Précision jurisprudentielle sur la notion de loyauté d’un accord négocié

Cet article provient du site internet de la CFDT.

La cour d’appel de Paris vient de confirmer la décision de première instance, en déboutant la CGT de sa demande d’annulation de la convention d’assurance chômage. Une décision doublement satisfaisante pour la CFDT. D’abord parce qu’elle vient confirmer la validité de l’accord et de la convention d’assurance chômage signés en mars et mai 2014 ; mais aussi par l’argumentation, très développée des juges du fond, qui livrent des précisions bienvenues sur la notion de loyauté des négociations. CA Paris 12.03. 15, n° 14-24633. 

 

Si le sens de la décision est le même en première instance qu’en appel (le rejet de la demande de la CGT), l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris présente la vertu de la pédagogie et constitue une base jurisprudentielle solide pour le droit de la négociation collective. 

Pour mémoire, le point de droit soulevé par la CGT portait, principalement, sur la déloyauté de la négociation qui avait entouré la conclusion de l’accord assurance chômage du 22 mars 2014 et de la convention et ses annexes du 14 mai, signés par la CFDT, FO et la CFTC. (Lire dans le Carnet juridique, le compte rendu de la décision du TGI)  

Les négociations auraient été menées « au mépris des règles de loyauté minimales », selon la CGT qui dénonce (pêle-mêle) : des discussions parallèles aux séances plénières entre organisations syndicales et patronales, des chiffrages demandés à l’UNEDIC et obtenus tardivement, des différences entre les textes soumis à signature et ceux présentés à la négociation, etc. 

  • Précisions bienvenues sur la notion de loyauté de la négociation

Si la Cour de cassation est déjà venue rappeler à plusieurs reprises l’exigence de loyauté des négociations qui doit présider à la conclusion de n’importe quel accord collectif, c’est, à notre connaissance, la première fois qu’une décision est aussi précise et détaillée sur les critères de cette loyauté. 

Pour la cour d’appel de Paris, la négociation doit être menée de façon sérieuse et loyale, ce qui implique : 

– la convocation de toutes organisations syndicales concernées aux négociations; 

– l’absence de « négociation séparée », étant entendu que des rencontres bilatérales sont admises dans la mesure où elles « peuvent contribuer à dégager une solution commune, dès lors qu’aucun engagement ferme n’est pris à leur occasion », ce qui « priverait d’objet les négociations ultérieures »; 

un projet de texte final soumis à la discussion de toutes les parties; 

– des informations nécessaires, dans des conditions égales à charge « pour l’organisation qui estimerait que tel n’est pas le cas de demander communication des informations qui n’auraient pas été largement diffusées, ainsi que la poursuite des négociations ». 

Ces règles ont vocation à s’appliquer à toutes les négociations collectives telles que définies dans le Livre II, 2epartie du Code du travail. Elles s’imposent donc aux négociations des accords relatifs à l’assurance chômage (L.5422-20 et s. du Code du travail). C’est ce que la cour d’appel de Paris va vérifier, point par point. 

  • « Bilatérales » : une pratique autorisée mais encadrée

Cet arrêt vient valider une pratique (aujourd’hui très répandue): celle des bilatérales. Des rencontres au cours desquelles les organisations discutent de manière séparée, pour faire avancer leurs positions et tenter de dégager un compromis avant de le soumettre en séance plénière. 

La cour d’appel de Paris reconnaît l’intérêt stratégique de cette pratique pour l’aboutissement des négociations mais vient la borner en imposant qu’une rencontre en plénière vienne clore ces bilatérales et mette tout le monde en mesure de négocier sur la version finale du texte. 

Contrairement à ce que prétendait la CGT, les rencontres bilatérales entre le patronat et certaines organisations syndicales (ce dont les signataires ne se sont jamais cachés), qui ont précédé la signature du premier accord assurance chômage dans la nuit du 21 au 22 mars, ne viennent pas vicier, en elle-même, la négociation. 

La cour d’appel va même jusqu’à souligner qu’il n’appartenait qu’à la CGT de répondre aux sollicitations du MEDEF et de se prêter au jeu de la bilatérale. Le patronat avait en effet invité la CGT à venir discuter en aparté. Pour les juges du fonds, dès lors que la CGT a refusé de participer aux échanges bilatéraux, elle ne peut pas prétendre qu’il y aurait eu des négociations séparées, ni de manquement caractérisant la déloyauté des parties. 

De même, sur les différences de forme et de fond qui peuvent exister entre la version des textes figurant dans l’accord du 22 mars et la convention du 14 mai, la cour d’appel rejette les arguments de la CGT. En effet, ces deux textes (accord et convention) ont un objet distinct : 

– l’un est un accord politique qui fixe les orientations et les lignes directrices, 

– l’autre traduit l’accord dans la réglementation Unedic. 

Ces textes sont le fruit de deux négociations différentes. Il n’est donc pas impossible que des divergences apparaissent lors de la transcription de l’accord politique dans la convention. La cour d’appel rappelle que la CGT a « au même titre que les autres, pu participer à la négociation de ce second texte le 14 mai et continuer la négociation ou faire apporter des modifications au projet débattu. » La deuxième phase de négociation n’est donc pas plus déloyale que la première. 

Dernier argument balayé par la cour d’appel : la discrimination déloyale dont la CGT aurait été l’objet de la part de l’Unedic chargée de procéder à des estimations et des chiffrages pour le compte des négociateurs. La cour refuse de reconnaître les retards invoqués par la CGT dans le traitement de ses demandes par rapport aux autres organisations. 

  • Les suites ?

Il est bien évident que la CGT, dans sa posture particulièrement belliqueuse ne va pas s’en tenir là et entend monter l’affaire devant les plus hautes juridictions du pays. Un pourvoi devrait donc suivre devant la Cour de cassation. Un second recours est déjà engagé sur le plan administratif, devant le Conseil d’État, contre l’arrêté d’agrément de la convention d’assurance chômage (lire Encadré). Aux côtés du Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), la CGT reprend peu ou prou les mêmes arguments que devant les juges judiciaires (loyauté de la négociation) et conteste, en outre, le contenu même de la convention (ex : les nouvelles règles de différé d’indemnisation chômage en cas de dommages et intérêts, etc.). 

Nous voilà donc repartis pour plusieurs mois de procédure et il y a donc fort à parier que l’actuelle convention d’assurance chômage (dont l’échéance est fixée au 1er juillet 2016) prendra fin avant même de connaître l’issue de ce contentieux. 

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