Exception dans le paysage patronal français, la CPME a osé défier le pouvoir exécutif en proposant un scénario pour la réforme des retraites radicalement différent de celui projeté par Jean-Paul Delevoye. Ses grands axes sont exposés dans un document de position qui apporte une vraie bouffée d’air frais dans le petit monde congelé des partenaires sociaux, visiblement tétanisé par la crise des Gilets Jaunes et par la contestation de fond dont il est l’objet. Les propositions de la CPME sont à la fois de bon sens au regard de ce qu’est une conception saine de la solidarité, et salutaires pour les entrepreneurs. Ceux-ci pourraient massivement quitter le pays dans les années à venir si la réforme Delevoye devait prendre forme.
La CPME a finalement du bon. Les propositions que son président François Asselin vient de sortir sur la réforme des retraites ont le mérite de sauver la face patronale, étrangement muette sur les dérives que Jean-Paul Delevoye semble porter sans contestation raisonnable de la part de ceux qui devraient s’y opposer.
La CPME sauve l’honneur patronal
Dans l’ordre des dérives les plus farfelues du haut commissaire à la réforme des retraites, on notera l’assujettissement des salaires aux nouvelles cotisations jusqu’à hauteur de 10.000 euros mensuels, soit 120.000 euros annuels, contre un peu plus de 3.000 euros aujourd’hui. Ce chiffre en apparence anodin revient à dire que le régime de base inventé en 1941 par Vichy et patiemment continué sous les Républiques qui ont suivi ne se limitera plus à un plafond de sécurité sociale (environ 40.000€ annuels), mais qu’il s’étendra jusqu’à trois plafonds (soit la rémunération totale d’environ 98% des salariés).
On ne reviendra pas ici sur tout le mal qu’il faut penser de cette extension qui devrait constituer, en temps normal, une véritable provocation pour les cadres et les patrons. Nous avons à plusieurs reprises dit en quoi ce triplement du plafond de revenus concernés est en contradiction avec le droit communautaire. Celui-ci limite en effet le droit à constituer un monopole public à ce qui est strictement nécessaire pour financer la solidarité. L’existence historique d’un plafond de sécurité sociale à 40.000 euros y pourvoit largement, et nous répétons (dans le désert des élites françaises qui ont le nez dans le guidon et continuent à se dire très européennes tout en refusant l’économie de marché) que ce régime ne tiendra pas longtemps devant la Cour de Luxembourg.
Mais, comme l’explique très bien la CPME, un calcul tactique circonstanciel justifie ce projet macronien contraire aux principes de la sacro-sainte Europe. En incluant toute la rémunération des cadres, en imposant des cotisations jusqu’à 10.000 euros mensuels, le gouvernement englobe les régimes complémentaires de retraite dans son spectre futur. Et ce faisant, il s’autorise à mettre la main sur les réserves de l’AGIRC-ARRCO, constituées par les seuls salariés du privé, pour les mettre au service du futur régime universel.
Ces 160 milliards constitueront un joli pactole pour équilibrer le déficit des régimes publics, où les employeurs remplissent généreusement (avec l’argent du contribuable) les poches de leurs retraités. Curieusement, le MEDEF est globalement resté muet sur ce sujet épineux pour des raisons que nous avons expliquées par ailleurs.
On saluera le courage de la CPME qui est la seule fédération patronale à assumer son étiquette aujourd’hui.
La CPME contre le matraquage des travailleurs non salariés
Parallèlement, la CPME lève à juste titre le lièvre essentiel pour un mouvement patronal: l’inclusion des travailleurs non salariés, ce qu’on appelle les indépendants, dans un système de solidarité avec les salariés et les fonctionnaires. Dans la pratique, en effet, les indépendants sont leurs propres employeurs, et le système des salariés est fondé sur un double financement: par l’employeur et par le salarié. La fusion des indépendants dans ce métal-là induit de fait une forte augmentation de leurs cotisations retraite, sans que des droits nouveaux ne leur soient ouverts.
Deux pistes existent durablement: soit finir de liquider les petits entrepreneurs en les assimilant à des salariés, et en organisant ainsi leur disparition rapide faute de rentabilité suffisante de leur activité. Soit leur préserver un système différent. C’est cette deuxième piste que la CPME propose. Elle est salutaire.
Il fut un temps où ce genre de propositions patronales coulait de source. Il est même probable que jamais un gouvernement n’aurait osé, auparavant, installer les indépendants sur une planche aussi savonneuse. Mais dans la grande réaction quasi-thermidorienne que nous traversons, tout simple permis.
Les indépendants sauvés par la Grande Peur du gouvernement
Si la CPME mérite un satisfecit pour sa position courageuse, on notera toutefois que le dernier rempart face à la dérive étatiste du gouvernement s’appelle l’opinion publique et la peur du Gilet Jaune.
Initialement, le gouvernement avait prévu le dépôt du projet de réforme des retraites en décembre à l’Assemblée Nationale. Mais, comme nous l’avions supputé dès le mois de janvier, compte tenu du caractère explosif du sujet, le gouvernement repousserait ce projet au courant de l’année 2020, et laisserait d’abord passer les élections municipales.
Nous continuons à parier sur l’échec du projet compte tenu du manque de légitimité et de représentativité de la majorité parlementaire.