Alors que ceux d’entre les partenaires sociaux qui continuent de participer à la négociation paritaire sur l’avenir des retraites : MEDEF et CPME, côté patronal, et CFDT, CFE-CGC et CFTC, côté salarial, sont censés se mettre d’accord d’ici la fin de la semaine prochaine, les perspectives de cette affaire apparaissent de plus en plus complexes.

Entre l’accroissement des divergences d’analyses paritaires au sujet de l’âge de la retraite et les interrogations qui se multiplient au sujet de la possibilité d’un développement de la retraite par capitalisation, la négociation paritaire paraît se diriger vers un atterrissage brutal.
Les sombres projections du COR
Comme ceci est évoqué un peu partout dans la presse depuis le début de la semaine, dans son rapport annuel sur les équilibres actuels et projetés des régimes de retraite, le conseil d’orientation des retraites (COR) ne se montre pas vraiment optimiste en la matière. Dans l’état actuel de la législation et dans son scenario économique central, estime-t-il, les régimes obligatoires de retraite verraient leur solde demeurer négatif sur le très long terme, passant de 1,7 milliard d’euros en 2024 à 6,6 milliards d’euros en 2030, puis 35 milliards en 2045, soit 1 % du PIB et, enfin, 60 milliards d’euros en 2070, soit 1,7 % du PIB.
Etant entendu qu’il n’est guère possible de laisser s’opérer une telle dérive comptable, le COR avance ses solutions pour éviter qu’elle ait lieu. Rappelant que la hausse des taux de cotisation ou la diminution des pensions ont des effets économiques négatifs, le conseil en conclut qu’il est nécessaire de jouer sur la variable de l’âge de la retraite, en le rehaussant progressivement, jusqu’à 66,5 ans en 2070.
Un pavé dans la mare de la négociation paritaire sur les retraites
Versées au débat public au moment où, justement, les négociateurs paritaires de l’avenir des retraites ne peuvent que constater qu’ils ne sont pas du tout d’accord sur la question de l’âge de la retraite, ces données chiffrées constituent un pavé dans la mare de leurs échanges tendus. Pour les syndicats qui sont toujours autour de la table des négociations et qui, bien que modérés, n’en escomptent pas moins “un bougé sur l’âge de la retraite” – autrement dit : un recul partiel sur le report à 64 ans de cet âge introduit par la dernière réforme des retraites – le rapport du COR n’annonce pas de bonnes nouvelles.
A l’inverse, pour le patronat, qui ne veut pas entendre parler d’une remise en cause de ce report, il tombe à pic. Hier, le MEDEF a ainsi fait savoir à l’AFP que non seulement, “dans un esprit de responsabilité pour notre pays”, il était favorable au maintien de la mesure d’âge contenue dans la réforme de 2023 mais qu’en outre, à l’avenir, “et en s’inspirant de ce qui se passe chez nos voisins européens”, il souhaitait “indexer de manière automatique l’âge de départ (âge légal et durée d’assurance) sur l’évolution de critères objectifs relatifs à la démographie et au marché du travail”. Le MEDEF, autrement dit, a d’ores et déjà en tête de futurs reculs de l’âge de la retraite.
Déjà très restreint, l’espace d’un compromis paritaire sur l’âge de la retraite disparaissait ainsi.
La fin de non recevoir de Bercy sur la capitalisation
Ce malheureux développement survenait juste après un autre, relatif celui-ci au débat, qui suscite un intérêt certain ces dernières semaines, de l’opportunité d’un recours à la capitalisation pour conforter l’équilibre des retraites à long terme. N’ignorant pas que le patronat français est favorable à une telle évolution, la CFDT avait, on s’en souvient, affirmé qu’elle n’avait “pas de tabou” sur ce sujet. Une telle ouverture d’esprit esquissait alors l’éventualité d’un troc paritaire où l’acceptation patronale d’un assouplissement de la réforme de 2023 pourrait s’obtenir au prix d’un développement d’une retraite par capitalisation qui soit contrôlée par les partenaires sociaux. S’il restait, certes, à s’attaquer au problème – pour le moins épineux – du financement d’un tel développement, y compris sous l’angle de la transition partielle de la répartition vers la capitalisation, du moins la possibilité d’une discussion paritaire sur le sujet existait-elle.
En pleine Pentecôte, le ministre de l’Economie et des Finances Eric Lombard a, pourtant, pris dans ce dossier une position relativement claire, qui devrait se traduire par sa mise, au moins temporaire, sous la pile des dossiers à traiter rapidement. Interrogé au sujet de l’opportunité d’un recours massif à la capitalisation comme solution au problème des retraites, il a déclaré qu’il n’est “pas sûr que ce soit le bon moment”. Afin de justifier son sentiment, le ministre a invoqué le manque de marge de manœuvre des financeurs des régimes sociaux. “Si on devait faire une capitalisation obligatoire, qui la financerait ?”, a-t-il questionné, répondant lui-même : “Les entreprises, on voit bien que les marges sont serrées et qu’il n’y a pas de quoi prélever. Cela demanderait une réflexion plus large”. En somme, pour Eric Lombard, l’enjeu des retraites pose des questions “plus brûlantes” que celle de la capitalisation.
S’il apparaît difficile de contredire le ministre, toujours est-il qu’il a fermé l’une des voies d’un potentiel compromis paritaire sur les retraites.
Une négociation sur les retraites vidée de sa substance ?
Ainsi donc, se lançant dans la dernière semaine de leur négociation paritaire sur l’avenir des retraites, les partenaires sociaux qui y participent toujours voient deux des principaux enjeux de cette discussion sortir, de fait, du champ des thèmes possibles d’accord. On les imagine mal, en effet, s’engager à développer la capitalisation alors que Bercy a fait savoir qu’il était défavorable à cette orientation. Et on imagine encore plus difficilement les syndicats s’embarquer dans une promotion du recul de l’âge de la retraite. L’objet d’un éventuel accord paritaire sur les retraites apparaît, aujourd’hui, difficilement identifiable.
Il est, certes, vrai qu’en réaffirmant son refus d’un retour sur les 64 ans, le MEDEF a, toutefois, fait savoir qu’il n’était pas opposé à une discussion sur l’amélioration de la prise en compte de “l’usure professionnelle” et sur celle des conséquences de la maternité sur le “déroulement des carrières des femmes”. Sans nul doute importants, ces thèmes ne constitueraient pourtant que des objets de repli, de portée limitée au regard des défis qui s’imposent, pour un éventuel accord paritaire sur les retraites.