Quelques jours à peine après avoir remis au Premier ministre ses préconisations sur la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye entame dès aujourd’hui un nouveau cycle de “concertations” avec les responsables des principales organisations patronales et salariales françaises.
A cette occasion, il faut s’attendre à ce que le haut commissaire à la réforme des retraites fasse notamment quelques concessions à la CFDT.
De nombreuses questions en suspens
Si la présentation officielle du rapport de Jean-Paul Delevoye a permis d’y voir bien plus clair quant aux intentions de l’exécutif en matière de réforme des retraites, encore faut-il préciser que ce rapport est loin d’apporter des réponses à toutes les interrogations que peut susciter cette réforme. Un grand nombre de ses dispositions futures, y compris dans des domaines importants, demeure en effet à définir concrètement.
Ainsi, la chronologie de l’intégration au régime universel des retraites des indépendants et, plus encore, des professions libérales – très réticentes à l’idée de la réforme des retraites – va devoir être définie. Dans le cas des fonctionnaires, des mesures d’accompagnement pour certaines professions disposant de peu de primes – comme les enseignants ou les aides-soignantes – pourraient être discutées. Enfin, concernant l’ensemble des assurés, il sera difficile d’éluder des sujets aussi fondamentaux que la manière exacte dont seront fixés et évolueront les valeurs – d’achat et de service – du point de retraite et “l’âge d’équilibre”, les modalités de définition des facteurs et points de pénibilité, les dispositions relatives à la réversion en cas de divorce et en cas de décès du conjoint n’ayant pas encore liquidé sa retraite, ou encore l’organisation de la transition entre les deux systèmes.
Emmanuel Macron rassurant sur les retraites
N’ignorant pas que le chemin de la réforme des retraites est encore long et que l’essentiel de ses mesures n’est pas encore arrêté, le Président de la République a tenu, samedi dernier, en marge d’une importante étape pyrénéenne du Tour de France, à se montrer rassurant quant à la manière dont sera élaborée cette réforme. Le rapport de M. Delevoye est “un premier travail, il faut déplier ce qui a été proposé, concerter […] et pouvoir porter des décisions qui viendront à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine pour rebâtir un contrat avec la Nation” a-t-il d’abord affirmé, poursuivant : “Pendant plusieurs mois il doit y avoir un débat dans la société”.
Surtout, le chef de l’Etat a promis qu’il était tout à fait prêt à donner au pays le temps de s’adapter à la réforme des retraites. “Il faut qu’on fasse progressivement changer les choses, mais ça va prendre une génération pour avoir un système par répartition plus juste et plus transparent” a-t-il en effet déclaré.
La CGT et FO pour la mobilisation
Du côté de la CGT et de FO, les promesses de M. Macron et l’invitation de M. Delevoye à participer au second cycle de concertation sur la réforme des retraites n’ont pas reçu un écho très favorable. Pour Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, cette réforme n’est rien d’autre que de “l’enfumage”. “On ne change pas l’âge légal de 62 ans, mais si on part [à 62 ans, ndlr] on aura une décote. Alors que le niveau des pensions est déjà très bas, on va encore avoir moins’, dénonce-t-il, concluant : “De fait, pour essayer de vivre à peu près, il faudra partir à 64-65 ans, ou plus. Donc, c’est de l’enfumage !”. Dans cette configuration, le patron de la CGT prévoit une mobilisation à la rentrée sur la question des retraites.
A Force Ouvrière, on se trouve dans un état d’esprit proche de celui de la CGT. Yves Veyrier a d’abord réaffirmé son opposition au recul de l’âge du départ à la retraite. Il a en effet rappelé d’une part que “d’ores et déjà, la moitié des salariés, au moment de liquider leur retraite, ne sont plus en activité” et, d’autre part, que “l’espérance de vie en bonne santé, c’est 63 ans”. Plus généralement, il a redit être en “désaccord profond depuis le début avec le système universel lui-même”, ainsi qu’avec le principe d’une “réforme paramétrique permanente”. Partant de là, M. Veyrier a déclaré qu’il n’abordait pas le second cycle de concertation dans l’état d’esprit de “négocier les réglages” du futur régime. D’ailleurs, il a appelé lui aussi à l’organisation d’une journée de mobilisation, en l’occurrence le 21 septembre prochain.
Le MEDEF, la CFDT et l’âge de la retraite
Comme ceci a été souligné dans la presse depuis la publication du rapport de Jean-Paul Delevoye, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT s’est montré bien moins critique à son égard que MM. Martinez et Veyrier. Saluant l’ambition gouvernementale de mener une réforme systémique des retraites, il a, certes, jugé “profondément injuste” et même, “stupide”, le report à 64 ans de l’âge du départ à la retraite à taux plein. Vendredi dernier, sur BFM TV, M. Berger a ainsi jugé opportun de revendiquer une réflexion relative à “des systèmes de départs anticipés en retraite”. Dans la mesure où l’exécutif pourra difficilement se passer du soutien, même tacite, de la CFDT à la réforme des retraites, il faut s’attendre à ce que cette revendication donne lieu à de nombreux échanges lors des discussions à venir avec M. Delevoye.
Cette hypothèse est d’autant plus probable qu’elle ne serait pas de nature à déranger du côté du Medef. S’étant vivement félicité de la démarche d’ensemble du gouvernement – notamment au titre qu’elle allait se traduire par un recul de l’âge du départ à la retraite – Geoffroy Roux de Bézieux, le président de la première confédération patronale française a toutefois reconnu, vendredi dernier au micro d’Europe 1, qu’en organisant un recul, elle allait contraindre les employeurs “à retravailler sur l’employabilité des seniors”. Ce sujet étant traditionnellement fort problématique au sein du patronat français – voir par exemple ici – le Medef pourrait tout à fait accueillir positivement les éventuelles initiatives gouvernementales qui viseraient à instituer certains dispositifs de départs anticipés à la retraite.