Retour sur les débats du premier Conseil supérieur de la prud’homie

Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.

Le premier Conseil supérieur de la prud’homie (CSP) de l’année s’est tenu le 4 mars 2021 avec un ordre du jour particulièrement chargé, puisqu’à bien y regarder, pas moins de 10 points y figuraient ! Mais dans ce vaste ensemble, c’est clairement de décret réformant les effectifs de conseillers prud’hommes qui a tenu le haut du pavé. 

En image et en couleurs. Dans un contexte (hélas) toujours aussi propice au distanciel, le CSP a (enfin) pris le parti de faire un pas vers la modernité… Adieu donc les sinistres conférences téléphoniques telles qu’elles étaient pratiquées depuis le début de la crise sanitaire. Et bonjour la visioconférence qui, en attendant un retour à la normale, permet tout de même aux intervenants de se voir et d’être vus de l’ensemble des membres du CSP.  

L’avènement du conseil de prud’hommes de Mamoudzou

Historique. La mise en place d’un conseil de prud’hommes à Mayotte, ce n’est plus un projet, mais une réalité désormais bien palpable. Il y a même lieu de considérer que les opérations de désignation des conseillers prud’hommes ont d’ores et déjà débuté. Dans la foulée du CSP, les évènements se sont en effet précipités : 

– Le 11 mars 2021, l’arrêté d’ouverture de la période de désignation des conseillers prud’hommes au conseil de prud’hommes de Mayotte a été publié au Journal officiel. En son article 1er, il précise que « la période de dépôt des candidatures à la fonction de conseiller prud’homme au conseil de prud’hommes de Mamoudzou (…) est fixée du lundi 15 mars 2021 au mardi 15 juin 2021 » (1)

– Le 16 mars 2021, une réunion de travail regroupant les mandataires de listes et les représentants nationaux des différentes organisations syndicales et professionnelles mahoraises a été impulsée par le ministère de la Justice, histoire que tout le monde soit bien calé sur les modalités pratiques des désignations. Ce qui n’était pas un luxe ! D’abord parce qu’à Mayotte, l’exercice de désignation est inédit. Ensuite parce que certaines facilités opérationnelles mobilisables en métropole ne le seront pas pour cette désignation. Pour des raisons techniques, il ne pourra en effet pas être recouru au site de désignation des conseillers prud’hommes bien connu de nos mandataires de liste. Le dépôt des candidatures et des listes de candidats se trouveront de ce fait compliquées par la nécessité d’y procéder via de bons vieux supports papiers. 

Dans de telles circonstances – et afin de que la mise en place de cette juridiction se passe au mieux -, le ministère de la Justice s’est engagé à accompagner et à suivre de près l’ensemble des mandataires de liste locaux dans les opérations qu’ils auront à accomplir. 

In fine, l’arrêté de nomination des conseillers prud’hommes appelés à inaugurer cette toute nouvelle juridiction sera publié aux alentours du 15 décembre 2021 ; les heureux élus devant alors commencer à siéger dès le début de l’année 2022. 

 

Le renouvellement général de l’ensemble des conseils de prud’hommes, qui était programmé pour le début 2022… a finalement été reporté à début 2023 (2). Arguant d’un tel report, le Gouvernement a envisagé de reporter une nouvelle fois la date de mise en place du conseil de prud’hommes de Mamoudzou. Mais les organisations syndicales ne l’entendaient pas de cette oreille. Aussi se sont-elles fermement opposées à ce projet. Elles ont fini par être entendues et la mise en place du conseil de prud’hommes de Mamoudzou a finalement été maintenue au 1er janvier 2022. En conséquence, le premier mandat des conseillers prud’hommes mahorais ne durera qu’une année. Le 1er janvier 2023, à l’instar de tous les conseils de prud’hommes, il fera en effet l’objet d’un renouvellement général. 

La réforme des effectifs de conseillers prud’hommes

Tout ça pour ça… Sur ce point, la CFDT a d’emblée rappelé qu’elle s’était déjà beaucoup exprimée du fait même de sa participation au groupe de travail ad hoc (qui a été actif de juin 2019 à mars 2020 au rythme d’une réunion tous les mois) et de la récente remontée, le 12 février 2021, de notre positionnement suite aux dernières propositions émises en début d’année par la Chancellerie. 

Nous avons cependant tenu à rappeler en séance que nous avions toujours été en accord avec l’objectif que s’était initialement assigné le groupe de travail. A savoir : faire en sorte que chaque conseiller prud’homme ait un niveau d’activité acceptable (ni trop bas, ce qui serait synonyme de perte de compétences, ni trop haut, ce qui serait synonyme de décrochage avec l’ancrage professionnel, de suractivité et de délais de justice trop conséquents). 

Mai le projet de décret soumis à notre appréciation ne pouvait chez nous que susciter une forte déception. Pourquoi cela ? Tout simplement parce que les travaux du groupe de travail avaient représenté un gros investissement pour l’ensemble de celles et ceux qui y avaient participé (3) et qu’au final, nous ne débouchions que sur une réforme a minima, manifestement pas à la hauteur des enjeux et qui s’avérait même (sur certains de ses aspects) contreproductive. 

Pour bien comprendre une telle appréciation, une petite mise en perspective s’impose. 

– Initialement, en juin 2019, nous avions fait des propositions. Pour l’essentiel : une redéfinition du périmètre des sections (qui sont manifestement en décalage avec ce qu’est l’activité économique française aujourd’hui (4)) et une plus grande mobilité des conseillers prud’hommes d’une section à une autre. Ces propositions n’avaient à l’époque pas pu être retenues ; la Chancellerie nous opposant, pour la question du périmètre, la nécessité de disposer d’un temps long. Ce qui n’était pas le cas, puisque nous devions formuler une proposition de réforme susceptible d’entrer en vigueur dès le prochain renouvellement général des conseils de prud’hommes (qui était alors programmé pour le tout début de l’année 2022). Pour la question de la mobilité, le risque d’une dilution de l’identité des sections a été opposé. 

La proposition de l’administration qui a été retenue consiste dans un regroupement de certaines sections agriculture et encadrement – associé à redispatching d’effectifs des conseils et des sections ayant trop de conseillers prud’hommes vers les conseils et les sections n’en ayant pas suffisamment. Et même si les regroupements de certaines sections n’étaient initialement pas notre idée, nous avons tout de même joué le jeu en interpellant nos unions régionales. Nous étions alors en janvier / février 2020. Et après 2 mois d’intenses échanges, en mars 2020, le groupe de travail a fini par rendre ses conclusions. 

Puis tout s’est arrêté, pour les raisons que tout le monde connaît : crise du Covid-19, premier confinement… 

Les consultations sur le projet de réforme des premiers présidents de cour d’appel, qui devaient être réalisées dès le mois d’avril 2020, ne le seront finalement qu’à la fin de l’année 2020… Mais à cette même période, c’est finalement une intervention des avocats(5) auprès du garde des Sceaux qui aura eu raison de ce qui faisait l’essence même du projet de réforme : les regroupements de certaines sections. 

Et c’est ainsi que début 2021, le garde des Sceaux prendra la plume afin de préciser aux avocats que l’idée de ces regroupements était finalement abandonnée (!). Décision lourde de conséquences, lorsque l’on sait que certaines sections agriculture ont une très faible activité, voire une activité nulle ! Et que les maintenir ne peut que contribuer à cantonner certains conseillers prud’hommes dans l’inactivité. 

– Alors au bout du compte, que reste-t-il dans ce projet de réforme ? Plus grand-chose en fait ! Le redispatching d’effectifs de conseillers prud’hommes de sections et de conseils à d’autres. Redispatching qui a certes été opéré dans le but d’assurer un niveau d’activité suffisant aux conseillers prud’hommes, mais pas nécessairement de manière satisfaisante. Pourquoi cela ? Pour quatre raisons essentielles. 

Première raison : les chiffres sur lesquels le redispatching se fait sont parfois sujets à caution (une photographie fiable de l’activité étant particulièrement difficile à réaliser). Ainsi par exemple de la section encadrement, où la « comparution volontaire des parties », très pratiquée un temps (2017/2018), pour simplement faire valider des accords amiables déjà conclus, a pu participer d’un gonflement artificiel de son activité. 

 

La CFDT a appelé à la vigilance quant à l’évolution des chiffres attenant à l’activité prud’homale. Ceux-ci pourraient en effet connaître de sensibles évolutions en raison des conséquences à venir de la crise Covid-19. Nous avons en ce sens demandé qu’une analyse des chiffres de 2021 soit effectuée dès lors qu’ils seront connus. Ce afin qu’ un correctif puisse être élaboré, si nécessaire. 

Deuxième raison : le redispatching a généré des augmentations d’effectifs de conseillers prud’hommes où, dans certains conseils de prud’hommes, elles n’étaient pas souhaitées. Avec à la clef un risque de diminution du rythme d’activité et, au final, celui d’une perte en compétences. Ainsi, par exemple, au conseil de prud’hommes de Strasbourg. 

Troisième raison : le redispatching a à l’inverse généré des baisses drastiques d’effectifs de conseillers prud’hommes dans certaines sections ou dans certains CPH, ce qui, à terme, est susceptible de poser des problèmes de fonctionnement. Ainsi par exemple, aux conseils de prud’hommes des Sables d’Olonne et de Mont-de-Marsan où le nombre de conseillers prud’hommes passe de 8 à 6 en section encadrement alors que, dans le même temps, une section agriculture (mobilisant 6 conseillers prud’hommes) s’y trouve maintenue malgré une très fiable activité… Les exemples ici livrés posent d’ailleurs la question du nombre de conseillers devant être affectés à une section donnée ; une fixation à (seulement) 6 conseillers prud’hommes ne pouvant à terme que poser de graves problèmes de fonctionnement. 

Quatrième raison : la récurrence des problèmes de greffe et d’immobilier. Ainsi par exemple à Saumur et au Mans où le greffe d’un conseil de prud’hommes déjà sous doté se trouve « déshabillé » au profit d’un autre qui l’est encore davantage. Ainsi par exemple à La Roche-sur-Yon où l’augmentation envisagée des effectifs en sections activités diverses et commerce ne rendra pas possible (par manque de place) la tenue des assemblées générales. Ainsi, faire varier les effectifs de conseillers prud’hommes sans agir sur les questions de greffe et d’immobilier ne pourra au final que s’avérer inefficace. 

En conclusion de tout cela, la CFDT a pu affirmer que le projet de décret qui lui était soumis ne serait pas en mesure de réellement résoudre la problématique des effectifs de conseillers prud’hommes. Or, celle-ci est pourtant particulièrement prégnante ! Elle ne manquera donc pas de rapidement refrapper à notre porte. Nous en avons conclu qu’une réforme de fond, bien plus ambitieuse, s’imposait encore et toujours ! Nous en avons donc profité pour remettre sur la table la piste de la réforme du périmètre des sections (afin de les faire coller à l’activité économique d’aujourd’hui) ; piste qui n’avait pas pu être expertisée en juin 2019 en raison du temps que requérait la préparation d’une telle réforme. 

Cet obstacle de temps n’existe plus aujourd’hui : une réforme a minima va en effet entrer en vigueur pour le prochain renouvellement de 2023 et nous pouvons désormais très bien engager une réflexion à horizon 2026. Etant entendu que dans ce cadre, d’autres pistes pourraient très bien être également explorées : conseillers « volants » autorisés à siéger dans deux conseils de prud’hommes différents, plus grande souplesse pour l’affection temporaire d’un conseiller prud’hommes à une autre section que la sienne… Nous ne manquons pas d’idée ! Ne reste plus finalement qu’à y ajouter la volonté politique et une prise en compte fine des besoins exprimés par les conseillers prud’hommes eux-mêmes. 

Quoiqu’il en soit, et à la lumière de cette analyse, la CFDT n’a pu que rendre un avis défavorable au projet de décret portant réforme des effectifs de conseillers prud’hommes. 

L’assouplissement de l’accès des conseillers prud’hommes à leur formation initiale

Satisfaction. Nous ne nous étendrons pas plus que cela sur ce point, car il a déjà fait l’objet d’un article spécifique sur notre site. Nous nous contenterons donc de rappeler brièvement les points d’évolution induits par le projet de décret qui nous était présenté et l’appréciation que nous avons pu en avoir. 

Premier point d’évolution : la suppression de l’obligation de déclenchement de la formation initiale avant de commencer à suivre de la formation continue. 

La CFDT s’est réjouie d’une telle évolution. Nous avons souligné en séance que nous y voyions avant tout une reconnaissance des actions de formation portées par les organisations syndicales l’opportunité d’une meilleure complémentarité entre formation initiale (assurée par l’Etat) et formation continue (assurée par les organisations syndicales). Avec au final, une plus grande souplesse de fonctionnement susceptible de servir tant les intérêts des conseillers prud’hommes et de l’institution prud’homale que ceux du justiciable. 

Deuxième point d’évolution : l’incontournable obligation, pour les conseillers prud’hommes, de suivre la formation initiale. Les conseillers prud’hommes n’ayant pas eu le temps de suivre leur formation initiale du fait notamment d’une démission et qui seraient par la suite redésignés auraient logiquement l’obligation de la suivre après cette deuxième désignation.  

La CFDT a bien entendu rendu un avis favorable à ce projet de décret.  

Lors de ce CSP, notons qu’un bilan des désignations complémentaires n° 4 et n° 5 a également été réalisé avant qu’un point ne soit fait sur la désignation complémentaire n° 6 actuellement en cours. Un autre bilan a enfin été réalisé : celui des formations initiales. Nous aurons l’occasion d’y revenir ultérieurement… 

 

[1] Arrêté du 08.03.21 fixant le calendrier de dépôt des candidatures de conseillers prud’hommes au conseil de prud’hommes de Mamoudzou pour le mandat prud’homal 2022

[2] Pour cause de report de l’élection TPE et de la nouvelle mesure de représentativité des organisations syndicales de 2020 à 2021. 

[3] Nous avons d’ailleurs au passage remercié les services du ministère de la Justice pour les gros efforts qu’ils avaient déployés. 

[4] Les conseils de prud’hommes sont actuellement composés de cinq sections : une section industrie, une section commerce, une section agriculture, une section activités diverses et une section encadrement

[5] Via le Conseil national des barreaux. 

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