Cet article provient du site du syndicat CFDT.
Après des expérimentations dans les Hauts-de-France et en Île-de-France, un millier de réfugiés bénéficieront d’un programme d’insertion vers l’emploi d’ici à février 2018. Reportage au centre Afpa de Maubeuge-Rousies, dans le département du Nord.
Pendant des mois, l’éclatant sourire d’Habib (photo ci-dessous) est resté éteint. Le temps d’un exil au départ de son pays natal, le Soudan, et qui l’a conduit dans un long périple à travers le Tchad puis la Libye, avant d’embarquer avec des dizaines de ses compatriotes pour une périlleuse traversée de la Méditerranée.
Aujourd’hui, il rit à pleines dents, fier du chemin parcouru depuis qu’il a été contraint de quitter sa famille et ses amis. Le 13 mars, Habib a signé son premier contrat de travail en France. « C’est fou ! C’est une chance incroyable pour moi. »
Une chance que connaissent aussi les 78 autres réfugiés participant à l’expérimentation d’un parcours d’insertion vers l’emploi dans les Hauts-de-France. Ils sont soudanais, tchadiens, afghans ou pakistanais et tous sont passés par Calais. « Ils sont arrivés le jour du démantèlement de la Jungle, le 24 octobre, dans trois centres de formation Afpa du Nord et du Pas-de-Calais, dont celui de Maubeuge-Rousies, se remémore Marie-Paule Velghe, coordinatrice régionale du Programme d’intégration par le logement, l’orientation et le travail, pour le compte de l’Afpa. C’est un programme lancé par la préfecture et que l’on a construit avec Pôle emploi et le FAF.TT [le Fonds d’assurance formation du travail temporaire est chargé de financer et d’organiser la formation professionnelle des intérimaires]. L’objectif, c’est de permettre à des migrants ayant le statut de réfugiés, ou en passe de l’obtenir, d’être autonomes et de se former à un métier en huit mois. »
Un véritable défi pour des hommes coupés de leurs racines qui ne connaissaient que quelques mots de français lorsqu’ils ont déposé leurs sacs dans les chambres des centres de formation. Après des semaines, voire des mois pour certains d’entre eux, passées dans des abris de fortune du bidonville de Calais, dormir sous un toit en dur constituait une première étape importante pour leur permettre d’imaginer un avenir moins sombre. « L’Afpa n’a pas été choisie au hasard pour participer à ce projet. Elle l’a été aussi pour ses capacités d’hébergement et de restauration », précise Rémy Favier, responsable communication de la direction régionale.
Un programme intensif
Le programme repose sur deux phases de quatre mois chacune. La première se concentre sur l’apprentissage de la langue, l’accompagnement social et médical et le choix d’une orientation professionnelle ; la seconde est consacrée au suivi d’une formation certifiante dans des métiers en tension ou recherchés par les branches professionnelles et les entreprises de la région. Un programme intensif. « Au début de leur prise en charge, les réfugiés ont participé à une quarantaine d’heures de cours de français langue étrangère par semaine,explique Marie-Paule Velghe (ci-contre). Bien maîtriser la langue, c’est indispensable pour pouvoir imaginer une insertion professionnelle, quel que soit le métier visé. »
Six formatrices en français langue étrangère ont été recrutées pour l’occasion. Parmi elles, Anita Calabrese et Sybille Duel. « Dans un premier temps, nous avons dû établir un lien de confiance entre eux et nous, soulignent les deux enseignantes. Deux femmes qui donnent des cours dans des tenues européennes, ça n’allait pas de soi pour des élèves qui viennent de régions diverses avec des parcours singuliers. Il a fallu faire ce travail d’adaptation, apprendre à se connaître, travailler sur un savoir-être différent. Les résultats sont venus tranquillement, avec le temps. » Petit à petit, entre deux cours, les langues se délient. « Ils ont fini par nous parler des cauchemars qu’ils faisaient la nuit, revivant l’horreur des traversées en bateau, témoigne Anita. Pour beaucoup, il n’y avait pas 36 options. C’était soit la certitude de mourir là-bas, soit tenter de fuir en priant pour échapper à la noyade. Cet infime espoir, ils l’ont saisi. »
Ces confidences, livrées de façon parfois inattendue, ont scellé les relations. Les deux enseignantes, Anita et Sybille, leur ont appris le b.a.-ba de la langue française, puis la lecture. Certains ont plus de mal que d’autres à assimiler un alphabet et une grammaire complètement étrangers et demandent alors davantage d’attention ou de temps. Mais le jeu en vaut la chandelle. « Ce qu’on leur donne, ils nous le rendent au centuple, affirme Sybille. Nous vivons ce projet avec eux. On partage également leur angoisse de l’échec, notamment face à l’insertion professionnelle. »
Immersion en entreprise
À la fin de cette première phase, la plupart des migrants participant au programme ont signé un contrat de développement professionnel intérimaire ou un contrat de professionnalisation avec huit entreprises d’intérim. Il leur permet d’intégrer une des formations certifiantes proposées par l’Afpa. Agent technique en Déchetterie, agent de fabrication industrielle, maçon, carreleur, soudeur… « Pour tous ces métiers, il existe des besoins, souligne Justine Petit, chargée de mission au FAF.TT. Depuis la mi-mars, ils sont formés à ces missions dans des ateliers où l’accent est mis sur la pratique. Puis ils partiront quinze jours en stage en entreprise en juin. » « Au début, j’ai eu un peu peur qu’on les envoie au casse-pipe, se souvient Thierry Vanderborght, formateur carreleur et délégué syndical CFDT. J’ai été rassuré quand j’ai su que des boîtes d’intérim s’occuperaient des stages. Il y aura un meilleur suivi. Notre rôle, c’est de les former le mieux possible, mais pour ça il faut nous donner du temps. »
Dans quelques jours, Latif, jeune Afghan de 22 ans, prendra la route pour rejoindre l’entreprise Barilla à Onnaing, près de Valenciennes. Mais avant cette immersion professionnelle, il a dû s’entraîner au maniement des transpalettes et des chariots élévateurs sous le regard attentif de son formateur, Lionel Perret. « Lionel, c’est un migrant comme nous », sourit Latif, qui explique que le natif du Nord est embarqué sur le même bateau que lui pour l’aider à trouver du boulot. « J’essaye de leur mettre toutes les cartes en main pour qu’ils soient le plus à l’aise possible dans l’entreprise, détaille l’intervenant de l’Afpa, son casque de chantier vissé sur le crâne. J’insiste beaucoup sur la sécurité, aussi bien pour eux que pour les autres mais je ne me fais pas de souci. Je m’attendais à beaucoup plus de difficultés. Ils sont tous très soudés, ils se tirent vers le haut. C’est une belle expérience. »