Forcé de constater que sa décision de faire adopter son projet de réforme des retraites en recourant à la politique des coups de matraque n’avait pas vraiment mis fin à la contestation sociale, le Président de la République a pris la parole hier dans le cadre des JT de 13 heures de TF1 et France 2, afin de faire une nouvelle fois valoir le bien-fondé de sa démarche.
Ayant pris le parti de camper ses positions sans rien concéder aux opposants au projet de réforme, Emmanuel Macron mise sans doute sur l’essoufflement et le pourrissement de la mobilisation. Un pari risqué.
Le beau “chemin démocratique” du projet de réforme des retraites
Interrogé par Marie-Sophie Lacarrau et Julian Bugier – que l’on qualifiera difficilement, sur ce coup, de pugnaces – le Président de la République a pu dérouler son argumentaire bien connu. D’après lui, son projet de réforme des retraites est rendu inévitable – et Emmanuel Macron le regrette bien évidemment ! – par l’évolution démographique et par la nécessité de travailler plus afin de financer la rénovation du pays. Au fond, l’opposition massive à la fort légitime démarche gouvernementale ne serait due qu’à un défaut de pédagogie incombant à l’exécutif. Partant de tous ces éléments, le chef de l’Etat a promis une application de la réforme autour de la fin de l’année. En somme : rentrez chez vous, braves Français qui ne comprenez décidément rien à rien et ne vous mettez plus en travers du “chemin démocratique” de mon beau projet.
Quelques provocations au passage
Déroulant son propos, le Président de la République n’a, plusieurs fois finissant par constituer coutume, pas pu s’empêcher de distiller quelques petites provocations à l’endroit des opposants à son texte. Estimant que ses propos de la veille sur l’absence de légitimité de la “foule” par rapport aux “élus” étaient des “propos qui clarifient”, il a affirmé que les manifestations donnaient notamment lieu à l’expression de “factieux” et de “factions”. Par ailleurs, nonobstant la poursuite du mouvement de contestation de son projet de réforme, le chef de l’Etat a appelé à l’engagement, “à marche forcée” si nécessaire, d’autres chantiers de réforme structurels – on se souvient par exemple, à ce sujet, qu’Olivier Dussopt, le ministre du Travail, a récemment évoqué l’opportunité de l’élaboration d’une nouvelle “loi Travail”.
La stratégie macroniste du pourrissement
Ainsi donc, on l’a bien compris, Emmanuel Macron a non seulement voulu montrer qu’il refusait décidément de prendre en compte la puissance du rejet, dans l’opinion, de son projet de réforme mais il a également feint de faire comme si tout le monde était déjà passé à autre chose et qu’il était temps que les responsables syndicaux prennent acte de cette évolution. Le chef de l’Etat, autrement dit, mise clairement sur l’essoufflement de la mobilisation sociale. Surtout, par ses petites provocations, ainsi que par son attitude toujours arrogante, il semble faire le pari du pourrissement du mouvement par des éléments radicaux – gage, de son point de vue, d’un discrédit croissant de ce mouvement dans l’opinion publique.
Un pari risqué
Si l’on comprend aisément que l’exécutif soit tenté de recourir à cette stratégie classique d’endiguement des mobilisations sociales, encore faut-il toutefois préciser que son pari apparaît, en l’occurrence, pour le moins risqué. Comme le Président de la République l’a dit lui-même, les “colères” des Français sont actuellement multiples, et grandes. Il n’est dès lors pas certain du tout que la radicalisation du mouvement emporterait nécessairement son discrédit. En réalité, c’est même le contraire qui est envisageable, tant l’envie “d’en découdre” est palpable y compris du côté de groupes sociaux pourtant traditionnellement peu portés aux emportements politiques et sociaux. Sauf à vouloir engager la France dans la voie, condamnable, de la répression policière durable d’un mouvement social qui pourrait s’inscrire dans la durée, l’exécutif paraît donc prendre bien des risques à jouer ainsi le pourrissement de la mobilisation contre le projet de réforme des retraites.