Alors que la mission de concertation sur la réforme des retraites confiée à Jean-Paul Delevoye touche à sa fin, l’enjeu du devenir des réserves accumulées par les régimes du privé – régimes AGIRC-ARRCO et régimes des professions libérales et des indépendants – commence à faire quelque peu parler de lui.
Il faut dire que l’étatisation pure et simple de ces réserves apparaît difficilement évitable.
Un enjeu à 160 milliards d’euros
Bien que les régimes de retraite complémentaire français fonctionnent, pour l’essentiel, selon le principe de la répartition, ils ont été amenés, depuis longtemps, à accumuler des réserves, ou provisions, afin de faire face à la prévisible configuration démographique du papy boom.
Au total, ces réserves s’élèvent à plus de 160 milliards d’euros, dont environ 70 milliards d’euros pour les régimes AGIRC-ARRCO, plus de 20 milliards d’euros pour le régime CNAVPL des professions libérales et 16,5 milliards d’euros pour le régime complémentaire des indépendants. A ces montants s’ajoute celui du fonds de réserves des retraites, qui atteint 36 milliards d’euros.
Le magot tentant des réserves de la retraite
Pour les pouvoirs publics, le magot lentement constitué par les régimes de retraite du secteur privé apparaît sans doute fort tentant. Dans la situation politique et sociale actuelle de la France, le gouvernement pourrait trouver de bonnes raisons de s’intéresser de près à ces milliards d’euros.
Méfiants à l’égard des intentions qui président en réalité à la réforme des retraites, certains en viennent ainsi à estimer que, sans aller jusqu’à dépenser ces réserves ailleurs que dans des pensions de retraite, le gouvernement pourrait d’ailleurs les mobiliser dans le cadre du financement des pensions de retraite du secteur public ou des régimes spéciaux. Cette crainte n’est pas celle d’esprits marginaux et farfelus. Claude Tendil lui-même, le vice-président du Medef chargé des affaires sociales, a en effet mis en garde contre la tentation de déshabiller Pierre afin d’habiller Paul : “Les efforts consentis par les entreprises et les salariés du privé ne doivent pas bénéficier au laxisme d’autres régimes”.
A tout seigneur, tout honneur
Hélas pour ceux qui s’inquiètent des intentions gouvernementales au sujet des réserves des retraites du privé, il est probable que les choses vont se passer ainsi qu’ils le craignent. Etant donné le schéma de gouvernance qui devrait être celui du futur régime unifié de retraite, il y a en effet tout lieu de penser que l’Etat va faire main basse sur le trésor de guerre des régimes de retraite du privé. On imagine mal le gouvernement prendre le contrôle de la quasi-totalité des institutions de retraite françaises sans, dans le même temps, saisir les réserves desdites institutions.
Afin de se justifier, les pouvoirs publics pourront toujours développer l’argument – de circonstance, il va de soi – selon lequel, après tout, en répartition, aucune constitution de réserves n’est jamais réellement légitime. Qui a, certes, dit, que la réforme des retraites voulue par le Président de la République était destinée à garantir un haut niveau de pension pour les travailleurs du privé ?