Les responsables des principaux syndicats de salariés et de la jeunesse, à l’exception de ceux de la CFTC, se sont retrouvés hier au siège de la CGT afin d’évoquer une éventuelle riposte commune au projet de loi El Khomri. Si l’heure est à la relative unité, la question est d’ores et déjà posée de la capacité de la CGT à pérenniser le périmètre large de l’intersyndicale.
Un communiqué commun mesuré
A l’issue de la réunion, tous les participants, sauf FO, ont signé un communiqué commun destiné à dénoncer le projet de réforme du code du travail. Intitulé “le droit collectif n’est pas l’ennemi de l’emploi”, il s’avère être mesuré. “Ensemble et à des degrés divers”, les organisations signataires insistent certes, à plusieurs reprises, sur leurs désaccords avec le texte gouvernemental. Elles ne sont “pas satisfaites de ce projet”, “élaboré sans réelle concertation”, alors qu’il “va profondément changer la législation du travail et comporte des risques pour les salarié-e-s et les jeunes qui aspirent à accéder à un emploi.”
Aussitôt après ces appréciations générales, les signataires “demandent le retrait de la barèmisation des indemnités prudhommales dues en cas de licenciement abusif et des mesures qui accroissent le pouvoir unilatéral des employeurs.” Une étude approfondie “des autres articles du projet, notamment, sur les licenciements économiques, le forfait jours, l’organisation du travail et la santé au travail, l’apprentissage, …” doit certes être réalisée, ce qui laisse la porte ouverte à de nouvelles demandes de retraits. Toujours est-il qu’en l’état actuel des choses, l’intersyndicale n’exige pas le retrait pur et simple du projet El Khomri.
Enfin, la déclaration commune assure que les organisations signataires, “conscientes des enjeux et des responsabilités du mouvement syndical, sont porteuses de propositions et sont disponibles pour engager le dialogue” avec le gouvernement. Même s’il est précisé que l’enjeu est de développer l’emploi et les droits sociaux, il est difficile de ne pas voir dans cet appel à l’apaisement et à la concertation la griffe de la CFDT et d’autres organisations modérées, comme la CFE-CGC ou l’Unsa. Surtout, cet appel n’est nulle part contrebalancé par un autre, qui concernerait des formes d’action plus énergiques : manifestations voire grève.
La CGT, fragile point d’équilibre intersyndical
La grande mesure du communiqué intersyndical témoigne de l’influence que les syndicats dits “réformistes”, CFDT en tête, ont eu sur sa rédaction. Cités par Libération, deux responsables syndicaux non issus de la CFDT déplorent le peu d’enthousiasme contestataire de la centrale cédétiste. “On retrouve le front commun Medef, CFDT, gouvernement”, dit l’un. “Ce n’est un secret pour personne que la CFDT a travaillé en amont sur le texte”, rappelle un autre. La lignée modérée incarnée par la CFDT constitue un pôle d’attraction pour d’autres syndicats traditionnellement calmes, comme la CGC, l’Unsa ou la CFTC.
En refusant de signer le communiqué commun, Force Ouvrière a signifié son désaccord avec sa formulation insuffisamment offensive. L’absence de mention du retrait total du projet de loi aurait notamment motivé son attitude. Ce faisant, l’Avenue du Maine s’est imposée comme le fer-de-lance de l’opposition radicale au texte gouvernemental. Solidaires pourrait potentiellement se retrouver sur une ligne proche de la sienne. Surtout, les organisations de jeunesse, derrière l’Unef, semblent elles aussi très remontées contre le projet de loi, dont elles veulent le retrait. L’engagement des étudiants et lycéens contre le texte El Khomri pourrait être décisif.
Dans le cadre de ce rapport de force, la CGT joue le rôle du point d’équilibre de l’intersyndicale. Bien qu’elle ait dit tout le mal qu’elle pensait du projet de réforme du Code du travail, elle ne s’est pas désolidarisée de la CFDT. Dans l’immédiat, Montreuil temporise. Tant que les organisations modérées peuvent prétendre infléchir le texte par le biais de négociations feutrées avec les responsables de la majorité, il est probable que la CGT ne les froisse pas et ne leur impose pas de se prononcer sur des modes d’action radicaux. Pour autant, l’organisation de Philippe Martinez peut s’appuyer sur la ligne dure incarnée par FO pour maintenir la pression sur la CFDT.
Si celle-ci échoue à obtenir des modifications substantielles du texte, alors la question se posera nécessairement d’une évolution des formes d’action contre le projet de loi. Et il est loin d’être évident que, dans cette éventualité, la direction de la CFDT pourra tenir l’ensemble de ses troupes sur une ligne de non mobilisation.