Les travailleurs indépendants n’ont pas encore tous pris la mesure des risques auxquels ils s’exposent dans le cadre de la réforme des retraites pilotée par Jean-Paul Delevoye. Mais les médecins ont commencé à exprimer leurs inquiétudes, notamment par l’intermédiaire du président de la CARMF.
Officiellement, les travailleurs non-salariés (TNS) ne seront pas inclus dans la réforme systémique des retraites. C’est du moins ce que Jean-Paul Delevoye a dit aux partenaires sociaux au début du mois d’octobre. Avait-il le choix? l’alignement des travailleurs non-salariés sur les taux de cotisation des salariés se traduira par une majoration d’environ 50% de leurs charges en matière de vieillesse sans amélioration vraisemblable de leur pension, ce qui est difficile à expliquer à ce stade… On comprend donc sa prudence.
Comment Delevoye prépare les esprits à l’alignement des indépendants sur les salariés
En sous-main, toutefois, Jean-Paul Delevoye est moins rassurant. Il prépare même assez habilement une “tenaille” pour empêcher les indépendants de réagir négativement à ce qui s’annonce comme un passage en force sur la ligne d’arrivée.
On lira par exemple, sur le site du Haut-Commissariat à la Réforme des Retraites, cette “contribution” du haut-commissaire soumise au vote du public:
“Le système actuel par sa complexité (42 régimes différents) génère de l’injustice et pénalise les mobilités professionnelles
En France, la retraite est gérée par des organismes qui fonctionnent selon une logique d’affiliation professionnelle (salarié du privé, indépendant, fonctionnaire …). Au total il en existe 42, appelés caisses ou régimes de retraite, avec des règles de calcul des cotisations et des pensions souvent bien différentes.”
Le Haut-Commissaire Delevoye demande aux Français de s’esprimer sur cette idée générale. Et, ô surprise! sur 4.000 votants en ligne, les 3/4 sont d’accord avec lui. Conclusion ardemment préparée: le maintien d’un régime pour les indépendants qui ne serait pas aligné sur les salariés génèrerait de l’injustice et pénaliserait les mobilités professionnelles. Car, c’est bien connu, augmenter encore le poids des cotisations qui pèsent à titre personnel sur les entrepreneurs est la meilleure façon de favoriser la mobilité des salariés vers la création d’entreprises…
Les médecins se rebiffent contre Delevoye
Dans l’espèce de tétanie qui frappe la société française depuis mai 2017, on entend peu de voix pour mettre en garde sur l’erreur de sens qui consiste à aligner des travailleurs indépendants sur un régime de salariés de nature très différente. Seul le président de la CARMF, la caisse de retraite des médecins, le bien connu docteur Thierry Lardenois, a le courage de prendre la parole. Il n’est pas sûr que son angle d’attaque soit le meilleur, mais il a le mérite d’exister et d’opposer une résistance à un rouleau compresseur dont peu de Français ont pris le temps d’anticiper les effets.
Ainsi le docteur Lardinois a-t-il pris publiquement la parole pour annoncer que la réforme des retraites serait une catastrophe pour les médecins. Il a poussé le vice jusqu’à inviter Jean-Paul Delevoye à un colloque organisé pour les 70 ans de la CARMF. Il a ainsi permis au Haut-Commissaire de dénoncer devant un parterre de 400 médecins la tentation corporatiste de la profession.
On voit ici se dessiner la tactique de persuasion à venir du gouvernement: qui ne soutient pas la réforme est corporatiste contre l’universalité du peuple français. On connaît la musique, jouée sur le champ politique où l’on oppose les européens aux nationalistes, les progressistes aux populistes, et autres stigmatisations faciles qui permettent de disqualifier sans débattre.
Il n’en demeure pas moins que les indépendants verront leurs cotisations augmenter à l’issue de cette réforme, sans aucune amélioration de leurs pensions. Mises bout à bout, l’ensemble de ces mesures prises depuis mai 2017 sont tres loin d’être favorables aux entrepreneurs et à la prise de risque. On ne s’étonnera pas de voir la croissance en panne…