc sur les fédérations professionnelles, comme la FFA. Ce contrôle inclut une prise de connaissance des personnes employées par ces organismes, mais aussi du chiffre d’affaires, et de quelques autres informations qui en disent long sur la tentation autoritaire du gouvernement actuel. Par exemple, les fédérations devront transmettre une “La description des principales actions relevant du champ de la représentation d’intérêts menées, l’année précédente, auprès des personnes exerçant l’une des fonctions mentionnées (…), en précisant les coûts liés à l’ensemble de ces actions.”
On s’en amuse par avance: le coût du moindre cocktail au détour du moindre événement où un député sera invité devra être communiqué à cette Haute Autorité. Voilà, en perspectives, quelques créations supplémentaires d’emplois de fonctionnaires pour contrôler toutes ces liasses de factures.
On notera avec un amusement encore plus grand que cette transmission d’informations est étendue à tous les “adjuvants” de la fédération professionnelle:
“Toute personne exerçant, pour le compte de tiers, une activité de représentation d’intérêts au sens du présent article communique en outre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique l’identité de ces derniers et le budget lié aux activités de représentation d’intérêt exercées par chacun de ces tiers.”
Autrement dit, la FFA devra communiquer le budget “d’influence” d’Axa, de Generali, de la Matmut, de la MACIF, etc. On se tient par avance les côtes en lisant cet article.
Cerise sur le gâteau, les opérations d’influence seront publiées semestriellement par la Haute Autorité sur son site Internet.
Interdictions délirantes ou hypocrites?
Les innovations farfelues de la loi Sapin 2 ne s’arrêtent pas là. Le texte prévoit une multitude d’interdiction qui semblent tout droit sorties d’un cerveau totalement malade… ou totalement hypocrite. Nous les citons ici intégralement:
Les représentants d’intérêts qui entrent en communication avec les personnes exerçant les fonctions mentionnées aux 1° à 4°, 7° et 8° du I sont tenus de :« 1° Déclarer leur identité, l’organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts ou entités qu’ils représentent dans leurs relations avec les personnes exerçant les fonctions mentionnées aux 1° à 4°, 7° et 8° du même I ;« 2° S’abstenir de proposer ou de remettre à ces personnes des présents, dons ou avantages quelconques d’une valeur supérieure à un montant fixé par le décret en Conseil d’État prévu au IX ;« 3° S’abstenir de toute incitation à l’égard de ces personnes à enfreindre les règles déontologiques qui leur sont applicables ;« 3° bis (nouveau) S’abstenir de toute démarche auprès de ces personnes en vue d’obtenir des informations ou des décisions par des moyens frauduleux ;« 4° S’abstenir de communiquer à ces personnes des informations qu’ils savent erronées ou dont la source n’est pas précisée ;« 5° S’abstenir d’organiser des colloques, manifestations ou réunions dans lesquels les modalités de prise de parole par les personnes mentionnées aux 1° à 4°, 7° et 8° du I prévoient le versement d’une rémunération sous quelque forme que ce soit ;« 6° S’abstenir de divulguer à des tiers, à des fins commerciales ou publicitaires, les informations obtenues ;« 7° S’abstenir de vendre à des tiers des copies de documents provenant du Gouvernement, d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante, ainsi que d’utiliser du papier à en-tête ou le logo de ces autorités ou de toute autre collectivité publique ;« 8° Respecter l’ensemble des obligations prévues aux 1° à 7° du présent IV dans leurs rapports avec l’entourage direct des personnes exerçant les fonctions mentionnées aux 1° à 4°, 7° et 8° du I.
Autrement dit, les fédérations patronales n’auront plus la faculté ni de solliciter la transmission de documents non communicables (par exemple la copie d’un décret avant sa parution), ni la possibilité de les transmettre à un adhérent. On mesure toute la fragilité de cet exercice: dans quel cadre se dérouleront à l’avenir les concertations entre le gouvernement et les professions? A partir de quel moment un élu sera-t-il fautif s’il informe ses interlocuteurs d’une intention, d’une question en cours d’examen, d’un projet non abouti?
Voilà qui sent, par avance, la rupture d’égalité entre les interlocuteurs.
Les pouvoirs exorbitants de la Haute Autorité
Pour pouvoir exercer ses missions pleinement, la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique sera dotée de pouvoirs exorbitants.
Ainsi, toute demande de communication détaillant les activités des fédérations sera de droit et ne pourra se voir opposer le secret professionnel. Les contrôles peuvent avoir lieu sur place. La Haute Autorité pourra se saisir d’office de tout manquement.
Les sanctions encourues pourront aller jusqu’à 50.000 euros…
Quelle capacité d’action?
Il faudra suivre avec attention